Le 1er août 1953, le Congrès des États-Unis d’Amérique vote la House Concurrent Resolution 108. Cette loi revient sur les accords conclus avec les tribus indiennes en mettant fin aux aides fédérales et en appelant chaque Indien à devenir citoyen américain. Truffés de mots compliqués, sa finalité est bien de dissoudre les tribus et de s’approprier le reste de leurs terres. Patrick Gourneau, le grand-père de Louise Erdrich a lutté vaillamment contre l’application de cette loi. Il inspire ici le personnage de Thomas Wazhashk, celui qui veille sur le bien de la tribu de Turtle Mountain dans le Dakota du Nord.
Louise Erdrich défend la culture amérindienne depuis des décennies en y consacrant son oeuvre. Ici, elle compose un roman polyphonique avec les habitants de Turtle Mountain, mêlant témoignage historique et histoires romanesques et rythmées, le tout imprégné de la culture ancestrale des tribus indiennes.
Thomas Wazhashk et Pixie Paranteau sont les deux figures principales autour desquelles gravitent de nombreux personnages. Pixie Paranteau tient à ce qu’on l’appelle Patrice. Employée à l’usine de pierres d’horlogerie comme bon nombre de femmes du village, elle fait vivre sa mère et son jeune frère Pokey. Son père, un ivrogne violent, a quitté le foyer, mais tous tremblent de le voir revenir. Vera, sa soeur aînée, a disparu. Enceinte, elle a suivi son fiancé à Minneapolis. La ville est un enfer pour les Indiens qui s’y risquent. Patrice et sa mère ont convoqué les esprits et elles savent qu’elle est en danger. Alors que Patrice se démène pour retrouver sa soeur, Thomas, veilleur de nuit, se bat pour empêcher l’application de la Termination (assimilation des Indiens suivant la loi 108). Il ne cesse d’écrire aux politiques pour trouver des soutiens. Il se renseigne sur l’instigateur de la loi, le sénateur mormon Arthur V. Watkins.
Avec quelques membres de la tribu, il se rend à Fargo pour une grande réunion avec les représentants du Bureau des Affaires indiennes d’Aberdeen. En organisant un tournoi de boxe avec le jeune Wood Mountain, il finance le voyage jusqu’à Washington pour défendre la cause de la tribu face au sénateur Watkins. Au détriment de sa santé, cet homme, avec les compétences de tous ses amis, s’est battu jour et nuit pour défendre sa terre et sa culture.
« Le gouvernement se comportait comme si les Indiens leur devaient quelque chose, alors que c’était plutôt le contraire, non ? »
La romancière tisse son histoire patiemment, en parallèle du combat de Thomas, et nous fait ainsi comprendre dans la vie quotidienne des habitants l’attachement à la terre et à la culture ancestrale. Chacun vit avec les fantômes de ses êtres chers. Zhaanat, la mère de Patrice invoque les esprits et connaît les pouvoirs des plantes de cette terre. Qu’ont-ils à faire des religions que l’on souhaite leur imposer ? Ils ont leur propre religion basée sur des histoires anciennes.
« Ici, nous sommes liés aux gens des temps anciens de tellement de façons. Peut-être qu’une personne d’alors a touché ces coquillages. Peut-être que les petites créatures qu’ils contenaient se sont désintégrées dans la terre. Et qu’une infime partie de ces créatures est aujourd’hui en nous. Ces choses-là échappent à notre savoir. J’éprouve un sentiment de paix à savoir que notre attachement à cet endroit remonte à si longtemps, dit Wood Mountain. »
Le grand-père de Louise Erdrich faisait partie de la première génération née sur la réserve. Les troupeaux de bisons ne sont plus que souvenirs. L’assimilation n’a apporté que de nouvelles façons de mourir bien moins glorieuses comme la tuberculose ou l’alcoolisme. Avec la loi de 1953, cent treize nations subirent le désastre de la termination. Cinq-cent-soixante-dix mille hectares de terres ancestrales de terres tribales furent à nouveau perdues.
« Aussi longtemps que l’herbe poussera et que l’eau des rivières coulera », Louise Erdrich défendra la mémoire des Amérindiens. Ce roman est un bel hommage à son grand-père. Cet homme prompt à sauver sa terre et son peuple d’une loi inique aux mots incompréhensibles est un symbole de courage et d’espoir pour tous ceux qui refusent les abus des puissants.
Unanimement considérée comme l’un des grands écrivains américains contemporains, Louise Erdrich est l’autrice d’une œuvre majeure, forte et singulière, avec des romans comme La Malédiction des colombes (Albin Michel, 2010, traduit par Isabelle Reinharez) et Dans le silence du vent (Albin Michel, 2013, traduit par Isabelle Reinharez). Distinguée par de multiples récompenses littéraires au fil de sa carrière, dont le National Book Award, le Library of Congress Award et le National Book Critics Circle Award, elle s’est vu attribuer le prix Pulitzer de la fiction 2021 pour ce nouveau roman, The night watchman (Celui qui veille).