Avec Les couleurs de l’Art, paru aux éditions Pyramyd, Chloë Ashby réussit à écrire une histoire de l’Art originale et pertinente. Elle utilise pour sa démonstration une thématique peu commentée : la palette des couleurs et son histoire. Passionnant.
En feuilletant Les couleurs de l’Art de Chloë Ashby, la lectrice ou le lecteur habitué(e) aux ouvrages consacrés à la peinture se trouvera probablement en terrain connu. Sur les pages de droite, quatre-vingts tableaux, sur les pages de gauche, le nom de l’artiste, le titre de l’œuvre, la date de sa réalisation et un commentaire d’une page. Du classique et du traditionnel pour dire une Histoire de l’Art qui débute avec les gravures de la grotte Chauvet et s’achève avec les provocations contemporaines de Kara Walker. L’iconographie choisie ne prend pas systématiquement le contre-pied des ouvrages traditionnels. On y retrouve la Desserte, Harmonie Rouge de Matisse, l’autoportrait de Paula Modersohn-Becker, le Cri de Munch. Autant d’œuvres incontournables qui côtoient parfois des choix plus originaux comme les Deux Crabes de Van Gogh ou La Blouse verte de Bonnard. Les grands noms incontestés sont présents mais pas obligatoirement pour leurs œuvres emblématiques.
Classique avec une volonté d’originalité ponctuelle, les choix subjectifs épousent cependant l’air du temps. Les artistes femmes sont ainsi beaucoup plus nombreuses que dans beaucoup de rétrospectives antérieures. On retrouve bien entendu Suzanne Valadon, Berthe Morisot mais aussi des peintres moins connues comme Angelica Kauffmann, Lavinia Fontana ou encore Clara Peeters, artistes antérieures au XVIIIème siècle, période qui n’a souvent retenu que les noms de leurs homologues masculins. À défaut de parité, Chloë Ashby rétablit un équilibre oublié, dans l’iconographie comme dans les textes, où elle s’applique à démontrer l’originalité de la vision féminine par rapport à celle, majoritaire, des hommes. Pour eux, comme pour elles, les commentaires de l’œuvre sont accessibles, d’une grande clarté, avec en additif une présentation a minima mais suffisante de la vie des peintres concernés. Une synthèse parfaite évitant la vulgarisation frôlant la caricature et la thèse doctorale pour spécialistes.
C’est en fait l’approche chromatique de chaque tableau qui fait l’originalité dsymbolisée en bordure de page : une colonne déclinant la palette de couleurs utilisées. Ainsi s’explique le titre du livre, Les couleurs de l’Art, et l’approche spécifique de l’autrice. C’est bien en effet sous le prisme de ces palettes de couleurs que sont examinées à la fois les œuvres choisies, dont on comprend alors la sélection pour leur originalité chromatique, mais aussi qu’est expliquée l’évolution de la pratique picturale au fil des siècles.
Pour enrichir sa galerie de tableaux, Chloë Ashby, entrecoupe sa présentation chronologique de courts chapitres, essentiels de pertinence et d’originalité, consacrés à la symbolique des couleurs, à leur évolution mais aussi à leur fabrication et à leur découverte.
De même que l’évolution de la technique des appareils photos a transformé l’art photographique, permettant de passer des poses figées des daguerréotypes aux photos de sports, la peinture a suivi l’évolution, peu connue, des produits et des supports utilisés. Les Hommes de Lascaux ne disposaient que de quatre couleurs alors qu’un artiste d’aujourd’hui peut utiliser dix mille références répertoriées. La représentation picturale au fil des siècles s’infléchit ainsi au gré des progrès de la science en matière de couleurs. En changeant son liant et en remplaçant la détrempe à l’œuf par un mélange de pigments, d’huile de lin et d’huile de noix, Van Eyck a modifié à jamais la luminosité des œuvres futures. On sait que la peinture impressionniste, saisissant l’air du temps sur le motif, doit beaucoup à l’innovation des tubes, mais on ignore beaucoup plus souvent que l’invention du bleu de Prusse en 1704, premier pigment synthétique, ouvrit encore beaucoup plus de perspectives. « Maintenant qu’un chimiste avait découvert comment fabriquer du bleu de façon artificielle, d’autres allaient suivre […] » permettant de démultiplier les vingt pigments de couleur naturelle utilisés jusqu’alors. Ce n’est pas une histoire des couleurs, chère à Michel Pastoureau, que nous propose l’autrice mais plutôt une histoire scientifique de leur évolution et de leur traduction dans les tableaux des artistes.
Les œuvres d’art reflètent les préoccupations de leur temps, comme l’Âge d’Or Hollandais retranscrit les valeurs morales d’une société, mais elles sont aussi tributaires des possibilités qu’offrent les innovations techniques et scientifiques. Cette interconnexion rarement décrite est ici utilement développée et nous offre une agréable et ludique visite d’un musée imaginaire, riche de mille couleurs. Ou de leur absence.