La langue des signes française, ou LSF, est utilisée par plus de 100 000 personnes en France. Langue à part entière, elle est dotée d’une syntaxe et d’une grammaire qui permet des inventions artistiques et des détournements littéraires. La LSF est considérée, depuis 2008, comme « langue de la République ». Pourtant, elle peine à se faire connaître et reconnaître. En Bretagne, notamment à Rennes, plusieurs structures, entreprises ou associations, encadrent l’apprentissage et l’exercice de cette langue. Tour d’horizon.
Les origines d’un malentendu
Nous avons pris langue et rencontré Philippe Angele, directeur de Visuel Bretagne, un centre de formation de la LSF sis à Rennes. Un interprète traduisait notre conversation. Le directeur tient à ce que la singularité de cette langue – la beauté du geste, pourrait-on dire – soit exprimée.
« On la parle depuis la nuit des temps », signe-t-il en souriant. Pourtant, il constate « un manque de reconnaissance » à l’égard de la LSF, particulièrement en France. Il nous l’explique par un aperçu historique stimulant. « Avant 1880, les sourds avaient un bon niveau : les sourds étaient bien instruits et faisaient des métiers intellectuels », nous raconte-t-il. En 1760, L’abbé Charles Michel de l’Épée fut le premier entendant à s’intéresser à une véritable langue des signes. Il est à l’origine d’une instruction collective et de l’institut national des jeunes sourds.
« Un congrès s’est tenu à Milan, en 1880, organisé à l’insu des personnes sourdes, poursuit Philippe Angele. L’objectif, c’était de montrer que, grâce à une éducation oraliste, on pouvait faire parler les sourds. Un vote a décidé que la langue des signes devait être interdite pour l’instruction des sourds. Aux Etats-Unis, ce fut le contraire. La langue des signes a continué à se pratiquer. C’est à partir de là que l’Europe a pris beaucoup de retard, notamment par rapport aux Etats-Unis ». Aujourd’hui encore, le manque de reconnaissance se fait sentir. Philippe Angele constate : « En ce moment, nous vivons une période d’élection présidentielle : nous n’avons pas accès aux débats et programmes des candidats. Nous sommes très peu informés ».
Les structures en Bretagne
Aujourd’hui, il convient de rattraper ce « retard ». Pour « habiter une langue », selon l’expression de l’écrivain Cioran, il faut avant tout en apprendre les règles. Visuel, « créé en 1990 à Paris », avait pour objectif « d’harmoniser l’enseignement de la langue des signes ». A Rennes et en Bretagne, Visuel réunit chaque année environ 2500 personnes. La formation « suit les objectifs des cycles A1, A2, B1, B2 du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL) ». « Nous avons un certain nombre de formations qui s’adressent à tous les publics, aux parents, aux enfants, sourds, malentendants ou non, aux salariés, à tous ceux qui veulent venir apprendre la langue des signes. Ils peuvent venir dans nos locaux. Nous nous déplaçons aussi, à l’extérieur, en Bretagne, notamment dans les entreprises, pour sensibiliser » nous explique Philippe Angele.
D’autres entreprises ou associations offrent des formations à Rennes et en Bretagne, notamment Urapeda. On sait que l’Université de Bretagne Occidentale propose une formation professionnelle en deux ans. Un annuaire en ligne donne une liste non exhaustive mais vraiment complète des structures bretonnes liées à la LSF. La langue des signes française a trouvé sur internet un moyen d’expression nécessaire. Malgré la fermeture de web sourd, le premier média à destination des sourds et malentendants, on trouve d’autres plateformes et sites : chaînes YouTube, dictionnaire vidéo en ligne, cours en ligne, recherche d’emplois.
Des usages de la LSF
L’usage de la LSF se satisfait à elle-même : comme langue, elle est riche en expressions et, dans son cas, en expressivité. Elle s’avère même surprenante : l’amour, par exemple, figure deux mains, comme des marionnettes, dont les deux bouches se font un baiser. Nicolas Sarkozy est quant à lui représenté par la forme pointue de ces sourcils ! Plusieurs phénomènes, de tradition oraliste, tendent à gommer la singularité de cette langue. Or, elle est régie par des règles internes particulières. Prenons le temps, dans la LSF : comme il n’existe pas de conjugaison, le signeur situe l’action sur une ligne temporelle. De même, sa grammaire est en 3D, ce qui permet d’exprimer plusieurs idées de manière simultanée.
Comme nous l’explique Philippe Angele, l’une des grandes préoccupations de Visuel touche au « monde du travail ». Les sourds ou malentendants peinent, non seulement à occuper certains postes, notamment qualifiés, mais se retrouvent souvent, au travail, en situation d’isolement. La sensibilisation et l’offre de formation proposent aux acteurs du monde du travail d’acquérir au moins les bases de la LSF.
Et la culture ? Est-elle accessible aux sourds et malentendants ? A Rennes, aux Champs Libres, des efforts sont réalisés pour faciliter l’accès à la culture pour les sourds et malentendants : boucle magnétique, rendez-vous en LSF ou encore un pôle culture sourde à la bibliothèque. Entre autres, plusieurs institutions culturelles proposent des temps forts autour de la LSF, comme le Triangle ou le Théâtre du Cercle. Plusieurs figures nationales et locales oeuvrent à donner à cette langue ses lettres (signées) de noblesse. Pensons à la comédienne Clémence Colin ou, plus originale, la rappeuse Laëty, qui traduit le hip-hop en langue des signes française.