Vingt-cinq ans que Loïc Touzé creuse le sillon de sa danse. Non sans humour, sa dernière création à la bande-son en trompe-l’œil est intitulée Fanfare. Cette œuvre, dont la première a eu lieu au festival DansFabrik 2015 de Brest, se révèle peu à peu comme un précis de l’exploration, la grammaire primordiale de la danse de Loïc Touzé.
Un plateau vide et un décor réduit au plancher de bois encadré par de la moquette noire, délimitant, cadrant l’espace de danse, comme une page vierge pour écrire la danse, un écrin pour la laisser se révéler. Les danseurs sortis des coulisses marquent un temps d’arrêt devant ce champ intimidant, mais aussi invitant à tous les possibles. Une fois l’aire investie, premièrement par une danseuse, l’espace imaginé par le chorégraphe est transmis par ses micromouvements et propagé d’un danseur à l’autre. Par touches successives les gestes des danseurs mettent en lumière le vocabulaire de la danse, le sol, les appuis, l’espace commun et le langage commun, les modifications que s’apportent les danseurs entre eux, la trace que laisse le contact d’un danseur avec l’autre dans leur mémoire, les changements de rythme que leurs contacts apportent, le déséquilibre et tous les jeux que celui-ci apporte également, le contrepoids.
Le spectateur est guidé par des interprètes au regard neutre. Le maître de théâtre Jacques Lecoq intégrait dans son enseignement un parcours avec le masque neutre qu’il présentait comme essentiel pour saisir « la présence de l’acteur à l’espace qui l’environne »*. Sous le prisme de l’espace, la recherche qui mène au personnage ou à la figure est explorée, sa constitution et sa construction. La constance de ces visages oriente le regard du spectateur vers la précision des gestes qui communiquent les sensations de l’espace et la poétique qui en découle.
Cette pré-danse -qui n’est pas sans rappeler par certains aspects la Small Dance de Steve Paxton- se transforme pour devenir collaborative et s’organiser, à son apex, en une phrase chorégraphique qui happe le public et plus particulièrement une partie de celui-ci : une famille – ce sont les liens les unissant qui ont été le moteur de ce choix – se détache du public pour investir à leur tour le plateau, prendre les marques des danseurs et danser à leurs places cette orchestique qui leur a été transmise.
En trompe-l’œil, comme en contrepoint de la danse, presque comme dans une autre dimension, un autre espace-temps, la musique : une bande sonore construite comme un effet d’optique et Charlène Sorin qui intervient ponctuellement révélant au public le premier extrait d’un poème sonore. Lors de sa première apparition, elle décrit ce qu’elle est la seule à entendre, à entendre avec peine. Ses mots sont accompagnés de gestes qui miment ce qu’elle dit. Ces gestes sont comme les sons qui caractérisent l’écriture de la poésie sonore. Les sons arrivent à l’interprète par des sensations physiques et arrivent au public par ses mots et ses gestes. Les danseurs sont imprégnés de ses mots qui modifient le cours de leur danse. Plus loin, Charlène Sorin revient et intègre les bruits qui accompagnent ce qu’elle décrit. Elle s’intègre elle-même ensuite à la danse dans sa forme primitive d’abord, la ronde qui amène la synchronisation des danseurs, le groupe constitué. Loïc Touzé réaffirme ainsi la subtilité du rapport entre la danse et la musique, la possibilité de son affranchissement ou de son incorporation.
Des danseurs au regard neutre croisent leur espace, les font se rencontrer et de cette dynamique nait la danse qui s’entrecroise avec la musique. La danse est affirmée comme générée non pas par la musique, mais par l’espace ré-adressé – ici au public – par les danseurs. Avec cette transmission s’articule l’idée d’une chronologie, d’un avant et d’un après : l’histoire, le temps, un rythme, des articulations et la danse mettent en place une humanité qui acquière une évolution possible. Ainsi la fiction et la représentation, l’art.
Fanfare est aussi composée du mouvement de la traversée du plateau. Les danseurs entrent à cour, porteurs de la danse qui s’élaborent par eux; de son ressenti à ses sensations, le public s’active et s’empare de cette danse physiquement. Danseurs et public danseur sortent ensemble à jardin. Ils traversent le plateau de part en part et la danse s’incarne sous les yeux du public qui se l’approprie et plus encore l’incorpore, s’humanise. Et si – comme le dit Loïc Touzé – « la danse est à venir », alors il faut impérativement « renettoyer le regard du spectateur et débarrasser le plancher ».
ENTREZ DANS LA DANSE ….
Loïc Touzé parle de la genèse de Fanfare
Les processus de travail, les problématiques de la pièce
Le rapport au sol, les couleurs et la lumière
Le travail des interprètes, le titre Fanfare
Jouissance sur le plateau, jouissance du public
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À noter dans vos tablettes, la prochaine représentation de Fanfare samedi 13 juin à 19h30 au Petit théâtre, June Events / Atelier de Paris
FANFARE
Conception et chorégraphie Loïc Touzé
Interprétation et collaboration artistique Bryan Campbell, Ondine Cloez, Madeleine Fournier, David Marques, Teresa Silva, Charlène Sorin
Création lumières Yannick Fouassier
Collaboration musicale Eric Yvelin
Régie générale Pierre Bouglé
Costumes Charlotte Coffinet
Crédit photos : MARTIN ARGYROGLO
+ d’infos :
Festival DansFabrik de Brest 2015
*Le Corps poétique de Jacques Lecoq édition Actes Sud-Papiers