Les philanthropes aux poches percées, un classique de la littérature anglophone en BD

Les philanthropes aux poches percées BD

Les philanthropes aux poches percées : sous ce titre énigmatique se cache un texte politique vieux de plus d’un siècle, classique dans le monde anglo-saxon, qu’adaptent superbement en bande dessinée Scarlett et Sophie Rickard. À découvrir d’urgence.

« Un livre que tout le monde devrait lire », découvre-t-on sur le bandeau de couverture, comme une injonction de son auteur, George Orwell. Lorsque l’on connait les opinions marquées très à gauche de l’écrivain britannique, on se dit que ce texte écrit au tout début du XIXème siècle doit être porteur d’un message politique fort. Et on aura raison ainsi que le démontre l’origine de ce récit, écrit par Robert Tressell, de son vrai nom Robert Croker, ouvrier irlandais qui a vadrouillé de Dublin à Londres en passant par Liverpool et l’Afrique du Sud, se forgeant des opinions au gré de ses expériences. En 1902, « décorateur lors d’une grave crise du bâtiment (…) il s’attèle à l’écriture des Philanthropes aux poches percées » œuvre de plus de mille six cents pages qui sera refusée par de nombreux éditeurs. Malade de tuberculose, Tressell meurt en 1911. Sept ans plus tard sa fille réussit à éditer le manuscrit réduit de deux tiers, manuscrit qui sera enfin réédité sous sa forme intégrale en 1955, devenant rapidement un classique de la littérature socialiste. 

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Nous sommes au début du siècle industriel, dans une petite bourgade anglaise où une quinzaine d’ouvriers de tous âges est chargée de restaurer à moindre coût une maison d’un des notables de la ville, un de ceux qui ont la main mise sur la vie économique de leur bourgade. Ce chantier, vécu au quotidien, révèle au fur et à mesure de son avancement, les caractères de chacun, les emprises sociales, le poids des traditions, le cynisme des employeurs. Un monde économique où quelques-uns écrasent la plupart. Ce sont les pauses où dialoguent d’une part des ouvriers aveuglés par l’absence de sens critique, par la religion, par le respect d’une hiérarchie séculaire, et Owen, le socialiste d’autre part, qui servent de bases de réflexion et structurent la première partie de l’ouvrage. Owen, ou Tressell, tant l’un ressemble à l’autre, a lu, réfléchi et refuse d’accepter la pensée dominante. Dans des discours construits il explique à ses collègues, goguenards ou sceptiques, les fondements du capitalisme fondé sur la propriété privée de biens et l’argent. Ses démonstrations sont convaincantes et constituent un véritable cours d’économie politique, didactique et pédagogique. C’est la foire d’empoigne entre Ruth, Harlow, Philpot, et d’autres, ébranlés parfois, perdus souvent, mais marqués par un monde en train de se construire dont ils ne voient pas les enjeux globaux. 

L‘adaptation des deux autrices anglaises ne simplifie pas les choses par souci de lisibilité. Les préceptes socialistes sont énoncés clairement jusque dans ce chapitre, « Le Grand Discours », où est présenté le monde de demain, celui de la propriété collective des biens de production. Le bonheur futur de chacun est illustré avec malice par des dessins colorés et structurés comme le seront les œuvres d’art du Réalisme Socialiste. 

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Outre cette carrière didactique indéniable, le charme de la BD réside aussi, et surtout, dans l’humanité qui se dégage des relations entre les ouvriers. Comme dans un roman choral, nous pénétrons dans l’intimité de quelques foyers miséreux, où le lendemain constitue un défi perpétuel. La grande solidarité côtoie le petite mesquinerie, chacun est coincé entre le souci collectif et l’envie de s’en sortir personnellement. Tressell imagine, avant la révolution russe, un socialisme utopique dont l’Histoire a démontré la meurtrière dangerosité mais il n’idéalise pas pour autant la classe ouvrière. Possédant sa force de travail, elle est aussi obtuse, sujette à la division, tentée par la réussite individuelle. Les arguments rationnels d’Owen sont balayés souvent d’un revers de main : « la politique ce n’est pas pour nous », « il faudra toujours des riches et des pauvres, des patrons et des ouvriers ». Assis sur les bancs de la salle de repos, les arguments de chacun résonnent parfaitement jusqu’à nos oreilles contemporaines. Par un trait délicat, même dans les situations les plus sordides, ne forçant jamais le trait, les autrices nous rendent sympathiques ces ouvriers dans leurs doutes, leurs aveuglements, leurs beuveries car ils sont surtout victimes d’une terrible injustice sociale qu’ils subissent sans la comprendre.

En éditant cet ouvrage publié en Angleterre en 2020, les éditions Delcourt popularisent en France un texte très connu Outre Manche, plus confidentiel dans l’Hexagone, un récit qui a gardé toute son actualité dans son juste constat implacable comme dans son utopie meurtrière. 

Les Philanthropes aux poches percées. Roman graphique de Scarlett et Sophie Rickard d’après l’œuvre de Robert Tressel. Éditions Delcourt, avril 2023. Encrages. 256 pages. 27,95€. 

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Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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