Le 24 février 1704, en son logement de la Sainte Chapelle, s’éteint Marc Antoine Charpentier, alors âgé de 60 ans et très rapidement, ce musicien parmi les plus en vue de son siècle, tombe dans l’oubli pour n’être exhumé que dans les années 50.
Curieux destin et pourtant cet injuste désamour n’est pas totalement sans explication. Marc Antoine Charpentier entre dès l’âge de 20 ans au service de Marie de Lorraine, princesse de Joinville, duchesse de Joyeuse et duchesse de Guise (1615 – 1688) et prend sans le vouloir fait et cause pour l’ennemi. En effet, elle n’est rien moins que la descendante directe du fameux Duc Henry de Guise, chef de la ligue, qui finira assassiné sur l’ordre du dernier roi de France appartenant à la dynastie des Valois : Henry III. Le pauvre musicien, sans doute meilleur compositeur que politique, écrit pour l’abbaye de Port-Royal, ce faisant il se brûle les ailes sur les braises du jansénisme. Il remplace Lully, alors omnipotent, auprès de Molière, au moment de mettre en musique ses comédies-ballet et cela ne sera pas sans conséquence. En 1683, il se présente au concours qui lui aurait permis de devenir assistant maître de musique à la cour du roi, mais une maladie fort mal à propos l’en empêchera et l’occasion de démontrer son savoir-faire à ses pairs ne se reproduira plus…
On serait bien tenté de croire à la malchance ! En tout cas, ce concours de circonstances l’empêchera de briller au firmament des artistes de son époque et c’est aussi dommage qu’injuste, car l’ensemble Correspondances a démontré avec brio la maîtrise et l’éblouissant talent de ce grand musicien français. Dès l’entame le ton est donné et ce Motet pour les trépassés combine à la fois simplicité, beauté et absolu. On y sent l’influence italienne, ce qui n’est guère étonnant puisque Charpentier fut l’élève de Giacomo Carissimi, cette influence lui fut d’ailleurs souvent reprochée. Quelle injustice, car la complexité des voix qui se mélangent et la maîtrise absolue du contrepoint, rappellent les mélodies inspirées de Giovanni Pierluigi da Palestrina et coupent court à toute tergiversation. On est bien en présence d’un génie !
O vos omnes nous permettra de faire connaissance avec les chanteurs et le baryton Étienne Bazola, intervenant en soliste mettra en avant sa belle voix et enchantera l’assistance. Ce sera pour nous l’occasion de constater le parti-pris en terme de prononciation du latin, un peu inhabituel, mais clairement expliqué par Sébastien Daucé, chef d’orchestre et directeur musical. Le Pie Jesu habituellement prononcé « pié iésou» avec une forte diérèse sur la première syllabe, retrouve une diction très française et le U est prononcé comme on le fait habituellement dans la langue de Corneille. C’est une manière d’affirmer l’ancrage de la musique de Charpentier sur sa terre d’origine. L’excellente basse, Renaud Bres, confirmera d’ailleurs cette thèse, et même s’il reconnaît que la prononciation choisie est parfois moins aisée que la manière « italienne », l’habitude lui en a fait oublier les petits inconvénients.
À la sortie du concert, suivant les opinions, le cœur balançait entre la messe des trépassés ou le Stabat Mater pour savoir quelle œuvre avait emporté les suffrages du public. Qu’importe, les deux atteignaient au sublime et ont émerveillé par leur beauté contrapuntique et leur puissance évocatrice un public qui avait bien eu raison de répondre à cette nouvelle invitation de l’opéra de Rennes.
Alors pourquoi y a-t-il fallu attendre les années 50 pour que l’abbé Carl de Nys, très connu des auditeurs de France musique pour ses interventions lors des émissions « la tribune des critiques », ressorte des limbes le très fameux Te Deum, devenu l’emblématique musique d’ouverture de l’Eurovision. C’est à cette occasion que l’on a redécouvert l’œuvre prolixe et magnifique de Charpentier, lequel avait, en copiant soigneusement chacune de ses œuvres, créé un corpus de plus de 550 pièces réparties en 28 volumes, intitulé « Mélanges ». La session de cet incroyable ensemble autographe par l’un de ses neveux a permis de conserver à la Bibliothèque nationale de France la plus grande partie de sa production. Il est un peu triste de constater qu’oublié dès son trépas, Marc Antoine Charpentier est actuellement le musicien baroque français le plus joué et donc présent sur les catalogues des grandes maisons de disque. L’histoire se montrerait-elle plus juste avec les musiciens qu’avec les autres… à méditer ?
Ensemble Correspondances, Marc-Antoine Charpentier, opéra de Rennes, 8 mars 2016
Direction musicale : Sébastien Daucé