À l’opéra de Rennes le créateur Philippe Leroux propose une méditation où le spirituel et le charnel établissent une relation symbiotique. Du 6 au 9 novembre 2022, cette création mondiale déploie un opéra mystique et enfiévré de Philippe Leroux magnifié par la beauté littéraire de Paul Claudel. Admirable.
Inutile de le dire, mais la perspective d’écouter une œuvre musicale dite « contemporaine » d’une durée de deux heures et demie et sans le repos tant souhaité d’un entracte nous apparaissait plus comme un châtiment annoncé que comme un moment d’exaltation musicale et dominicale !
À notre plus grande satisfaction, toutes ces préventions n’ont pas résisté bien longtemps à la furia créatrice de Philippe Leroux. Son annonce faite à Marie est une merveille d’un bout à l’autre.
Les interprètes de l’ensemble orchestral CAIRN mettent en place une ossature musicale solide et expérimentée et sous la direction de Guillaume Bourgogne créent une atmosphère d’une troublante intensité. Le décor, à la simplicité minérale, vit au rythme des changements de lumière et se transforme à volonté grâce à l’apport d’images habilement introduites par Guillaume Weber. Le livret de Raphaèle Fleury, directement issu de l’œuvre de Paul Claudel, réussit souvent à nous interpeller, voire à nous dérouter par ses étrangetés lexicales, mais respecte la dimension mystique d’un des plus grands écrivains chrétiens du vingtième siècle. Grâce à l’habile compilation d’interviews d’une autre époque, la voix de Claudel apporte émotion et vérité et contribue à ancrer l’œuvre dans une rassurante intemporalité.
De manière très simplifiée, voici ce que nous conte le livre « l’Annonce faite à Marie ». Violaine, fille d’un riche paysan, présente ses adieux à Pierre de Craon, bâtisseur d’églises avec lequel elle a eu maille à partir. Celui-ci, malade de la lèpre, lui inspire de la pitié et avec imprudence, elle lui adresse un chaste baiser. Funeste décision. Dans le même temps, son père qui a ressenti un appel divin part en pèlerinage pour Jérusalem. Avant de partir, il fiance Violaine à Jacques Hurry, un jeune adopté par la famille, déclenchant par cette décision, la colère de Mara, sa sœur, qui convoitait Jacques. Elle intrigue auprès de lui, et finit par provoquer le départ de Violaine pour la léproserie de Géyn. Quelques années plus tard, les deux sœurs se retrouvent et Violaine sauve par miracle la petite Aubaine, fille de Mara et de Jacques. Cela ne suffira pas à apaiser l’ire de Mara qui tente de la tuer en la précipitant dans une sablière. Pierre de Craon, guéri de sa lèpre, revient et trouve Violaine agonisante. Elle lui avoue son amour et le supplie de pardonner sa sœur avant d’exhaler son dernier souffle.
Le parallèle entre Violaine et la vierge Marie saute aux yeux, elles s’inscrivent toutes les deux dans l’acceptation et dans le sacrifice. Elles donnent toutes les deux la vie, Marie dans une obscure crèche de Judée Samarie, Violaine en ressuscitant l’enfant de sa sœur, mais cela sans subir la flétrissure de la chair. Vous l’imaginez bien, interpréter des rôles aussi complexes relève du défi, et pourtant là encore c’est un pari gagné. Els Janssens Vanmunster, dans le rôle de la mère, Elisabeth Vercors, propose une interprétation sensible et digne, elle est une mère dans toute sa dimension sacrificielle.Charles Rice, en jacques Hurry et Vincent Bouchot en Pierre de Craon sont deux prétendants que rassemble la même désillusion, mais l’un laisse sa foi vaciller, alors que l’autre est sauvé pour avoir su la préserver.Nos deux interprètes, servis par des voix d’excellente tenue, plantent deux personnages d’une remarquable exactitude. Dans le rôle du père, Anne Vercors, Marc Scoffoni fait merveille et il est intéressant de le découvrir dans une esthétique musicale si éloignée de celles dans lesquelles il évolue habituellement.
La performance vocale de Sophie Burgos dans le rôle de Mara Vercors est digne de bien des louanges et sa partition lui impose des aigus stratosphériques qu’elle domine avec un louable brio. The last, but not the least, évoquons la prestation de la remarquable Raphaële Kennedy.Si la partie vocale de son interprétation nous laisse plutôt bouche bée, sa dimension théâtrale est proprement époustouflante et lors de la rencontre avec sa sœur au cours de l’acte trois, elle atteint des sommets d’intensité dramatique qui laissent tout un public figé de stupeur et d’admiration. Par cette vision, si puissamment habitée, elle sera, mais vous vous doutiez de cela, notre petit coup de cœur de la soirée. C’est également un bel exploit auquel se livre Célie Pauthe à la mise en scène.Tenue par une obligation de lenteur, elle réussit néanmoins à dérouler l’intrigue dans une visible fluidité et se met totalement au service de la narration. On reste irrémédiablement accroché à sa vision deux heures trente sans se lasser. Trop fort !
Considérant qu’avec Angers-Nantes opéra, Rennes a participé activement à la genèse de cette œuvre, il est aisé de comprendre la fierté qu’affichait Matthieu Rietzler, directeur de l’opéra de Rennes, à l’issue de cette étonnante représentation. Philippe Leroux pour sa première création dans le domaine de l’opéra a frappé très fort et pour reprendre l’expression consacrée « Pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître ! ».
L’Annonce faite à Marie – Philippe Leroux et Célie Pauthe – Angers Nantes Opéra
Commande : Angers Nantes Opéra
Coproduction : Angers Nantes Opéra, Opéra de Rennes, Ircam-Centre Pompidou
Avec le soutien du Fonds de création lyrique (SACD)
DISTRIBUTION
Direction musicale Guillaume Bourgogne
Mise en scène Célie Pauthe
Assistant à la direction musicale Rémi Durupt
Assistance à la mise en scène Solène Souriau
Scénographie Guillaume Delaveau
Électronique Ircam Carlo Laurenzi
Diffusion sonore Ircam Clément Cerles
Costumes Anaïs Romand
Lumières Sébastien Michaud
Images François Weber
Dramaturgie Denis Loubaton
Livret Raphaèle Fleury d’après l’œuvre de Paul Claudel
Violaine Vercors Raphaële Kennedy, soprano
Mara Vercors Sophia Burgos, soprano
Elisabeth Vercors Els Janssens Vanmunster, mezzo-soprano
Anne Vercors Marc Scoffoni, baryton
Jacques Hury Charles Rice, baryton
Pierre de Craon Vincent Bouchot, ténor
Ensemble Cairn
Construction du décor et fabrication des costumes Angers Nantes Opéra
Photos : Martin Argyroglo