Depuis 2007, le parcours Estuaire Nantes <> Saint-Nazaire propose une découverte artistique de l’estuaire de la Loire. D’avril à octobre, 33 œuvres d’art contemporain, signées par des artistes aux inspirations diverses et reconnus à l’international, se découvrent en bateau. Elles invitent le spectateur, amateur d’art ou simple curieux, à questionner son environnement autant qu’à porter un regard historique sur le fleuve et sa région.
Pour comprendre la genèse du projet, il faut remonter en 2005. À l’époque, Joël Batteux, maire de Saint-Nazaire, et Jean-Marc Ayrault, son homologue nantais, posent les bases de l’alliance économique entre leurs deux villes, qui aboutira dix ans plus tard à la création de la métropole de Nantes-Saint-Nazaire par la fusion entre l’Agence internationale Nantes Saint-Nazaire et Nantes Métropole Développement. Mais ils souhaitent consolider cette union par un rapprochement culturel. Ils confient alors à Jean Blaise, directeur de l’atelier Le Lieu Unique, et à son équipe le soin d’imaginer « un évènement susceptible de marquer l’alliance culturelle » entre les deux villes. « Plutôt que d’imaginer un évènement commun aux deux villes, susceptible de revenir chaque année, nous nous sommes attachés à essayer de comprendre ce qu’était ce territoire entre fleuve et océan et, tout naturellement, la carte déployée nous montrait que ce qui reliait les deux villes était l’estuaire de la Loire, long de soixante kilomètres et navigable », explique Jean Blaise dans la préface du guide officiel de la collection.
La biennale Estuaire était née. Son but : « inviter des artistes du monde entier à venir, par leurs créations, interpréter un territoire extraordinairement changeant, alternant paysages urbains, industriels ou naturels ». Des créations éphémères, le temps d’un été, mais aussi pérennes, afin d’inviter le spectateur à poser un nouveau regard sur ce territoire au patrimoine naturel riche. La philosophie d’Estuaire est résumée par son sous-titre : mettre en relation « le paysage, l’art et le fleuve ».
Ce concept de « musée à ciel ouvert » permet d’intégrer pleinement l’œuvre artistique à l’espace et à l’histoire singulière de celui-ci. Les œuvres d’Estuaire mettent en lumière l’histoire des lieux où elles prennent place, témoignant des profondes mutations qui ont affecté la région : ainsi, les célèbres Anneaux de Daniel Buren et Patrick Bouchain, évoquant les chaînes des esclaves, rappellent que durant l’apogée du commerce triangulaire entre l’Europe, l’Afrique et les Antilles (XVIIe – XIXe siècle), près de la moitié des exportations négrières françaises partaient du port de Nantes, ce qui constituait l’une des principales sources de richesse pour la ville. Le Pendule de Roman Signer, installé sur une centrale à béton désaffectée sur la commune de Trentemoult, rappelle quant à lui le passé industriel du village et l’érosion provoquée par le temps qui passe, aussi bien physiquement (la rouille sur le bâtiment) que symboliquement (la désindustrialisation de la région).
Tout au long de son voyage, le spectateur est invité à laisser libre cours à son imagination : Résolution des forces en présence de Vincent Mauger représente-t-elle un instrument de guerre médiéval, un vestige des chantiers navals, le squelette d’un animal inconnu ou bien une machine oubliée par un savant fou ? La lueur bleuâtre qui se dégage la nuit de Lunar Tree, de Petra Mrzyk et Jean-François Moriceau, témoigne-t-elle de la présence d’habitants ou d’une substance potentiellement nocive ? En bouleversant notre représentation du réel, ces œuvres laissent à chacun le soin de construire ses propres légendes et mythes, et invitent de fait le spectateur à se réapproprier l’espace. L’observateur devient acteur, ce que symbolise de manière paroxystique Did I miss Something ? de Jeppe Hein : un jet d’eau installé dans l’étang du château du Pé, sur l’actuelle commune de Saint-Jean-de-Boiseau, se déclenche lorsque quelqu’un s’assoit en face de lui. De manière ludique et performative, l’artiste soulève ainsi la question de l’art dans l’espace public : existe-t-il sans spectateur ?
Le caractère surprenant, voire déroutant, de la plupart des œuvres de la collection est un moyen d’interroger le spectateur sur son rapport au paysage et au fleuve et, ce faisant, de l’amener à une réflexion sur la désindustrialisation ou l’impact humain sur les écosystèmes, illustré notamment par le Serpent d’Océan de Huang Yong Ping, gigantesque serpent de 120 mètres de long et jusqu’à 3 mètres de hauteur dont la carcasse argentée émergée à l’embouchure Sud de la Loire, à Mindin (Saint-Brévin-les-Pins), semble signifier la mort. Une collection où la fantaisie donne une signification particulière à la réalité, donc, et que le guide officiel édité aux Editions 303 permet de mieux comprendre, en français comme en anglais.