Rennes 2. Étoile Rétine de Marguerite Bornhauser, la poésie du quotidien en photo

marguerite bornhauser moisson rouge
(c) Marguerite Bornhauser, Moisson Rouge, 2019

Étoile Rétine de Marguerite Bornhauser est la nouvelle exposition en plein air de l’université Rennes 2, à découvrir jusqu’au 8 décembre 2024. Son affection pour la couleur et la matière l’a conduite à à développer une pratique à mi-chemin entre l’abstraction et la figuration, dans laquelle elle écrit une douce poésie fantasmée du quotidien. Peut-être pour que l’on regarde différemment le nôtre ?

Marguerite Bornhauser est une photographe pluridisciplinaire en pleine ascension. Elle travaille pour des médias, fait des photographies de mode, des portraits, de la nature morte, etc. Elle a notamment été choisie par Chanel pour immortaliser les défilés de la marque de luxe. Parallèlement, elle a développé une pratique photographique forte, à la forte empreinte picturale, qui s’épanouit dans la poésie du quotidien qu’elle transforme au gré de ses sensibilités pour la couleur, la matière et les formes. De la même manière que la photographe s’intéresse au quotidien, l’exposition Étoile Rétine, sur le campus de Villejean fait partie de celui des étudiants jusqu’au 8 décembre 2024. Rencontre.

Marguerite Bornhauser

« Le principe du photographe, c’est juste regarder autrement. »

Unidivers – Vous souvenez-vous à quel moment avez-vous décidé de faire de la photographie ? Pouvez-vous nous parler de votre premier souvenir à ce sujet ?

Marguerite Bornhauser – Je baigne dans l’art et les images depuis toute petite, ma mère est peintre. J’ai fait des études de littérature, puis de journalisme, ce qui m’a amené à voir pas mal d’expositions, notamment photographiques. C’est à ce moment-là que je me suis rendue compte que ce médium me plaisait particulièrement. Je n’avais pas encore d’appareil photo, mais j’ai écrit un mémoire sur le photojournalisme. Il traitait de l’image de la femme et sa représentation en Tunisie, pendant le printemps arabe, sur toutes les unes de magazine. Dans Marianne, il y avait une jeune femme sur les épaules d’un nom entrain de crier « Révolution » et dans Valeurs Actuelles, c’était une femme en burka avec écrit « la menace terroriste ». Je me suis rendue compte de la puissance et de la force des images, et ce qu’on peut faire avec, comment on écrit et on crée une histoire à partir d’images.

Unidivers – Votre travail photographique est toujours accompagné d’un contenu éditorial. Cela vient-il de vos différentes formations ?

Marguerite Bornhauser – L’un ne va pas sans l’autre pour moi. Le journalisme m’a apporté une façon de travailler l’angle et le point de vue journalistique et mes études littéraires, cet intérêt pour le texte. C’est une forme d’ouverture et de générosité d’écrire un texte pour pouvoir guider le spectateur. J’ai un peu de mal avec les expositions où il n’y en a aucun. Le spectateur peut être perdu face aux images, surtout dans un travail plastique qui n’est pas toujours évident à comprendre.

J’ai toujours fait des liens entre littérature et photographie. En 2018, j’ai réalisé une série sur Françoise Sagan et, en 2019, Moisson Rouge faisait référence à des romans noirs américains. Dans l’histoire de la photographie, ces deux moyens d’expression ont toujours été liés donc c’est important pour moi de relier les deux.

marguerite bornhauser

Unidivers – Vos photographies sont très colorées, quasi picturales, et montrent un intérêt particulier pour l’ombre et la lumière. Comment s’est construit votre style ?

Marguerite Bornhauser – C’est très instinctif. C’est la manière dont je regarde les choses. Mes photographies retranscrivent ma sensibilité pour les couleurs et les formes, qui est liée à mon histoire de vie et peut-être à ma personnalité. C’est quelque chose qu’on ne contrôle pas vraiment. Une fois qu’on a ce repère instinctif et intuitif, l’enjeu est de savoir ce qu’on en fait en tant qu’artiste. J’ai perfectionné des techniques et exploré d‘autres médiums comme la vidéo, la sérigraphie, la peinture. Il y a beaucoup la question du renouvellement dans mon travail. Pour réussir à transmettre le regard que j’aime donner en photographie, je vais aller vers des matérialités différentes. J’explore différentes manières de montrer la matière et la couleur.

La thématique principale de mon travail est la poésie du quotidien, ou comment regarder autrement ce qui à portée de nous, avec plus de poésie. J’essaie d’aimer de nouveau ce que j’ai sous les yeux et que je ne regarde jamais. Le confinement a été le moment parfait pour ça. J’ai réalisé la série Étoile Rétine sans quitter mon appartement, en m’imaginant en vacances. Ça a été une exploration continue de tous les objets qu’il y avait autour de moi (passoire, plantes). C’est peut-être la singularité de mon travail, prendre à contre-courant l’origine documentaire de la photographie et les sujets forts (gens marginaux, prostitution, violence) pour développer un sujet faible, la vie, la mienne en le sublimant et parfois en le transportant ailleurs.

J’utilise aussi beaucoup le gros plan, ça me permet de sortir les choses de leur contexte pour tourner autour jusqu’à distendre le réel. Je n’ai aucune gêne à le transformer complètement en intégrant des couleurs très fortes, des filtres, etc. J’utilise la photographie comme de la littérature fictionnelle. Je raconte des histoires en partant du réel, mais je ne le représente pas. Je représente une forme de réalité fantasmée, un peu poétique, rêvée, solaire, sensuelle aussi parfois, il y a des peaux, des textures. Même les plantes, je les photographie de près pour faire ressortir leur matière. Je suis dans la construction d’un univers qui m’est propre, mais qui se veut aussi proche d’un quotidien. J’essaie d’observer le monde et de m’attacher à des détails, des sentiments, à une feuille qui bouge dans le vent. Il est question de contemplation dans mon travail.

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Unidivers – Cet aspect contemplatif est renforcé par l’ambiguïté entre l’abstraction et la figuration qui se dégage de votre travail. De premier abord, on peut ne voir que des formes, mais quand on s’y attarde et qu’on prend le temps d’observer vos images, on sort de l’abstraction pour voir la figuration qui se cache à l’intérieur.

Marguerite Bornhauser – Depuis toujours, je fais des allers-retours entre l’abstraction et la figuration, et c’est pour cette raison que j’ai choisi la photographie. Ce médium est à la base là pour la reproductibilité technique du monde, mais c’est variable en fonction du photographe, la neutralité n’existe pas en photo. C’est ça que j’aime questionner et avec lequel je joue. Ça m’arrive de peindre sur une image, de la couper ou de la recadrer, mais les gens ne le remarquent pas. J’aime bien l’idée de jouer avec ce que les gens pensent être la représentation du monde.

L’abstraction représente mon intérêt pour les formes, la couleur et les matières, et peut-être même d’un point de vue esthétique. Je suis vraiment attirée par les formes géométriques, les couleurs franches et les lignes.

Unidivers – Avez-vous justement des inspirations, des mouvements artistiques peut-être (l’abstraction géométrique, le cubisme, etc.) ?

Marguerite Bornhauser – Oui beaucoup. Il y a tellement de peintres que j’aime… toute la période aux États-Unis des années 70/80 : Rothko qui fait des aplats sublimes, Miró et Matisse parmi les plus connus. Je m’intéresse particulièrement aux figures féminines, comme Sonia Delaunay et la peintre américaine Shirley Jaffe par exemple.

J’essaie d’éviter de m’inspirer des photographes, on peut inconsciemment copier si on aime trop un travail. Je ne regarde pas la même chose, j’aime l’accrochage du photographe allemand Wolfgang Tillmans ou le livre Umbra de la photographe de mode Viviane Sassen. Les films de Jim Jarmusch aussi.

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Unidivers – L’exposition Étoile Rétine réunit trois séries différentes – Plastic Color (2017), Moisson Rouge (2019) et When Black is burned (2021) – et montre toutes ces sensibilités et attirances. Elle a la particularité d’être en plein air, sur le campus de Villejean. Comment a-t-elle été pensée pour s’intégrer à l’environnement qui l’accueille ?

Marguerite Bornhauser – C’est vrai qu’on est habitué en tant qu’artiste à être exposé dans des white cube. La scénographie a été faite main dans la main avec la commissaire. C’est la réinterprétation d’autres personnes de mon travail et elle raconte une autre histoire que celles que j’avais racontées. C’est intéressant parfois de laisser les autres s’emparer de son travail et de voir ce que ça donne.

On a privilégié les grands formats et des images récentes pour faire un florilège. When Black is Burned est plus sombre que les autres, plus tournées vers les ombres. On avait aussi envie d’apporter de la joie et de la couleur à l’université pour faire partie, à notre manière, du quotidien des étudiants.

Découvrez l’exposition Etoile Rétine de Marguerite Bornhauser jusqu’au 8 décembre, sur le campus de Villejean.

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