Londres attire, Londres fascine. Dans les années 80, 300 000 Français y demeuraient, vie de famille et carrière tout ensemble. L’instauration du Brexit – que nombre d’Anglais, dit–on, semblent bien regretter à présent ! – aurait fait chuter le chiffre de nos compatriotes dans la capitale britannique. 130 000 âmes « hexagonales » y séjourneraient encore, pour ses opportunités professionnelles et sa grande richesse culturelle. Régis Franc y a vécu dans le dernier quart du siècle dernier et nous en a fait le très amusant récit dans London Prisoner aux éditions Fayard.
Régis Franc, auteur piquant et bourré d’humour dont on n’a pas oublié Le Café de la plage, délicieuse parodie des univers proustiens et durassiens, décida, lui aussi, d’y jeter l’ancre dans les années 70. Pour finir, pareillement, par quitter quelques années plus tard ce port d’attache en bord de Tamise et se retrouver entre les rives de la Seine parisienne et la France méridionale de son enfance.
Ce Languedocien, de souche et de cœur – les rappels du pays jalonnent constamment ses récits, romans et BD de tendres et nostalgiques souvenirs – nous a livré en 2013 sa vision londonienne des quartiers et des habitants qui l’animent, des parcs aux écureuils qui viennent vous manger dans la main, des rues et demeures des plus modestes aux plus huppées, des plus classiques aux plus décalées composant le tissu de cette capitale hors norme et panachée.
C’est la musique des sixties, celle des Beatles et de Paul McCartney en particulier, icône vénérée et inaccessible, qui dans sa jeunesse a inoculé le virus anglophile à cet enfant du baby-boom. Le cinéma aussi a marqué notre essayiste et romancier dans ces mêmes années 60, à travers l’énigmatique et rêveuse caméra d’un Michelangelo Antonioni jonglant autour de David Hemmings et délivrant un mélancolique Blow-up teinté de la douce lumière et du mystère d’Holland Park.
Dans ce qui fut sa longue et cocasse recherche immobilière au cœur de la City, Régis Franc a parcouru la capitale britannique en tous sens et tous lieux et arpenté les vastes espaces arborés avec un émerveillement communicatif à vous donner l’envie de filer à l’anglaise vers les bords de la Tamise : Richmond, à l’ouest, qui a les plus beaux chênes que l’on puisse voir, groupés, puissants, tels « une armée échappée d’une pièce de Shakespeare, Kew Garden [qui] a la préférence des amateurs, avec sa serre où viennent déjeuner des expertes en graines bio, délicates végétariennes, soucieuses de leur transit, notre favori, le Chelsea Physical Garden, rempli d’Anglaises sorties tout droit des Civil Guards de la guerre ». Sans oublier Hyde Park bien sûr, le plus étendu d’entre eux, « où de vieilles ladies plongent sans frémir dans le bain glaçant des eaux de la Serpentine ».
Les parcs de la capitale font figure de sanctuaires, et « si un platane tricentenaire défonce une clôture, eh bien on déplace la clôture. Voilà pourquoi les parcs à Londres sont si paisibles ». Et immuables.
Immuables et sereins. Et pour cause : tous disséminés au cœur des plus riches quartiers, Kensington, Chelsea, Knightsbridge, Mayfair où règne le charme discret d’opulentes demeures ouvertes sur la rue, toute clôture bannie, règle anglo-saxonne s’il en est, « qui ne font que quelque huit cents mètres carrés au sol, là où vivent les traders à la mine grave de ces êtres humains qui ne comptent pas pour du beurre », relève Régis Franc, avec malice et ironie, « et qui, après le rituel effort d’un jogging au petit matin, filent vers la City pour y faire valser les millions à la vitesse de l’éclair ».
Londres, c’est aussi un « savant cocktail d’ex–misère et de branchitude » comme peut l’être le cercle très fermé de Soho House, l’endroit « hype » de l’Est de Londres. « Members only, please ». Londres branchée, furieusement « tendance » qui fait bouillonner l’art contemporain. À la Haunch of Venison Gallery, depuis 2013 reprise par Christie’s, ou bien encore à la Tate, sobrement dénommée aussi la Modern, of course, cette ancienne centrale thermique, lourd navire de brique ancré au bord de la Tamise qui ouvre, non plus seulement ses cimaises, mais aussi ses sols aux « installations ». Autrefois le voyageur visitait les églises, aujourd’hui c’est le tour des centres d’art contemporain.
Londres, c’est aussi l’image d’une parfaite urbanité. On ne s’y invective pas, et au triste jeu de l’injure citadine, Paris est, hélas, loin devant. Ici ? « La politesse. Et rien d’autre… » Même les compagnons à quatre pattes sont dans le moule. À Hyde Park, on croise des canidés de tout poil d’une civilité à tout crin. Et « chacun d’eux court après sa baballe perso. Il ne rapporte pas la baballe d’un autre. C’est tout juste s’il ne jappe pas Sorry ! »
Enfin Londres, c’est une lumière particulière. Régis Franc nous dit le charme de ses ciels liquides, de leurs teintes subtiles et mouvantes, et subtilement émouvantes « L’Angleterre est une aquarelle, elle accueille avec plaisir l’eau du ciel. Plus tard, le gris du plomb se change en gris pâle. Vire au vieux rose. Ça finit dans une tache bleue où se faufile la lumière. Londres change le gris en or ». Claude Monet bien sûr le traduisit avec éclat sur la toile.
Il faut lire ce récit des tribulations d’un « Frenchy » à Londres portant un regard amusé, ironique et attendri sur les Londoniens, titillant au passage gentiment les Français, le tout dit et décrit avec légèreté, humour et élégance à chacun des chapitres d’un brillant et réjouissant témoignage de deux fois cent pages qui vous donne, une fois le livre refermé, une terrible envie de vous engouffrer dans l’Eurostar et filer vers la capitale britannique, cette ville « qui a l’ambition d’être au centre du monde ».
London prisoner de Régis Franc. Éditions Fayard. Parution : 5 mai 2012. 224 pages. 18 €.
Régis Franc, 75 printemps à ce jour, vient de publier un récit autobiographique très émouvant, intitulé Je vais bien aux éditions les Presses de la Cité, dans lequel il revient, entre autres, sur la figure de son père récemment disparu. Nous parlerons dans un prochain billet de ce superbe texte.