L’ascension de Junji Ito, maître du manga horrifique

Zone Fantome 2 Junji Ito
Zone Fantôme 2 - Junji Ito (Mangetsu)

Junji Ito, maître du manga horrifique, a captivé les lecteurs français avec ses récits aussi fascinants que terrifiants. De ses premières publications à son ascension ces dernières années, découvrons les secrets de son succès.

Junji Ito

Né en 1963 dans la préfecture de Gifu au Japon, Junji Ito a redéfini l’horreur dans le manga en alliant psychologie et terreur, tant à travers l’écriture que le dessin, dans un style surréaliste, singulier et profondément déstabilisant. Son parcours a débuté dans un domaine inattendu : celui de praticien dentaire. Mais c’est en 1987, à l’âge de 24 ans, qu’il a publié Tomie, sa première série, marquant ainsi son entrée dans l’univers de l’horreur. Le personnage de Tomie, immortelle, séduisante et cruellement manipulatrice, est devenu un tournant décisif dans sa carrière. Junji Ito a ensuite exploré les peurs humaines les plus profondes : l’angoisse existentielle, la peur de la mort ainsi que des phobies physiques telles que l’agoraphobie et la claustrophobie. Inspiré par des maîtres comme Kazuo Umezu, Hideshi Hino et H.P. Lovecraft, il a réussi à déformer le corps humain jusqu’à l’inimaginable, créant ainsi une atmosphère unique où l’étrange se mêle à une terreur pure.

Junji Ito possède un univers particulier, un univers « décalé », comme l’explique Pauline, spécialiste du manga chez Japanim Rennes : « Contrairement aux histoires d’horreur classiques, qui sont un mélange de thriller et d’horreur, l’univers de Junji Ito va au-delà en jouant sur une déformation du corps et une approche psychologique qui perturbe profondément le lecteur. » Elle souligne également la prolifique carrière de l’auteur qui n’hésite pas à aborder des thèmes aussi variés que la critique des religions et des sociétés, tout en maintenant une grande rigueur dans son style de dessin « très propre ».

L'amour et la mort, junji ito
L’amour et La mort – Junji Ito (Mangetsu)

Dans L’Amour et la Mort, Junji Ito plonge dans l’atmosphère brumeuse de la ville de Nazumi. Un étrange rituel de voyance entre adolescents dégénère rapidement en une série de suicides violents, alimentée par la rumeur selon laquelle la Mort se cache sous les traits d’un jeune homme séduisant. Dix récits mêlant amour et tragédie, dont deux histoires glaçantes sur la famille Hikizuri, transportent dans un monde où la passion et la mort s’entrelacent. Dans Décapitées, l’horreur se déploie à travers douze récits terrifiants : des rituels funéraires, des meurtres horribles, et des cimetières peuplés de mannequins macabres plongent les protagonistes dans un abîme de terreur. Enfin, dans sa réinterprétation de Frankenstein, Junji Ito offre une vision saisissante du célèbre roman gothique de Mary Shelley, tout en ajoutant dix récits originaux, dont six consacrés à Oshikiri, un lycéen solitaire vivant dans une demeure hantée par des phénomènes paranormaux de plus en plus terrifiants. Ces trois œuvres témoignent de l’incroyable talent de Junji Ito pour tordre la réalité et créer des mondes où l’horreur frappe là où on ne l’attend pas.

Cette popularité croissante s’inscrit dans un contexte où les séries asiatiques ont connu un grand succès en France, notamment avec Squid Game et Tokyo Revengers. Bien que ces séries aient des atmosphères et des styles différents de ceux de Junji Ito, elles partagent avec ses œuvres une exploration des thèmes de la violence, de la survie et de l’effroi psychologique. Squid Game, avec ses participants forcés de jouer à des jeux traditionnels de l’enfance sous peine de mort, ou Tokyo Revengers, qui plonge dans la violence des gangs de Tokyo et les voyages dans le temps, résonnent avec les mêmes codes de tension, de danger imminent et de mise en scène du macabre que l’on retrouve dans les récits de Junji Ito. Ces séries, en exposant la fragilité de la vie humaine et en manipulant les émotions humaines au travers du genre horrifique, contribuent à un climat propice à l’appréciation des œuvres de Junji Ito.

Les adaptations en films sont nombreuses, mais ce sont les séries d’animation qui ont joué un rôle central dans le succès de Junji Ito en France. Junji Ito : Collection (2018), Anthologie macabre (2023) et la très attendue adaptation de Uzumaki (2024) ont permis de faire découvrir les univers macabres de Junji Ito au-delà des frontières du manga papier. Cependant, ces adaptations ont suscité des débats parmi les fans, notamment en ce qui concerne leur capacité à capturer l’essence de l’œuvre originale.

L’adaptation de Uzumaki (Spirale) se distingue par son choix visuel, avec une esthétique en noir et blanc qui respecte l’univers graphique de Junji Ito. Le mouvement fluide des illustrations et la mise en scène accentuent l’atmosphère oppressante, notamment avec des scènes dérangeantes où les personnages se tordent et se déforment en spirale. La bande sonore, avec sa musique inquiétante et ses silences bien dosés, ajoute une dimension supplémentaire à l’horreur. Toutefois, cette adaptation, qui se compose de seulement quatre épisodes de 30 minutes, peine à reproduire l’évolution progressive du malaise que l’on retrouve dans le manga. L’intensité psychologique et la lente montée de la folie chez les personnages sont difficiles à ressentir dans un format aussi court, ce qui peut atténuer l’effet de tension et de terreur qui fait la force du manga. 

En revanche, l’adaptation de Maniac par Junji Itō : Anthologie Macabre (2023) déçoit sur de nombreux points. Les dessins, loin de respecter l’univers de l’auteur, manquent de détails et l’animation souffre d’une palette de couleurs trop vives, qui rend difficile l’instauration de l’atmosphère sombre et terrifiante propre à l’œuvre d’Ito. La bande-son, bien que présente, ne parvient pas à soutenir l’horreur visuelle, et la mise en scène manque de l’impact psychologique nécessaire pour rendre les histoires aussi glaçantes que dans le manga. Bien que certains épisodes soient un peu meilleurs, l’ensemble de l’adaptation tombe loin de l’intensité horrifique que l’on attendait.

Le prochain Junji Ito, Dans l’Ombre, est prévu pour le 16 avril 2025. En attendant, on a demandé à Pauline des recommandations pour patienter : « Trouver le génie Junji Ito ailleurs, ça va être dur. On peut partir sur de l’horreur, mais ça va généralement être des choses un peu plus barbares. » Pauline conseille notamment de lire Kazuo Umezu, dont les œuvres, comme L’école emportée, explorent également des thèmes d’horreur psychologique. Elle mentionne également Malédiction Finale, un récit où la peur et la malédiction s’enracinent dans le quotidien, une dynamique que l’on retrouve également dans les récits de Junji Ito.

RENCONTRE :

Junji Ito sera l’invité d’honneur manga lors du 24e Impact de Japan Expo, qui se tiendra du 3 au 6 juillet 2025, une occasion rare pour ses fans français de le rencontrer et de célébrer le talent unique de l’un des maîtres du genre horrifique.

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