Les Larmes de Pascal Quignard, à la source de la langue…

Les Larmes de Pascal Quignard coulent sur la rentrée littéraire 2016 tel un ruisseau unique, en son genre et surtout, en son style. Les Larmes, paru chez Grasset, n’a du roman que la recherche de sa naissance en tant que genre littéraire. Fragmentaire, le texte revient sur la naissance de Nithard et Hartnid, petit-fils de Charlemagne aux destins croisés et exemplaires. En négatif, le texte revient essentiellement sur la naissance du français, et sur le moment indicible d’où vient le mot sur le bout de langue.

Les Larmes QuignardLes Larmes poursuivent l’œuvre littéraire de Pascal Quignard. À 68 ans, cet auteur français, prolifique et atypique, laisse toujours le mystère de la langue sillonner son écriture. Celui qui disait écrire pour le lecteur du XVe siècle n’a rien à voir avec ces contemporains, et tout à dire sur la littérature. Aucune trace dans son œuvre de notre présent. Pascal Quignard ressaisit la naissance de l’écriture dans l’acte même de son écriture, car, comme il l’a dit dans son roman le plus célèbre, « Tous les matins du monde sont sans retour ». L’auteur des Petits Traités ou du Dernier Royaume continue dans sa forme faite de fragments, d’aphorisme, de mythologies et de contes.

 

Les Larmes QuignardLes Larmes, en tant que roman, raconte une histoire. Celle de Nithard, petit-fils de Charlemagne et chroniqueur franc du IXe siècle auprès de Charles le Chauve, et de son frère sans histoire, Hartnid. Alors que le premier participe à la vie religieuse, militaire et politique de son temps, le deuxième « ne parlait presque pas ». « Son nom, écrit le narrateur, n’était que le contraire d’un nom et il était alors complètement indifférent au monde qui n’était que le fantôme d’un monde ». Le roman, divisé en dix livres et presque autant de chapitres, sur le modèle des chroniques du Moyen-Âge, parcourt le IXe siècle européen, de la Somme à Bagdad en passant par Aix-la-Chapelle et Rome.

Les Larmes QuignardLes Larmes est traversée, comme l’histoire du roman elle-même, par cette opposition entre Nithard et Hartnid. Si le chroniqueur, le premier né des jumeaux, semble en prise avec le monde et son histoire, le deuxième s’attache à un présent vivant. Pascal Quignard suggère la tension du roman pris entre historicité et fonction poétique du langage. Par ailleurs, la dualité des frères expose en quelque sorte son projet littéraire : Quignard ne mélange jamais racines historiques et linguistiques de l’écriture. Par ce jeu, il mêle à la fiction encyclopédique et l’historiographie une capacité à saisir la saveur d’une époque dans le détail du langage.

Les Larmes Quignard

À une époque où la rentrée littéraire expose ses romans sur l’actualité, sur l’histoire récente ou sur les mœurs contemporaines, Les Larmes de Pascal Quignard assume son décalage. L’auteur, depuis ses débuts, parle d’une ontologie de la littérature, c’est-à-dire ce qui fait qu’elle est ce qu’elle est. D’où son attrait pour l’antiquité, les langues anciennes ou les époques historiques comme le Moyen-Âge ou la Renaissance. On sait que Pascal Quignard est un grand mélomane. Il a du reste écrit que « là où la pensée a peur, la musique pense ». Les limites propres au langage et à la littérature demeurent ses thèmes de prédilection. Dans Les Larmes, on assiste à la rédaction par Nithard des Serments de Strasbourg, premier écrit officiel en langue française. Étonné comme un enfant, Quignard revient sur cette naissance, en homme et en écrivain. Car, comme le disait Cioran, « on n’habite pas un pays, on habite une langue ».

Les Larmes de Pascal Quignard, roman publié aux éditions Grasset, 2016, 215 pages, 19 €

 

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