Dans la série des concerts intitulés « les essentiels » organisée toute l’année à Rennes et en Bretagne par l’OSB, le numéro 6 signe le retour tant espéré de la pianiste Lise de la Salle. Espoir non déçu.
C’est un TNB bondé qui frémit d’impatience et de plaisir à l’idée d’entendre à nouveau cette éblouissante pianiste Française en la personne de Lise de la Salle. Le souvenir ému de son interprétation passionnée du 3e concerto en ré mineur de Sergueï Rachmaninov, la saison passée, a laissé une empreinte si profonde que le public n’avait pas d’autre souhait que de la retrouver et de s’abandonner à son jeu, capable en un instant de passer de l’intime au tumultueux.
Lise de la Salle étant programmée en deuxième partie, il nous a fallu nous mettre en appétit avec une œuvre de Robert Schumann, au titre en forme de résumé « ouverture, scherzo et finale op.52 ». La structure de cette pièce pourrait sans difficulté lui valoir le titre de symphonie, même si elle est un peu plus courte. En tout cas l’auteur pensa à l’expression Italienne « symfonietta » et, Dieu merci, nous épargna l’étrange et ridicule appellation de « symphonette ». Jetons nous à l’eau, « petite symphonie » nous aurait certainement comblé.
Ce concert signera la seconde apparition de notre chef attitré, accueilli par le public avec une évidente satisfaction, et qui, d’une baguette énergique, donnera vie à cette œuvre pleine de brio. Si les premières mesures sont un peu sombres et solennelles, très rapidement la partition s’anime et nous fait découvrir un paysage musical très contrasté. C’est bien volontiers qu’on se laisse porter par une musique jamais ennuyeuse, presque dansante au moment du scherzo. L’oreille est toujours sollicitée par quelque découverte nouvelle, tel un enfant impatient nous entraînant par la main, avide d’en voir encore plus. Le final, « allegro molto vivace » mérite bien son titre et servi avec un peu d’emphase par une efficace ouverture des cuivres, nous conduit jusqu’’au bout de l’œuvre en nous faisant regretter qu’elle ne dure pas un peu plus longtemps. L’orchestre symphonique de Bretagne – satisfait semble t-il – de retrouver son chef, nous offre de ce petit bijou, une interprétation claire et enthousiaste qui séduit les 900 personnes présentes au TNB pour cette soirée.
Marc Feldmann, l’administrateur général de l’OSB, a sans doute laissé carte blanche à Grant Llewellyn pour le choix de la seconde œuvre. Ce n’est pas un hasard si Robin Greville Holloway, l’auteur, a été son professeur à Cambridge. « Fantasy pieces on the Heine liederkreis of Schumann op.16 » est une composition en forme d’hommage qui ne pastiche pas du tout la musique de Schumann, mais qui utilise la construction d’une de ses œuvres. La sonorité produite par les treize musiciens présents sur scène relève clairement d’une esthétique contemporaine, l’atonalité est de mise, pourtant le but recherché est atteint. L’imbrication assez déroutante de sonorités qui se croisent, se chevauchent ou s’interpénètrent crée une ambiance musicale un peu onirique qui est propice à la rêverie et nous entraîne peu à peu dans une dimension où, de toute évidence nous perdons pied. L’emprunt régulier de sonorités et de constructions proches de la musique de Schumann nous ramène à la réalité, personne n’y excelle mieux que Jean-Michel Péresse et son cor, dont les notes graves et mélodieuses semblent ramener l’ensemble de l’orchestre vers plus de sagesse. Petite louange personnelle que celle que nous adressons à Emmanuelle Turbelin, pianiste de cet ensemble, qui n’a certainement pas la part la plus facile en devant jouer du piano le soir où est présente Lise de la Salle, elle s’en tire pourtant mieux que bien ! Bravo. Le mot de la fin, nous le devrons à Alexandre, jeune auditeur, de son propre aveu, peu coutumier des concerts de musique classique, qui déclarera « avoir apprécié d’être surpris ». Bon sens de la formule !
Pour la seconde et très attendue partie de ce concert, le choix s’est porté sur Johannes Brahms et son concerto pour piano et orchestre n°1 en ré mineur op.15. Choix d’autant plus judicieux qu’il cadre parfaitement avec l’intention du concert intitulé « les romantiques » et que Lise de la Salle s’exprime avec une réussite particulière dans ces œuvres pleines de passion. Elle nous l’a déjà prouvé. Accueillie sur scène avec un frémissement de pure joie cette étonnante jeune femme, dés les premières notes, envoûte toute une assistance et impose avec autorité les sublimes mélodies de Brahms. Ce qui est à la fois étonnant et perceptible, c’est la fusion qui se produit entre l’orchestre et le piano, produisant une séduisante pâte musicale homogène et profonde où aucun des protagonistes ne tente de dominer l’autre. Engageant avec son Stenway une véritable joute, elle lui impose, des fortissimi aux plus vertigineux pianissimi, de s’exprimer sans concession.Elle nous offre une interprétation très habitée de ce concerto, et l’effort physique qu’elle doit fournir est étonnant. C’est bien la confirmation de ce que nous avions pensé lors de notre première rencontre avec Lise de la Salle, elle est une pianiste qui ne fait pas dans la demi-mesure ni dans l’économie de bouts de chandelles. Elle s’implique totalement dans la musique et démontre à la fois énergie, autorité mais aussi une puissante compréhension de la musique.
Le contraste est étonnant avec la personne rencontrée après le concert. Si Lise garde un indiscutable caractère dans sa relation avec les autres, elle se révèle aussi amicale, pas dénuée d’humour et avec un regard très objectif sur ce que suppose son choix de carrière en terme de vie personnelle.Lors du cocktail qui a suivi ce beau moment de partage, Lise nous a confié qu’elle venait de choisir New York comme lieu de résidence, ayant épousé depuis quelques semaines un très sympathique altiste américain présent à Rennes pour l’accompagner. Diantre ! Après le foie gras, nos bons vins et le champagne, voilà que les Américains veulent nous prendre nos pianistes ! Il va falloir être vigilants. Quoi qu’il en soit, qu’elle nous permette de lui communiquer tous nos vœux de bonheur et de souhaiter de la revoir dès que possible à Rennes où elle sait très bien qu’elle est la bienvenue…
N.B. : Lise, dés que vous revenez à Rennes, d’accord pour le nocturne posthume en ut dièse mineur de Chopin au moment du rappel…
ESSENTIELS #6 – SCHUMANN/BRAHMS/HOLLOWAY
Les Romantiques avec Lise de la Salle, Orchestre Symphonique de Bretagne, direction Grant Llewellyn
Robert Schumann
Ouverture, Scherzo et Finale, op.52
Robin Holloway
Fantasy-Pieces on the Heine ‘Liederkreis’ of Schumann, op.16
Johannes Brahms
Concerto pour piano et orchestre n°1, en ré mineur op.15