En ce 8 mars 2024, journée internationale des droits des femmes, la rédaction célèbre différentes figures féminines, d’ici et d’ailleurs, qui ont marqué l’histoire, mais dont leur récit reste parfois méconnu. Parmi elles, Louise Bodin, La Bolchévique aux bijoux, dont Colette Cosnier avait consacré un ouvrage, republié aux éditions PUR en mars 2023. Femme du XXe siècle, l’universitaire et féministe française a consacré l’essentiel de ses recherches aux femmes du XIXe siècle. Parmi elles, Louise Bodin, journaliste, auteure, militante remarquable et la voix des femmes à Rennes au début du siècle dernier.
Parue une première fois aux éditions Horay en 1988, la biographie de Louise Bodin retrouve une seconde jeunesse près d’un demi-siècle plus tard avec cette nouvelle publication aux éditions PUR. Une rue à Saint-Jacques de la Lande et une crèche square de Copenhague à Rennes portent aujourd’hui son nom, mais connaissez-vous réellement ce nom ? Peut-être reste-t-il encore trop méconnu… C’est pourtant une de ces vies qui racontent l’histoire de notre ville. La vie dans la capitale bretonne avant 1914 est ici racontée à travers le récit d’une femme témoin de son temps.
Louise Berthaut de naissance est née à Paris en 1877 et décédée à Rennes en 1929. Celle qui était surnommée « la bonne Louise » par les militants ouvriers rennais, et « La Bolchévique aux bijoux » par ceux qui remettaient en cause son engagement de par son origine sociale, fait partie de l’histoire de Rennes. Dans sa préface, Edmond Hervé annonce mieux connaître sa ville au terme des pages du présent ouvrage. Quelle meilleure incitation à la lecture que de lire ces quelques mots de la plume de celui qui a œuvré pour la ville en tant que maire pendant près de 30 ans (de 1977 à 2008) ?
Le nom Bodin lui vient de son mari Eugène Bodin, jeune médecin rennais. Enfant de la capitale, Louise arrive en 1897 à Rennes et devient Mme Bodin en 1898. Elle emménage alors quai Chateaubriand, mais, comme elle le dira elle-même, il n’y a malheureusement que le nom de romantique… la ville n’est à l’époque pas des plus attrayantes. La Vilaine, « purée pestilentielle », porte bien son nom.
Relativement peu de choses sont écrites sur elle. « Haïe par la bourgeoisie, mal acceptée par les autres », telle est définie la jeune femme par le politique Charles Tillon dans On chantait rouge (1977). Connue pour être journaliste féministe, pacifiste, suffragette, socialiste, sympathisante trotskiste, elle n’était peut-être pas destinée à suivre ce chemin politique, elle, la privilégiée débarquée de Paris qui détestait la République et admirait Édouard Drumont dont elle partageait l’antisémitisme. « Louise et son mari sont très affectueux mais ils ont tous deux des idées tellement opposées aux miennes en politique et en religion que les conversations s’en ressentent un peu », écrit d’ailleurs sa cousine Lucile Ducuing dans une lettre à son mari du 2 septembre 1898. Elle suit de loin ce que vit la population alors que la capitale bretonne va prochainement vivre le deuxième procès de Dreyfus. Mais à l’entente des battoirs des laveuses dans le froid matinal, entre autres, un changement d’opinion s’opéra dans les années qui suivirent.
Après avoir pris conscience de son statut de privilégiée et de la dure réalité qu’affrontent les femmes, Louise Bodin a voué sa vie à la lutte pour l’égalité et la dignité des femmes jusqu’à devenir « une de ces femmes (ô, Simone de Beauvoir), à qui nous devons ne plus avoir honte d’être des femmes. » De quelle manière ? Par l’écriture principalement.
« Chaque fois que la femme a voulu obtenir un droit égal à celui de l’homme dans le domaine de l’esprit, elle a vu se dresser devant elle, en mauvais adverses, ceux qui sont ses père, frère, mari, fils ou amant, ceux qui lui offrent des fleurs et qui lui baisent les mains. Mais nulle n’a été plus cruellement critiquée, ridiculisée, voire insultée que la femme qui écrit. »
Louise Bodin, « Les Idées féminines », La forge, janvier 1919
Son père adorait les livres, elle les aimait bien aussi. Elle a fait des études de Lettres à la Sorbonne, était passionnée par l’écrivain et critique dramatique français Jules Lemaître, certes peut-être pour les mauvaises raisons (ce dernier étant fondateur de la Ligue de la patrie française qui prend parti pour Barrès contre Dreyfus). Néanmoins, peut-être est-ce de cet héritage familial et de son admiration pour un critique littéraire que lui vient sa plume et le plaisir d’écrire. Son écriture se résume d’abord à des correspondances avant de passer à la critique littéraire en 1912. Les comptes rendus d’Amphisbène d’Henri Régnier, Trois Écharpes du jardin du roi, Mme de Loynes, etc. paraissent dans Les Nouvelles Rennaises. « On provoque un mouvement de curiosité parce qu’on est une femme et que les femmes de lettres sont encore une espèce rare en province. » (Louise Bodin, Les Petites provinciales, 1914)
En mars 1913, des Rennaises forment un groupe local de l’Union française pour le suffrage des femmes, structure indépendante de tout parti politique et opinion politique et religieuse. Parmi elles, Mme Eugène Bodin bien entendu. « Ainsi fleurit à Rennes un nouveau sujet de conversation : celui du droit de vote pour les femmes. Nous est d’avis qu’avec les propagandistes dont elle dispose, cette mode se portera beaucoup ce printemps », conclut dans un article le journaliste Marc Salla. Pour autant, cette mode perdurera et de plus en plus de femmes la rallieront.
Entre extraits de lettres ou d’articles et photos, Colette Cosnier dresse le portrait d’une femme de lettres combattante, témoin de son temps et de sa ville. Son premier roman Les Petites Provinciales publié en juin 1914 est, comme le souligne Yves Lefevbre, « un document […] dans ce livre d’une Parisienne devenue bretonne, il y a, me semble-t-il toute l’âme du Rennes parlementaire et universitaire, elle au moins que nous pouvons l’imaginer dans la rectitude bourgeoise de ses larges rues, de ses quais monotones, de ses hôtels un peu sévères ». Deux mois plus tard, la France entre en guerre. Son mari devient médecin-chef des Armées le 28 août 1914, elle infirmière-major à l’hôpital de Rennes en 1915. Cette période marquera un changement dans l’écriture de la femme qu’est Louise.
Colette Cosnier, dont on ne peut nier les qualités d’historienne, donne à voir la vie à Rennes avant la Grande Guerre à travers les yeux de Louise Bodin, mais aussi sa lutte constante pendant et après cette dernière. Malgré les railleries dues à son origine sociale, elle ne souhaite qu’une chose : révéler la révolte des mères, des femmes. Et c’est ce qu’elle fait à partir de 1916. Sa voix se joint à celles des écrivains Stefan Zweig et Romain Rolland. Dans un petit journal radical d’abord, La France puis dans Les Hommes du jour, « le dernier journal libre » selon l’écrivain Romain Rolland. En octobre 1917, elle fonde le journal féministe La Voix des femmes dont la directrice est Colette Reynaud. Louis Bodin devient la rédactrice en chef le 1er mai 1918, qu’elle quitte en 1921. Son écriture reflète dorénavant son engagement militant dans un combat pacifiste, un prolongement de ses premières aspirations puisque, sans la guerre, elle se destinait tout de même à la critique.
Sans langue de bois, Louise Bodin blâme les bourgeoises qui critiquent les femmes qui triment au travail et osent s’offrir quelconque récompense méritée… « Votre sommeil, votre bonheur, votre quiétude sont faits de leur peine quotidienne ; vous devez à leur labeur la sécurité de votre patriotisme verbal. » (« Voyons Femmes », La Voix des femmes, 5 décembre 1917).
Dans des textes forts et particulièrement bien écrits, elle a défendu tous les combats féministes, ce qui l’a d’ailleurs amenée à protester en 1920 sur le vote de la loi contre l’avortement et la contraception. Impitoyable et indignée dans ses mots, la journaliste qu’elle était s’est attachée à rendre visible la parole politique des femmes, ne cessant de réclamer le droit de vote, et ceci même avant la guerre. Elle a aussi écrit sur les munitionnettes, femmes de l’arsenal qui fabriquaient les munitions pendant la Première Guerre mondiale. Louise Bodin n’a jamais hésité, non plus, à s’en prendre à la domination masculine. « La bonne Louise », la rédactrice en chef Louise, la citoyenne Louise Bodin ou la camarade Bodin était la voix des femmes que les éditions PUR donnent à redécouvrir aujourd’hui…