LE SILENCE DE LA MER, LA LIBRAIRIE SE PORTE BIEN À VANNES

Chaque année, en empruntant les codes fatalistes des plus grandes tragédies classiques, on nous annonce la mort de la librairie française. Ô rage ! Ô désespoir ! Malgré cela, quelques aventureux décident encore de braver les mauvais présages. C’est le cas de Katia et Jean-Philippe Pérou qui ont ouvert, en novembre 2016, une librairie généraliste et indépendante, Le Silence de la Mer, en plein cœur de Vannes. Quelques mois plus tard, force est de constater que les affaires sont bonnes pour nos deux libraires et que le marché du livre vannetais ne se porte pas si mal que cela.

LE SILENCE DE LA MERNichée en plein cœur du centre historique de Vannes et surplombée par la majestueuse cathédrale Saint-Pierre, Le Silence de la Mer a très bien su trouver sa place. C’est d’ailleurs sur une surface tout en profondeur, de 130 m2, que la librairie a été aménagée avec beaucoup de soin. L’endroit est assez agréable, ordonné, spacieux et lumineux. Proposant quasiment 13 000 références de bouquins, Katia et Jean-Philippe Pérou s’affairent à l’aménagement d’un rayon lorsque nous les rencontrons. L’occasion de discuter de la naissance de leur librairie, de dresser un premier bilan de leur activité depuis l’ouverture en novembre dernier et de réaffirmer que non, la librairie n’est pas morte !

Unidivers : Comment vous est venue l’envie de devenir libraire ?

Katia : Après le bac, j’ai tout de suite cherché un travail susceptible de me plaire et comme j’aimais beaucoup lire, la librairie s’est imposée naturellement. Pour être honnête, j’ai commencé par travailler dans un café-librairie. C’est vrai que ça m’a tout de suite énormément plu et je me suis dit, « il faut absolument que je fasse ce travail-là ». Ça combinait pas mal de passions, ça ne nécessitait pas de faire des études très longues et comme je n’en avais ni l’envie ni les moyens, ça tombait plutôt bien.

Unidivers : Vous partez donc de quasiment rien, pour finalement en arriver à la création de votre première librairie… comment ça se déroule pour vous entre-temps ?

LE SILENCE DE LA MER
Katia et Jean-Philippe Pérou

Katia : Je me suis lancée dans un DUT « Métiers du livre », au Havre, pour quand même avoir un petit bagage et trouver du travail. Ensuite, j’ai cherché un boulot. J’avais vingt ans à ce moment-là, c’était il y a treize ans maintenant. J’ai travaillé à la Fnac, chez Gibert, chez Virgin… chez toutes les grandes enseignes qui embauchaient, jusqu’à ce qu’on se décide – avec Jean-Philippe – à monter notre propre librairie en 2011, à Paris. En fait, à cette époque, je ne trouvais pas de travail en librairie indépendante et je commençais un peu à en souffrir. Comme il n’y en avait pas dans notre quartier, on s’est dit qu’on allait en ouvrir une. C’est comme ça qu’on a ouvert L’Usage du Monde. Ça s’est plutôt bien passé. C’était (et c’est toujours), une librairie qui embauchait quatre personnes et qui fonctionnait plutôt bien. Mais on avait envie de quitter Paris, et donc voilà…

Unidivers : Pourquoi faire ce pari risqué de quitter Paris, ainsi que votre ancienne librairie, pour venir s’installer à Vannes ?

Katia : En fait, on n’est pas originaires de Paris, ni l’un ni l’autre. On y est venu pour travailler, comme plein de gens, tout en se disant que c’était temporaire. Paris, c’est bien quand on débute et qu’on fait ses expériences, mais au bout d’un moment, on commence à en avoir un peu marre de cette ville. La naissance de notre fille a vraiment précipité tout ça et on s’est dit que l’on allait chercher quelque chose dans l’Ouest, puisque l’on vient de là. On a jeté notre dévolu sur Vannes après avoir fait pas mal d’études de marché. Cette ville a beaucoup d’atouts, elle est dynamique économiquement, elle est quand même assez grande et surtout, question concurrence, on a vu qu’on pouvait très bien se compléter avec les librairies existantes.

Unidivers : On imagine que monter un tel commerce est assez compliqué, avez-vous reçu des aides ou des financements spéciaux pour mener à bien votre projet ?

LE SILENCE DE LA MERKatia et Jean-Philippe : Oui, on a été encouragé par pas mal d’organismes d’aide à la librairie. On a obtenu un prêt à taux zéro de la part de l’ADELC (association pour le développement de la librairie de création). C’est une association d’éditeurs indépendants qui finance les librairies indépendantes en France par l’intermédiaire de prêts à taux zéro, qui encourage, et qui décide si un projet vaut le coup ou non. C’est un peu l’organisme de référence pour ce genre de projet. Le CNL (centre national du livre) nous a aussi aidés, ainsi que la banque, bien sûr. Ça a été plus simple pour cette création puisque l’on avait les bilans de l’Usage du Monde à montrer. Mais bon, ça a quand même été tout un truc à réaliser.

Unidivers : Vous avez donc, cette fois-ci, choisi le titre d’une œuvre de Vercors pour nommer votre librairie…

VERCORSKatia : Oui, car c’est un texte que l’on aime énormément. Il est fédérateur et connu de beaucoup de gens, mais en même temps pas tant que ça. C’est ce que l’on aime faire dans la librairie… essayer de mettre en avant des textes qui sont un peu tombés dans l’oubli, mais qui gagnent à être connus.

Jean-Philippe : C’est un texte que l’on associe assez facilement à une librairie. Et puis c’est le premier roman édité par Les Éditions de Minuit en 1942. C’est une œuvre de résistance, éditée dans une période sombre. C’est aussi ça la littérature… c’est un engagement, c’est un combat, donc c’était aussi important de défendre ces valeurs-là. Les Éditions de Minuit, pour nous, c’est un éditeur très – très, très – important. Il a plus que marqué la seconde moitié du XXe siècle avec des auteurs comme Vercors, Claude Simon, Beckett, Echenoz, etc. C’est un éditeur essentiel dans la création littéraire française.

Unidivers : Pourquoi choisir de repartir sur une librairie généraliste ?

Katia : J’ai la sensation que la librairie généraliste a plus de chances de fonctionner qu’une librairie spécialisée dans la mesure où c’est moins « segmentant ». On y trouve aussi bien le Goncourt, qu’un roman jeunesse… d’un point de vue purement commercial, c’est beaucoup plus intéressant. Ça va aussi avec notre idée de la librairie.

Jean-Philippe : Et puis on peut faire des paliers aussi. Si on vient nous voir pour un conseil très précis, par exemple en sciences humaines, ça peut nous faire penser à quelque chose que l’on a lu en BD, puis à une autre chose que l’on a lue en littérature, etc.

Unidivers : Votre librairie est ouverte depuis novembre maintenant, comment se porte globalement votre commerce ?

Katia et Jean-Philippe : Donc ça fait 4 mois et pour l’instant, on a eu un bon démarrage. On a ouvert au moment de Noël donc c’était plutôt encourageant pour nous. Là, c’est plus calme parce que c’est la période creuse ici. Mais c’est en train de redémarrer et, dans tous les cas, ça suit le prévisionnel, donc ça va. On aura plus de recul dans un an pour en reparler plus précisément.

Unidivers : Avez-vous apporté à cette librairie quelque chose que vous ne faisiez pas avant avec l’ancienne ?

Katia : On a quand même essayé de refaire ce que l’on pense savoir-faire… c’est-à-dire le travail de fond. Après, le local est un peu plus grand que celui que nous avions et donc on peut proposer un peu plus de références, et ça, c’est un vrai plaisir.

Unidivers : On peut voir, via votre page Facebook, que vous organisez régulièrement des rencontres littéraires de diverses formes. Est-ce que c’est devenu indispensable pour les librairies dans votre genre de diversifier leur activité pour pouvoir survivre ?

LE SILENCE DE LA MERKatia et Jean-Philippe : Pour nous, ça fait juste partie du métier, c’est très important de faire vivre un lieu. C’est aussi le rôle du libraire d’avoir une sorte de « fonction sociale ». Ça implique donc un commerce ouvert qui fait un peu vivre la ville, un lieu de débat, d’échanges… ce n’est pas un commerce anodin. Du coup, on essaye de faire deux rencontres littéraires par mois, pour l’instant le vendredi, et ça fonctionne bien comme ça.

Unidivers : Les pratiques de consommation du livre ont beaucoup évolué ces dernières années. On entend souvent dire que le numérique a changé la donne, avec l’arrivée de géants comme Amazon notamment. Alors qu’est-ce qui attire encore les consommateurs de livres dans les librairies ?

Katia: Ça, c’est le discours que l’on entend beaucoup dans les médias. Dans les faits, l’économie du livre est stable. En France, on a une sorte d’exception culturelle avec le prix unique du livre qui permet de maintenir en place des librairies qui vont plutôt bien. Et puis, le livre ça reste quand même un objet que l’on offre beaucoup, plus qu’un fichier numérique par exemple, donc les gens en achètent toujours. En ce qui concerne Amazon, je pense que les deux ne sont pas comparables. On ne cherche pas vraiment la même chose dans une librairie et sur Amazon. D’ailleurs, ici on ne cherche pas forcément quelque chose en particulier, on vient pour se balader. Dans une librairie, on présente des livres que l’on ne trouve pas forcément partout, on conseille, on parle aux gens, il y a un échange qui se crée. Sur Amazon, quand on y va, on cherche un truc précis et il faut que ça aille vite. C’est ça et pas autre chose. Depuis que j’ai commencé, on me dit que mon métier va mourir et en fait, pour l’instant, ça va plutôt bien. Je pense que les librairies qui meurent, c’est surtout à cause de tout un tas de paramètres… un loyer trop élevé, une proximité trop importante avec une autre librairie, une surface de vente trop petite, etc.

Unidivers : Unidivers est un webzine qui se penche sur la vie culturelle en Bretagne. Vous avez un livre en particulier à nous conseiller ?

LE SILENCE DE LA MERJean- Philippe : Bien sûr ! Il y a le livre de Michèle Lesbre, «Chère Brigande», qui est en fait une lettre qu’elle écrit à Marion du Faouët. Marion du Faouët, c’est une sorte de Robin des bois au féminin. Elle avait une troupe d’hommes autour d’elle qui, en gros si je résume, prenaient aux riches pour redonner aux pauvres. Mais Michèle Lesbre n’écrit pas une biographie, elle écrit une lettre, dans un style évanescent très beau, qui renvoie aujourd’hui à tous les marginaux, toutes les Marion du Faouët du 21e siècle. On pense aux migrants… C’est en fait un texte très politique, très engagé, avec très belle écriture.

Katia : Avec une économie de mots, elle arrive à dire des choses très justes et fortes.

Le Silence de la Mer, librairie, 5 place Saint Pierre 56000 Vannes, 02 97 13 66 09
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Naomie Retailleau
Etudiante en Master Métiers de l'information et médias numériques, Naomie Retailleau réalise son stage en journalisme à Unidivers.

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