Vous êtes Jonas. Un beau matin, vous vous réveillez sans radio ni télévision, pas davantage de téléphone : portable, fixe, rien ne fonctionne. Plus d’accès Internet non plus. Toute trace de vie à part la vôtre semble avoir disparu. Douche. Petit-déjeuner. Très vite, vous trouvez une explication à ces contretemps technologiques. Sur le chemin du bureau, vous constatez l’absence de transport en commun. Ni bus, ni tramway. Où sont les métros, les myriades d’automobilistes d’ordinaire si bruyants ? En fait, vous êtes seul. Seul au milieu d’un silence qui vous mènera au bout d’une étrange réflexion sur la condition humaine.
Thomas Glavinic est autrichien. Né à Graz en 1972, il fait partie des auteurs qui renouvellent la littérature germanophone. Dans Le travail de la nuit, le lecteur est confronté à une narration sans le moindre dialogue. L’histoire ne tente pas d’expliquer les circonstances ubuesques dans lesquelles se retrouve Jonas. Le comment… Le pourquoi… Le parce que… Aucune clef n’est offerte. Le lecteur doit tout imaginer lui-même en acceptant d’être acteur de chaque scène afin de comprendre l’improbable. Thomas Glavinic use froidement de Jonas comme d’un banal objet à mettre en situation. Il faut l’imaginer seul au monde, libre de tout faire et son contraire, comme de squatter les plus belles suites des plus beaux palaces en prenant conscience que le luxe est avant tout lié au service, et sans personnel…
Au bout d’un moment, il s’aperçut qu’il relisait sans cesse la même phrase sans en enregistrer le contenu. Le journal coincé sous le bras, il fit quelques pas. Lorsqu’il leva la tête, il constata qu’à part lui il n’y avait personne. Qu’on ne voyait pas un seul piéton et qu’il ne passait pas de voitures. Une idée lui traversa l’esprit : c’est une blague. Puis : ça doit être un jour férié.
Au début, Jonas s’interroge avant de s’inquiéter. Puis il angoisse. Devient paranoïaque. Finit par s’amuser de la situation et s’amuser tout court. Il se lâche. Ne sait plus s’il doit tenir, détenir, retenir… Au bout du compte, rien de ce qui se passe n’est déclenché autrement que par lui-même alors qu’il se persuade du contraire. L’action est oppressante comme une angine de poitrine. On retient sa respiration. Thomas Glavinic démontre mais n’explique pas, se contentant d’explorer avec une aisance diabolique les dérèglements de notre société. Il vilipende une certaine idée de l’ « image » dont nous avons fait l’une des plus graves corruptions de l’histoire.
Quelque part, il y avait une réponse, il y en avait nécessairement une. Le monde, dehors, était grand. Lui n’était que lui. La réponse qui était dehors, peut-être ne la trouverait-il pas. Mais celle qui tenait à lui, qui était en lui, il fallait qu’il la cherche. Qu’il ne cesse pas de la chercher.
Gros succès en Autriche et en Allemagne lors de sa sortie en 2006, Le travail de la nuit (Die Arbeit von Nacht) est passé inaperçu en France. Quelques rares articles (tous élogieux) ont souligné la justesse et l’originalité d’un sujet difficile, l’intelligence et la précision d’un romancier talentueux, j’y ajoute l’intérêt d’une traduction bien menée et l’extrême avantage d’un texte allemand accessible sans sortir du Goethe Institut. Le vocabulaire est simple, les phrases courtes, la construction grammaticale tenue mais pas ténue, bref, Le travail de la nuit est à conseiller aux lycéens curieux qui auront la clairvoyance d’acheter les deux versions afin de se reporter à la française en cas de difficulté. On regrettera une disponibilité restreinte. En effet, le livre n’est accessible qu’en de très rares librairies, il doit être commandé, et chacun sait que dans ces conditions tout va (hélas !) beaucoup plus vite par Internet.
# # #
Die Arbeit der Nacht (Le travail de la nuit)
de Thomas Glavinic
.
Texte original accessible ici :
dtv – 9,90€
Hanser – 21,50 €
.
.
.
Traduit par B. Lortholary :
Flammarion – 21,40 €
J’ai Lu – 7,60 €
.
.
.