Il est un ourson célèbre et aimé de tous. Il est né sous la plume de Milne, un journaliste particulièrement attentif à l’évolution de son fils : le timide Christopher Robin (Christopher devient Jean-Christophe dans le livre « Winnie »). Objectif : aider son fils à construire sa personnalité. La construction de soi est ainsi au centre de ces aventures que décrypte Laurence Vanin
Si Winnie a emporté l’adhésion des jeunes enfants à qui il s’adressait, il est aussi parvenu à séduire les parents qui accompagnaient les têtes tendres sur les voix de l’humanité : « comprends et tu seras un homme, mon fils ! » On se demande : pourquoi Piglet, le petit cochon, s’inquiète-t-il ? Eeyore est-il si pessimiste ? Tigret est-il si ambitieux ? Tandis que le lapin opine et Maître Hibou s’enferme dans sa docte pensée devant un petit ours débonnaire qui se révèle être « le plus sage des ours » ?
Laurence Vanin livre les clefs de sagesse qui se dessine derrière ses saynètes qui, précise-t-elle, « ne constituent pas seulement un corps de savoirs, mais plutôt une remise en question de ce que chacun croit savoir, lorsqu’il se trouve confronté au réalisme de l’existence ».
Ces mises en scène alimentent par strates la construction du « moi » chez le jeune enfant, cible de Laurence Vanin, et c’est tout l’intérêt de l’essai. L’auteur explique comment chacun doit conquérir sa liberté en s’éprouvant dans le monde et au contact des autres. Elle révèle ainsi avec pertinence ce que cache cette œuvre célèbre dont la quête du sens se trouve… en suivant la voie… sans doute !
Il faut dire que l’auteur Milne, dont s’empare Vanin, n’a pas lésiné sur les effets propices à nourrir l’imaginaire de Christopher. Pour traduire les méandres de l’existence, les entraves à surmonter, les peurs, les doutes, le personnage de Jean-Christophe sont associés à quelques animaux : ourson, lapin, âne, tigre. À première vue, tout cela peut faire sourire.
Et puis, plus le lecteur avance dans cette histoire apparemment simpliste, plus il y trouve de la profondeur. La construction psychique du jeune héros se fait au travers d’une conscience « miroir », servant de catalyseur et de caisse de résonnance à toutes les expériences vécues. Contrairement à bien des histoires destinées aux tout-petits, l’écrivain Milne n’accable pourtant pas son jeune lecteur de préceptes moraux, mais favorise l’autonomie de jugement de Jean-Christophe. Un jeune homme confronté à des situations rocambolesques « réelles » dont il cerne les enjeux, sans que sa sensibilité se trouve dévastée par trop d’affects dérisoires ou d’opinions marchandes.
Dans ce livre qui explique « tout » (« tout » étant le dogme universel de l’existence) par son menu, le talent et l’acuité de Laurence Vanin consistent à révéler la part de l’attachement qui déborde entre les personnages du conte (la relation parents-enfants est notamment fort bien relatée), en en dépliant tous les aspects et ses excroissances. Les aventures du Moidisent combien les protagonistes incarnent des tempéraments particulièrement « philosophiques » et souvent anti-narcissiques. Des situations dont ils s’extraient jaillissent des préceptes fondés sur la cohésion, l’altérité, l’amitié, le respect des valeurs. Enfin, il détaille le contenu philosophique de chaque message délivré par Mine : de l’éveil à la conscience du monde, de la nature à l’essence d’une chose, du langage comme modalité d’être au monde, du désir et de la sociabilité, de l’illusion à la réalité, vers un accomplissement de soi.
Un essai à lire en priorité avec les enfants qui ont lu Winnie l’ourson.
Laurence Vanin, Les aventures du Moi ou les voix philosophiques de Winnie l’ourson – Editions Ovadia – 189 pages, 18€
Laurence Vanin est philosophe, essayiste, docteur en philosophie politique et épistémologie. Elle enseigne également à l’Université de Toulon où elle est directrice pédagogique de l’Université du Temps libre