Messager d’une réalité des banlieues (souvent trop faussée), Ladj Ly se sert de sa caméra comme d’une arme de communication. Il avait touché le Jury du Festival de Cannes 2019, ce qui lui avait valu un prix parmi les nombreux qu’il recevra. Les Misérables est à voir absolument. Et nommé aux Golden Globes.
Le film s’ouvre sur un Paris en fête: celui de la coupe du monde de football un 15 juillet 2018. Celui où le drapeau tricolore de la victoire est brandi fièrement. Celui qui rassemble (sauf peut-être certains Croates). Puis, on rencontre Stéphane, fraîchement arrivé de Cherbourg, pour un poste à la BAC de Montfermeil, mais aussi Chris et Gwada, ses nouveaux collègues.
L’heure n’est plus à la fête quand il faut faire des rondes dans la cité de Montfermeil. Surtout quand ses collègues sont à la limite de l’agréable. Mais Stéphane observe, parfois silencieusement, Chris qui joue les caïds pour se faire respecter. La journée va être longue.
En face, les enfants s’occupent comme ils peuvent, en ayant toujours à l’oeil, méfiants, la voiture qui fait des rondes. Lors d’une interpellation qui tourne vraiment mal, les trois «bacqueux» découvrent qu’ils se font filmer par un drone…
Les Misérables est adapté du court-métrage éponyme réalisé par Ladj Ly en 2017 (primé au festival international du court-métrage de Clermont-Ferrand et nommé au César du meilleur court-métrage en 2018). L’idée du scénario est née d’une expérience vécue par Ladj Ly. En 2008, le réalisateur décide d’utiliser sa caméra afin de faire du Copwatching, c’est-à-dire de filmer les policiers dans leurs interventions, car effaré du déroulement de celles-ci. En octobre de la même année, Ladj Ly filme une bavure policière. La caméra du réalisateur devient alors une arme contre les agissements violents des policiers.
Un clin d’oeil que le réalisateur n’a pas omis de montrer. En effet, dans le film on peut apercevoir à plusieurs reprises le célèbre portrait de Ladj Ly capturé par le photographe JR en 2004, collé sur le mur d’une cité de Montfermeil, lequel tient sa caméra comme une arme, pointée vers le photographe.
« Rien n’a changé depuis les émeutes de 2005. »
La caméra, Ladj Ly s’en est servi à plusieurs reprises pour témoigner de réalité des cités. 27 octobre 2005, Clichy-sous-Bois : Zyed Benna et Bouna Traoré, deux jeunes voulant échapper à un contrôle de police, caché dans un poste électrique, sont retrouvés morts électrocutés. Des émeutes démarrent alors, d’abord dans la région du 93, puis dans toute la France.
https://youtu.be/atOBaw9mgHg
Ladj Ly était là pour filmer ces émeutes. En découleront 365 jours à Clichy-Montfermeil, un documentaire de 25 minutes sur ces mouvements de protestation. Le rythme du documentaire se fait ressentir dans Les Misérables. Entre zoom sauvage au milieu d’une prise de vue et caméra portée, le spectateur peut se perdre parfois entre film de fiction et réalité. L’effet est radical, confrontant le spectateur à une violence humaine.
Le scénario n’a rien d’un archétype : Giordano Gederlini, Ladj Ly et Alexis Manenti (les scénaristes) emmènent le spectateur dans le quotidien de Stéphane, mais aussi de Chris, Gwada, Issa, Buzz, Salah. Les Misérables n’a rien du film hollywoodien et c’est tant mieux. La tension n’en est que plus réelle.
“ Et s’ils avaient raison d’exprimer leur colère ? C’est le seul moyen de se faire entendre aujourd’hui.” – Les Misérables
Ladj Ly porte un message clair : « Rien n’a changé depuis les émeutes de 2005 ». Il appuie son message par une citation de Victor Hugo tirée de son roman Les Misérables :
« Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs. »
Dans un entretien pour France Inter, Ladj Ly explique ce choix : « Les cultivateurs ce sont les politiciens. Ce sont eux les responsables de ce qui se passe dans les banlieues. » Mais le réalisateur réfléchi à mettre en avant certains politiciens ayant agi positivement, tel que Claude Dilain, ancien maire de Montfermeil (1995 – 2011) dans un second volet au film Les Misérables. Un troisième volet est également prévu sur la vie de la cité dans les années 90.
Les Misérables montre avec justesse une cité de l’intérieur. Des enfants aux policiers en passant par les petits trafiquants, le film dénonce la misère où qu’elle soit. Chacun est acteur et victime.
La haine attire la haine
Il est difficile de ne pas comparer Les Misérables avec le film de Mathieu Kassovitz, salué par la critique, La Haine (1995). (attention spoiler) Si les fins sont toutes les deux ouvertes laissant le spectateur seul avec son imagination, on en retiendra tout de même cette phrase emblématique tirée de La Haine :
Le plus dur ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage.
Les Misérables a été sélectionné afin de représenter la France aux Oscars 2020 le 9 février 2020 à Los Angeles.
Photographies : Les Misérables DR – Srab films – Rectangle Productions (Edouard Weill) – Lyly Films.
Les Misérables, un film de Ladj Ly, prix du Jury du festival de Cannes 2019. 103 minutes. Sortie en salle le 20 novembre 2019.
Réalisation : Ladj Ly
Scénario : Giordano Gederlini, Ladj Ly, Alexis Manenti
Avec Damien Bonnard, Alexis Manenti, Djebril Zonga, Issa Perica, Al-Hassan Ly, Steve Tientcheu, Almamy Kanoute, Nizar Ben Fatma, Raymond Lopez, Luciano Lopez, Jaihson Lopez, Jeanne Balibar, Omar Soumare, Sana Joachaim et Lucas Omiri.
Photographie : Julien Poupard
Montage : Flora Volpelière
Production : Srab Film
Musique : Pink Noise
Diffusé au festival de cannes (prix du jury) le 15 mai 2019 et sortie nationale le 20 novembre 2019.
COLCOA Film Festival 2019 : Meilleur premier film.
Prix du Jury festival de Cannes 2019.
JR est né en 1983 en région parisienne, il vit et travaille entre Paris (France) et New York (USA). En 2001, l’artiste trouve un appareil photo dans le métro et documente ses virées nocturnes dans le métro ou sur les toits de Paris pour les coller ensuite sur les murs des villes, genèse d’un long travail de photographies monumentales, toujours en noir et blanc, qu’il colle dans l’espace public pour révéler les visages et les témoignages des « invisibles du monde », des banlieues françaises à la Turquie, de Times Square au Panthéon, en passant par les ghettos du Kenya ou les favelas du Brésil. Il remporte le TED Prize en 2011 où il inaugure son projet de photographie participative « Inside Out », qu’il présente au Palais de Tokyo, en 2013. En 2016 il participe aux côté des OSGEMEOS à la 6ème édition du projet d’art urbain du Palais de Tokyo, « Lasco Project ».