Dans cet ouvrage d’art intitulé Attraper la course Lorenzo Mattotti multiplie les variations graphiques pour saisir un mouvement éphémère, le temps de suspension dans l’air généré par la course à pied. Magnifique.
Il ne manque plus que le son: le halètement de la respiration dans l’effort, le martèlement des semelles des chaussures de course sur le sol. Vous êtes là, au bord de la route, le long de la piste en tartan, vous êtes spectateur. Vous courez les bras collés à vos adversaires, à vos compagnons, vous êtes compétiteur, vous vous entraînez. Vous êtes coureuse et coureur à pied, vous lancez cette alternance rapide de foulées qui survient dès les premiers pas après la naissance. Vous allez où? Vers qui? Peu importe, vous courez comme vous respirez, comme vous mangez, comme vous dormez. Vous êtes vivant et c’est bien cet hymne à la vie que déploie dans ce magnifique ouvrage, Lorenzo Mattotti.
Le dessinateur, peintre, illustrateur, grand maitre reconnu du 9ème art, a exposé en début d’année au musée d’Angoulême, cette ode à la course pédestre, dont les peintures, dessins, aquarelles de toutes techniques et de tous formats, se retrouvent dans ce superbe livre à la fois catalogue d’exposition et ouvrage d’art.
Parfois l’homme est seul dans la nature. Il tire sur les bras, sa foulée s’allonge, elle semble interminable. Il ressemble au Chat Botté et à ses bottes de sept lieues.
Parfois, la femme est dans un groupe, on ne distingue qu’un corps multiple, dense où s’échappent par le haut, ou par le bas, un bras, une jambe. Elle ressemble à un mille-pattes tout juste sorti de son cocon.
Parfois, ils sont nombreux, multiples, indénombrables et forment une masse compacte d’où jaillissent couleurs violentes et masses sombres.`
Lorenzo Mattotti ne donne pas de visages à ces athlètes. Pas de rictus de souffrance ou de regards exorbités par l’effort. C’est le corps et surtout les jambes, le buste, les bras qui disent la tentation d’aller de l’avant, d’aller en avant vers une ligne d’arrivée imaginaire ou l’ombre rafraichissante d’un arbre d’un parc.
Le mouvement est saisi et l’on imagine les centaines de photos qui ont du être observées, détaillées avant de servir de silhouettes aux athlètes de papier. A la cambrure d’une athlète et au pied frappant le sol, on croit même reconnaitre Florence Griffith-Joyner mais peut être ne s’agit il que de la voisine d’à côté qui termine sur la piste une séance de fractionné?
C’est l’humanité entière qui est ainsi figée, celle qui cherche dans la course une forme d’émancipation, de libération. Même dans les rues des villes, les coureurs de Mattotti semblent hors du monde et du temps.
Quand le bleu domine on pense aux danseurs de Matisse. Quand les corps ressemblent à des cubes on pense à des Arlequins de Picasso. Quand les volutes noirs des ciels s’activent sur la page, on pense à l’expressionnisme de Munch. Quand l’ocre s’impose on pense aux dessins des grottes préhistoriques.
On ne peut s’empêcher de se demander vers quel but courent toutes ces femmes et tous ces hommes? Mattotti ne matérialise jamais les couloirs sur la piste ou la ligne d’arrivée. Toutes et tous courent dans l’absolu. Les porteurs d’une possible flamme olympique errent seuls dans la ville, dans la nature, dans des lieux désertés comme si le symbole apportait la lumière lors de son passage à un monde de ténèbres.
Le dessinateur, illustrateur, peintre italien multiplie les techniques, les supports comme pour répondre aux multiples formes et motivations de la course à pied. Pastels doux et dégradés, volutes noires à l’encre de chine, crayons de couleurs aux traits distincts, il réussit sur un thème unique et restrictif à donner une vitalité puissante à cet exercice physique universel.