Mettre en image des photos de Sebastiao Salgado, l’un des plus grands photographes de son temps, est un pari tenté et réussi par le réalisateur Wim Wenders. Un documentaire à voir et à écouter.
Il y a un an, le photographe brésilien Sebastiao Salgado occupait la scène médiatique avec la promotion internationale de son dernier travail couvrant une période de six ans : « Génésis ». Une exposition exceptionnelle à la Maison européenne de la photo et un ouvrage remarquable concrétisaient ce gigantesque reportage qui avait pour but de valoriser les richesses et la beauté de notre planète.
Même période de l’année, même photographe mis en valeur, mais cette fois sous la forme d’un film, consacré au reporter, documentaire réalisé par son fils Juliano Ribeiro Salgado, et, surtout le réalisateur allemand Wim Wenders.
Le réalisateur des « Ailes du Désir » achète, dans les années 90 deux photos de Salgado, un artiste dont il ignore tout. Touché par le travail du photographe il acquiert notamment un cliché, aujourd’hui iconique, saisi dans la mine d’or de Serra Pelada : un homme se reposant dans la multitude, adossé à un poteau, figure de croix, comme un symbole des choix esthétiques et humains de Salgado. Le réalisateur subjugué par ce cliché, souhaite aussitôt rencontrer l’artiste pour ce qui va devenir le début d’une sincère amitié: « Sebastiao aime les êtres humains, et après tout ce sont les êtres humains qui forment le sel de la terre ».
Ainsi commence une relation amicale et artistique, ainsi débute ce film, par la projection de ces photos hallucinantes de milliers de fourmis humaines descendant dans un gigantesque trou de boue pour en remonter lesté de sacs sur les épaules. Ce début du documentaire est un coup de poing dans l’estomac pour les spectateurs qui ne connaissent pas l’œuvre du photographe. Les images s’enchainent en fondu enchainé, commentées par Sebastiao Salgado, qui apparaît par transparence. Procédé simple, mais jamais ennuyeux, la voix mimétique du photographe brésilien, son visage de « sage », accompagnent le spectateur pour une projection rythmée notamment par des retours biographiques et l’élaboration des projets de reboisement de la ferme familiale.
L’un des mérites essentiels de Sebastiao Salgado est de travailler longuement sur ses sujets, chaque thème nécessitant cinq ou six années de travail. Le rythme du film est donc scandé par ces épisodes : « La main de l’homme, « Exodes », « Génésis », autant d’ouvrages sont ouverts ici de manière chronologique. La longue séquence des images consacrées à la famine au Sahel est la plus éprouvante. Simultanément à ce cheminement dans l’horreur, les commentaires du photographe marquent eux aussi son épuisement progressif jusqu’au génocide du Rwanda qui visiblement constitue un point de non-retour et nécessite le besoin de se tourner vers les beautés de la terre.
Comme Salgado, nous reprenons notre respiration quand un jeune homme appartenant à la tribu des Zo’e vole d’arbre en arbre dans le contre-jour des frondaisons succédant à la photo de la suspension par une toile d’une balance d’un enfant décharné. Avec Génésis, l’espoir reprend vie et les images couleurs des prises de vue dans la forêt amazonienne ou du reboisement du domaine familial formalisent ce retour à la joie de vivre.
Sebastiao Salgado, qui a fui le Brésil en 1968 avec son épouse, pour la France aurait pu devenir un brillant économiste siégeant dans les instances internationales. Sa formation universitaire est donc présente dans les commentaires qu’il fait de son œuvre : le travail de l’homme, sa place dans l’économie mondiale, le caractère inéluctable des guerres autant de thèmes qui rejoignent une vision politique du monde.
Alors on aurait pu espérer un questionnement plus personnalisé de l’artiste, une vision plus critique de l’œuvre. Peut-on et doit-on appuyer sur le déclencheur de l’appareil à quelques centimètres d’un enfant qui expire ses derniers souffles ? Quel rôle peut jouer un photographe dans la transformation sociale ? Et surtout interroger le photographe sur l’esthétisme de la souffrance, le socle même de son œuvre. Mises bout à bout, ces photos témoignent en effet d’un formalisme exceptionnel : même dans les situations les plus terribles, le cadrage de Sebastiao Salgado Salgado répond à des critères esthétiques indéniables. Contre jour, brumes, contrastes, pénombres autant de procédés qui permettent d’identifier souvent une photo de Salgado même lorsqu’il s’agit de montrer un camp de réfugiés.
Beaucoup de jeunes photographes prennent le contre-pied de ce parti pris. Olivier Jobard, par exemple, reporter distingué notamment pour son travail sur la migration clandestine d’un migrant camerounais clandestin « Kingsley » vers la France (1), explique qu’il utilise son appareil photo comme un stylo : il regarde, témoigne, commente avec un texte explicatif, mais ne cherche pas à faire une « belle » photo. Une opposition de conception de la photographie humaine sur laquelle Salgado aurait pu être interrogé.
Wim Wenders et le fils de Salgado ont visiblement préféré l’hagiographie à l’analyse. En fait, les réalisateurs ont repris le credo du photographe : montrer le monde tel qu’il est, montrer l’œuvre telle qu’elle est, en les magnifiant. Comme il l’a fait la première fois dans une galerie, Wenders nous pose donc simplement devant les photos de Sebastiao Salgado Salgado et nous demande de les regarder et de les aimer. On peut regretter cette absence de recul, mais le résultat permet, avec un minimum de moyens et sans aucun ennui, de populariser encore plus largement le travail hors-norme, d’un homme dont on ne peut contester qu’il aime ses semblables et les plus faibles d’entre eux. Rien que pour cela ce documentaire mérite d’être vu.
Documentaire Le Sel de la Terre
Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado. Prix spécial « un certain regard » festival de Cannes 2014.
Jusqu’au 20 décembre, quinze images choisies par Wenders sont exposées à la Galerie Polka, 12 rue St Gilles, galerie adossée au magazine du même nom, dont Unidivers est un fervent « supporter ». Si vous avez quelques (belles) économies, vous pourrez alors acheter un des tirages limités de ces quinze documents. Premier prix : 7000 €.
Outre les ouvrages photographiques de Salgado (« Génésis » est toujours disponible. 50 € chez Taschen), pour découvrir l’homme, faites l’acquisition « De ma terre à la terre » 16,90€ aux Presses de la Renaissance, propos recueillis par Isabelle Francq. Indispensable pour comprendre l’œuvre du photographe.
(1) Kingsley, carnet de route d’un immigrant clandestin. Textes de Florence Saugues. Photos de Olivier Jobard. Éditions Marval.