MAGNUM MANIFESTE, L’AGENCE PHOTO CHEZ ACTES SUD

Avec la publication de Magnum Manifeste, les éditions Actes Sud donnent vie et sens au collectif qui anime la plus légendaire agence photo du monde. Un ouvrage somptueux à regarder et à lire.

MAGNUM MANIFESTE

Le 22 mai 1947 étaient promulgués les statuts de l’agence photographique Magnum, agence qui allait devenir LA référence photographique des décennies suivantes. Pour fêter l’anniversaire de ce septuagénaire, les éditions Actes Sud, plutôt que de faire éclater les bulles de champagne qui ont présidé de manière mythique et erronée à la création de ce groupement inédit de photographes, ont préféré innover en publiant un livre qui fera date par le regard neuf qu’il apporte sur ces 70 années de photographie.

MAGNUM MANIFESTE

La démarche était pourtant difficile, car l’histoire de Magnum pétille parfois, mais explose le plus souvent. Magnum c’est surtout du magma en fusion, où l’on trouve des pépites brûlantes, une richesse infinie, mais aussi, quand on y plonge les yeux pour saisir des images iconiques, des instants incandescents. Le premier mérite de cet immense ouvrage est de raconter tous ces mouvements que laissaient pressentir les noms des créateurs.

MAGNUM MANIFESTE
Robert Capa

L’association originelle de Robert Capa, élément moteur de la fondation de Magnum, avec notamment Henri Cartier-Bresson, reflète une des contradictions majeures qui va secouer perpétuellement le collectif de photographes. Le reporter hongrois veut rendre les photographes maîtres de leur production, coller comme dans sa pratique personnelle, à l’événement, privilégier le photo-reportage, vendre aux magazines et aux quotidiens. Le Français, préfère le reportage de fond, saisir l’ordonnancement géométrique de ce fameux « instant décisif ». Aujourd’hui encore pour les 91 photographes cooptés qui composent l’agence le débat subsiste et provoque chaque année des assemblées générales houleuses, où les femmes n’ont pas encore trouvé toute la place qui leur revient. Le parti pris de Magnum Manifeste, en référence aux nombreux documents écrits cités qui tentent de définir l’esprit du collectif, est d’inscrire l’histoire de l’agence dans l’histoire de nos sociétés : les soubresauts de l’une photographiant les soubresauts de l’autre.

MAGNUM MANIFESTE

Le livre est ainsi construit autour des « obstacles » comme les choix entre livres ou journal, expo personnelle ou expression collective, actualité ou reportage de fond, et tant d’autres. Il se distingue ainsi de la plupart des ouvrages traitant de Magnum qui s’attachaient à un choix de photographes majeurs pour lesquels on publiait des photos iconiques ou autour desquels on choisissait des thèmes illustrés comme la guerre, la famine, l’usine. Avec Magnum Manifeste, c’est l’histoire de notre terre et de son évolution dans le temps qui est racontée.

Magnum c’est aussi une mythologie avec ses héros et ses martyrs, ses récits fondateurs et ses tragédies, ses crises et ses renaissances.

Cette mise en perspective, didactique et minutieusement structurée, divise l’ouvrage en trois périodes. La première qui va jusqu’à 1969, celle que Clément Chéroux dans sa lumineuse préface qualifie de « droit de l’hommiste », s’attache à défendre le caractère universel des droits de l’homme. On montre l’individu comme entité unique avec des droits et des libertés à conserver. Sergio Larrain photographie ainsi les enfants déshérités de Santiago, pendant que Elliott Erwitt fige des moments intimes de famille à vocation universelle. De 1969 à 1989, l’humain reste au coeur des thèmes privilégiés par les photographes de l’agence, mais cette fois-ci c’est la figure de « l’autre », celui qui est différent, qui prédomine. Philip Jones Griffiths dresse les portraits d’identité des boat-people pendant que Susan Meiselas suit les strip-teaseuses foraines et Raymond Depardon se mêle aux aliénés de l’asile de San Clemente.

Un seul mot suffit pour la troisième partie, celle qui va jusqu’à aujourd’hui; « fin », fin de l’argentique, fin de la presse papier, fin des utopies, fin de la pêche. On photographie ce qui s’apprête à disparaître comme les formidables Natures mortes communistes de Martin Parr ou la fin du voyage de migrants en Méditerranée de Paolo Pellegrin.

L’agence prédomine ici sur les photographes dont les travaux, en apparence si diversifiés ne font qu’accompagner le mouvement du monde. Cet accompagnement est d’autant plus compréhensible que Magnum Manifeste reproduit souvent les articles de presse dans lesquels ont été publiées les photos. Replacées dans le contexte de l’époque et sous la forme de papier journal elles retrouvent une valeur documentaire que l’on oublie trop souvent. Chez Magnum, une photo doit s’accompagner la plupart du temps d’un texte et on lit ainsi avec surprise un reportage bourré de clichés d’époque dans Génération X : l’Angleterre qui accompagne les portraits photographiques de deux jeunes Anglais par Cartier-Bresson.

Magnum Manifeste pour la première fois donne un sens de lecture à ce monde photographié qui couvre sept décennies et assure le lien entre la photographie d’un gitan et de son cheval de Koudelka et les photographies de la prison de The Maze de Donovan Wylie. Le monde de Magnum comme reflet du monde. Capa, Seymour, Rodger, Cartier-Bresson seraient aujourd’hui probablement heureux de ce constat. Et de ce livre.

Magnum Manifeste, sous la direction de Clément Chéroux en collaboration avec Clara Bouveresse . Éditions Actes Sud. 418 pages. ISBN: 9782330078065.

Actes Sud Beaux Arts
Hors collection
Juin 2017 / 24,5 x 29,5 / 416 pages
Traduit du français par : Daniel DE BRUYCKER
ISBN 978-2-330-07806-5
Prix indicatif : 49, 00€

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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