L’Or, la pépite de Blaise Cendrars brille toujours autant du haut de ses 100 ans

Blaise Cendrars

Il y a un siècle, Blaise Cendrars publiait L’Or aux éditions Grasset. De novembre à décembre 1924, Cendrars le poète est devenu romancier en écrivant ce qui sera son premier roman. Une pépite à relire… ou découvrir !

Blaise Cendrars, Frédéric Sauser de son vrai nom, passe les derniers mois de l’année 1924 dans sa maison du Tremblay- sur-Mauldre. L’écrivain en parcourt les environs à bord de son Alfa-Romeo rouge (carrossée par Georges Braque !), accompagnée à son bord de sa fidèle chienne samoyède. Et quand il n’est pas au volant de son bolide, notre poète écrit. Et va se faire romancier, pour la première fois de sa vie d’écrivain, composant fiévreusement L’Or en une quarantaine de jours, seulement ! Le vibrant écrivain, aux mots de braise, de cendre et d’ardeur, d’où peut-être ce pseudonyme qui lui va si bien, proclamait déjà dans L’Homme foudroyé : « L’écriture est un incendie et la spontanéité du feu reste mystérieuse ».

Et c’est un voyage au Brésil, ce Rouge Brésil cher à notre romancier Jean-Christophe Ruffin, accompli à quatre reprises au cours des années 20, qui sera le déclic de sa vocation de romancier. Le pays l’inspire, et c’est même là qu’il a séjourné le plus longtemps et le plus souvent hors de France : « C’est [le mécène Paulo] Prado qui m’a initié à l’histoire du Brésil et m’a inculqué l’amour de son peuple et de son pays, dont je devais subir l’influence au point que je considère le Brésil comme ma deuxième patrie spirituelle. » Parcouru « de son pas de chercheur d’or », disait Jean Cocteau – et l’on ne saurait mieux dire -, fasciné par ce pays merveilleux, clamera-t-il sans cesse depuis son premier voyage, il y débarque en janvier 1924, invité outre-Atlantique par un ami, le poète Oswald de Andrade, et consacrera au nouveau Monde lusophone une suite de reportages destinés d’abord à la presse française – L’Illustration et Excelsior -, mais aussi à la presse brésilienne, América Brasileira. Cendrars, parmi ses projets lointains, avait ainsi un motif concret et une opportunité superbe de traverser l’océan: « Dans tous les cas ce voyage ne sera pas perdu, puisque j’y vais pour un journal. » Notre romancier-voyageur écrira donc sur la civilisation brésilienne, ses mouvements artistiques et modernistes, sur sa littérature, sans oublier… le traditionnel et flamboyant Carnaval de Rio !

Pierre-Jean Jouve, séduit par les reportages de Cendrars, en donnera cette belle appréciation : « Vous inventez un genre à vous, vous donnez la matière poétique brute et vive et vous renouvelez la note de voyage. » Cendrars sera reçu dans la haute société comme il fréquentera aussi les quartiers populaires. Accueilli régulièrement dans les demeures de la haute société de São Paulo, les Clubs comme l’Automobile Club, il y rencontrera les plus brillantes personnalités. Il s’introduira dans les favelas, interrogera les gens de la rue, visitera les prisons et côtoiera ainsi toutes les classes sociales, lira les journaux et la littérature populaire développée dans les folhetos de cordel.

Quarante jours de rédaction suffiront donc après plus de douze années de mûrissement du projet. Le tout jeune Frédéric Sauser, notre futur Cendrars, affectueusement prénommé Freddy, aurait lu dans son enfance un texte sur un certain Suter, paru dans Le Messager boiteux, un almanach né au XVIIè siècle en Allemagne mais lu aussi en France. Suter, aventurier singulier, fit fortune en Californie, disait l’article, en exploitant au mieux les ressources agricoles du pays. « D’innombrables troupeaux paissaient dans les grasses prairies. Les vergers regorgeaient de fruits. Dans les potagers, les légumes du vieux monde voisinaient avec ceux des contrées tropicales. Partout des fontaines et des canaux. Tout le monde était à son travail. Il régnait partout le plus bel ordre » écrit Cendrars dans son roman. Notre prospère agriculteur se verra bientôt à la tête « du plus grand domaine des Etats d’Amérique du Nord ».

Notre homme tomba un jour de janvier 1848 sur un filon aurifère. Gardant l’information pour lui et quelques amis, Suter ne put empêcher le bruit de se répandre auprès des conquérants de cet Ouest californien et la fièvre de l’or gagna sans tarder des esprits dès lors obsédés par ce métal jaune qui allait vite et sans efforts, pensaient-ils tous, les enrichir bien plus et bien mieux que le rugueux travail de la terre. Chacun s’emparera alors, hors de toute légalité, du moindre lopin de terre que Suter avait jusqu’alors laborieusement et honnêtement conquis et exploité pour y chercher furieusement cet or qui mettait ces conquérants d’un nouveau genre hors de contrôle et hors d’eux-mêmes. Suter, l’homme le plus riche du pays, « premier milliardaire américain », allait se voir peu à peu dépossédé de ses terres agricoles désormais accaparées, fouillées, retournées, pillées et saccagées par des colons assoiffés d’or, sans foi ni loi. «  Johann August Suter est alors ruiné par un coup de pioche. Il a quarante-cinq ans. »

Frédéric, ou Freddy Sauser, dit Cendrars, était l’ami du sculpteur suisse Auguste Suter, homonyme du héros ressuscité par notre romancier. En 1912, Auguste Suter envoya à l’ami Freddy une brochure en allemand intitulée Général Job. Aug. Suter et signée d’un certain Martin Birmann, dont Cendrars donnera d’ailleurs le nom à un personnage de L’Or. « Quel grand destin a été celui de votre aïeul ! » répondit Cendrars, persuadé que son ami était un descendant du général. « Un homme ruiné par la découverte de l’or ! Magnifique ! Magnifique ! Magnifique ! » En 1915, depuis les tranchées, il écrira à Suter : « Il n’y a plus que des choses comme les aventures du général Suter qui m’intéressent encore. » En avril 1916, il recherchera et demandera à Suter des documents sur cet ancêtre et en 1917, il portera sur lui un calepin où il ébauchera la « merveilleuse histoire du général Johann Auguste Suter ». En mars 1925, la maison d’édition Grasset sera le premier éditeur du roman. Cette date et le Brésil auraient-ils été l’étincelle enflammant la veine romanesque de Cendrars ? Il faut le croire… L’éditeur Henri Jonquières le publia en 1929, avec des illustrations de Jean Oberlé. Le Livre moderne illustré l’édita peu après, en 1931, avec des bois originaux de François-Martin Salvat.

L’Or doit beaucoup à la brochure de Martin Birmann, mais elle est une œuvre de Cendrars. Dès parution, la critique saluera cette figure de général : « Une destinée née sous la patte velue d’un Dieu qui s’amuse » lira-t-on le 16 avril 1925 dans un numéro de L’Homme libre, un journal fondé en 1913 par Georges Clémenceau. Dans la NRF, Joseph Delteil, le premier, dressera un parallèle entre le personnage et l’auteur, non sans souligner que c’en était fini du Cendrars des « Poèmes élastiques ». Le succès ne faiblira pas et Cendrars, le poète, deviendra alors un romancier reconnu de notre histoire littéraire, auteur d’une dizaine d’œuvres de fiction à la fin de sa vie.

Le livre de Cendrars était matière idéale à un film d’aventure, qui se fera en 1934, sous la direction d’un réalisateur autrichien, Karl Hartl. Sans grand succès. Une traduction américaine, Sutter’s Gold, paraîtra en 1926. Bientôt tous les Suter, Sutter ou Souter de Californie accableront Cendrars de multiples revendications : les héritiers supposés ou présumés du général sentiront la bonne affaire et flaireront la masse d’argent à engranger ! Les historiens américains pointeront les erreurs factuelles commises par le romancier français, et la Congrégation morave évoquée dans L’Or s’indigneront que l’on ait « calomnié impitoyablement le caractère d’une très noble secte religieuse ». « J’ai fait œuvre d’artiste » se justifiera le romancier. Je n’ai pas écrit la biographie de Suter, dira-t-il en substance, mais sa « merveilleuse histoire ». La traduction russe de Victor Serge aurait même convaincu Staline de faire prospecter les gisements aurifères de l’Union soviétique ! Vrai ou faux ? « Il ne faut rien exagérer », précisera Cendrars, amusé, ajoutant tout de même : « D’autres témoignages insistent sur ce point… »

Un siècle après sa première édition, ce vrai roman d’aventures, magnifié par la plume d’un poète, garde un inépuisable charme. Alors, lisez ou relisez ce roman, si vous êtes de ces lecteurs insatiables de pépites littéraires !

Découvrir L’Or de Cendrars en livre audio sur YouTube. Texte enregistré par Jean Servais

À lire :

-Roig (Adrien) : « Blaise Cendrars reporter au Brésil et reporter du Brésil », édité par Michèle Touret, PURennes,1998.

-Blaise Cendrars : Œuvres romanesques complètes précédées de Poésies complètes, Tome 1, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1696 p., 2017.

-Blaise Cendrars, L’Or, Gallimard, collection de poche Folio, 1973.

-Blaise Cendrars, Le Brésil, des Hommes sont venus, Gallimard, collection de poche Folio, 2010.

Remerciements à Dominique Autrou qui nous a indiqué la référence et l’iconographie de l’édition illustrée de L’Or par François-Martin Salvat.

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