En 2019, 8% des Françaises se déclarent dans une situation de précarité menstruelle, ce qui représente près de 1,7 millions de femmes (IFOP pour Dons Solidaires) : qu’elles soient étudiantes, travailleuses précaires, sans-abri ou encore détenues, elles n’ont pas accès, ou insuffisamment, à des protections hygiéniques faute de moyens. Depuis août 2018 la Bretonne Gaële Le Noane a choisi de faire de cette lutte une priorité en créant son entreprise Marguerite & Cie.
En France, l’accès aux soins des femmes précaires est 9 fois inférieur à celui des hommes dans la même situation. C’est contre l’injustice que nous nous battons, celle qui met les femmes dans une position d’infériorité dans l’accès à la santé. (Dr Bernard Guillon, Président fondateur de l’ADSF)
Marguerite et cie propose aux institutions scolaires, entreprises et associations de mettre des tampons en coton bio gratuitement à disposition de leurs salariées et bénévoles tout en faisant preuve de solidarité. Comment ? En doublant chaque commande d’un don équivalent à l’association ADSF (Agir Pour la Santé des Femmes).
–> Marguerite & Cie : pour qui ? Pourquoi ?
« Marguerite » pour toutes ces femmes que j’admire : Durand, Yourcenar, Duras… mais aussi pour le symbole de la fleur qui pousse dans les champs sans pesticides. (GaËle Le Noane)
–> Pour démocratiser l’accès à des protections hygiéniques saines et biodégradables
Gaële Le Noane a lancé sa start-up Marguerite & Cie de chez elle, à Lesconil, dans le Finistère Sud (Bretagne). Objectif : rendre accessibles à toutes les femmes des protections hygiéniques saines et respectueuses de l’environnement. Elle a trouvé un partenariat conforme à ses attentes avec Natracare, une entreprise qui commercialise depuis 1989 des produits biologiques, biodégradables et non-testés sur les animaux.
C’est avec effroi que Gaële Le Noane a découvert en 2017 “des études qui révélaient la composition des tampons et des serviettes ordinaires : des pesticides, du glyphosate ou encore du lindane (un pesticide interdit en Europe depuis les années 2000 environ)”. Ces substances chimiques, dont les protections biologiques sont exemptes, sont susceptibles de se révéler cancérigènes en sus d’être considérées comme des perturbateurs endocriniens. Ses recherches d’une alternative l’ont mené à Natracare : une marque qui produit des protections hygiéniques 100% biologiques, non-testées sur les animaux, sans polyester ni emballages plastiques. Préserver la santé des femmes, mais également celle de la planète, constitue le leitmotiv de Marguerite & Cie.
“vendre des produits Natracare est également un moyen de combattre le désastre écologique causés par plusieurs autres marques de protections hygiéniques. dans le monde, 45 milliards de serviettes hygiéniques sont jetées par an. J’ai opéré un rapide calcul : avec ces 45 milliards de serviettes jetées, une fois par an nous serions capables de bâtir une tour reliant la Terre à la Lune. De plus, ces produits sont composés de 90% de plastique et mettent plus de 500 ans à se dégrader. relier les protections hygiéniques à l’environnement est un sujet tabou mais la majorité des protections que l’on trouve sur le marché représentent un enjeu environnemental énorme.” (GaËLe Noane)
–> Pour lutter contre la précarité menstruelle
Avec Marguerite & Cie, Gaële Le Noane propose un modèle commercial original. Outre ses propositions à l’attention des entreprises et autres collectivités, la Bretonne est la première a avoir mis en place un système d’abonnement pour les particuliers : pour recevoir une box contenant 18 tampons chaque mois à domicile, il vous en coûtera 9 euros en vous abonnant sur le site de Marguerite & Cie. “Si les femmes ont besoin de recevoir une fois par mois quelque chose dans leurs boîtes aux lettres, il s’agit bien de protections hygiéniques !”. Bref, une manière simple pour les femmes d’être fournies en produits sains de façon régulière, tout en faisant preuve de solidarité.
Si le prix peut surprendre (0,50 € tout de même le tampon), c’est parce que les clientes de l’entreprise aux blancs pétales choisissent aussi de se montrer solidaires : pour chaque box achetée, une deuxième est donnée à l’Association pour le Développement de la Santé des Femmes qui distribue des kits d’hygiène aux femmes vivant dans la précarité.
Gaële souhaite généraliser l’accès gratuit aux protections hygiéniques en louant des distributeurs en libre-service aux écoles, universités, entreprises… Après avoir dédié une partie de son été à les concevoir, elle a finalement déposé un brevet et les voilà prêts à l’emploi. La jeune femme aspire à ce que ses distributeurs labellisés Marguerite & Cie, garnis de tampons et de serviettes Natracare, soient installés dans de nombreux espaces publics en France. “Mon distributeur fonctionne un peu comme une machine à café. Les structures louent l’appareil et ensuite ils achètent le consommable qui est sous forme de recharges. Mais bien sûr, les produits sont gratuits pour les utilisatrices !”
Le premier de ces distributeurs a été installé le 11 septembre 2019 à l’Université de Rennes 2. Afin de le mettre en place, Gaële est entrée en contact avec Fabien Caillé, le vice-président de la Vie Étudiante de Rennes 2, en réponse au plébiscite du projet “protections périodiques en accès libre” du budget participatif de l’Université. Un montant de 9000 € par an est prévu pour remplir les distributeurs. Unidivers est allé à la rencontre des étudiantes qui l’ont déjà utilisé.
Dans les toilettes du rez-de-chaussée du bâtiment R de l’Université de Rennes 2, nous avons rencontré Priscarine. Elle nous a confié l’avoir déjà utilisé une fois où ses règles étaient arrivées sans prévenir. “C’est plus pratique de se procurer un tampon ou une serviette à la pièce que d’en transporter plusieurs dans son sac. En plus, ici, ce sont des protections 100% biologiques. Alors, il y a tout à y gagner !“. Puis, la jeune étudiante a ajouté : “Toutes les protections hygiéniques devraient être distribuées gratuitement aux femmes. Nous n’avons pas choisi d’avoir nos règles, je ne comprends pas pourquoi nous devons payer pour des protections. Je suis donc ravie que ce distributeur gratuit soit ici. Je viens de faire mes premiers pas dans la vie étudiante et c’est un peu la galère financièrement. Ce distributeur soulage mon budget !”
Depuis qu’elle a breveté ses distributeurs, Gaële Le Noane est sollicitée par nombre de structures scolaires : collèges, lycées et universités. Après Rennes 2, la Sorbonne (Paris) sera également pourvue de distributeurs. Des entreprises et associations se montrent intéressées également.
–> Pourquoi la lutte contre la précarité menstruelle est-elle encore une réalité aujourd’hui en France ?
Le combat contre la précarité menstruelle a pris une nouvelle tournure en 2015 grâce notamment à la pétition du collectif Georgette Sand. Le 1er janvier 2016 les protections hygiéniques sont enfin taxées comme des produits de première nécessité et rejoignent ainsi les préservatifs qui, eux, bénéficiaient déjà de cette TVA réduite depuis 2014 … (auparavant à 7% : est-il besoin de commenter cette curieuse fiscalité ?)
On pourrait croire que les protections périodiques ont été d’emblée classées comme produits de première nécessité. Que nenni ! Et il en aura fallu des débats, parfois grotesques, dans l’hémicycle. Citons les paroles honteuses de Christian Eckert, alors secrétaire d’Etat au Budget en 2015 : “Moi, je ne veux pas rentrer dans ce débat, mais il y a beaucoup de produits d’hygiène qui concernent plutôt les hommes – pas exclusivement – dont le taux de TVA est à 20%. Les mousses à raser spéciale hommes ont des taux de TVA à 20%.”
Considérer les protections hygiéniques comme des produits de première nécessité constitue un grand pas pour la femme, mais un petit pas pour la France. Selon le documentaire 28 jours réalisé par Angèle Marrey, même avec la réduction du taux de TVA, une femme en France devra consacrer un budget de plus de 5000 euros pour ses règles au cours de sa vie. Ce chiffre prend en compte les protections hygiéniques, mais aussi les détachants ou encore les médicaments anti-douleurs. En 2019, beaucoup de femmes ne sont alors pas en mesure de gérer leurs règles avec dignité. Le 28 mai 2019, Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité hommes-femmes, annonçait dans un tweet que “8% des Françaises n’ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins en matière de protections hygiéniques !”.
Des villes ou même des Etats commencent néanmoins à prendre des mesures pour assurer cette hygiène de base à toutes les femmes. En 2016, les protections menstruelles sont devenues gratuites dans les écoles, les prisons et les centres d’accueil de la ville de New York. En 2018, ce sont les élèves et les étudiantes d’Écosse qui ont également bénéficié de cette mesure. Et cette année, Séoul, l’Angleterre, le Pays de Galles et le Canada ont à leur tour instauré la gratuité des protections hygiéniques. En France, si les tampons et les serviettes sont déjà distribués gratuitement dans certains lieux publics, comme dans les plannings familiaux par exemple, la généralisation de la gratuité des protections hygiéniques n’est pas encore une priorité. On peut franchement le regretter.
–> Qui sont les acteurs de la lutte contre la précarité menstruelle en France ?
Ces dernières années, de multiples initiatives ont vu le jour : diverses associations, comme Règles Élémentaires, se battent pour fournir gratuitement des produits d’hygiène intime aux femmes sans-abri ou en situation de mal-logement. De plus en plus d’entreprises agissent également pour faciliter la vie de leur employées en fournissant gratuitement serviettes hygiéniques et tampons. Quant-à la LMDE, une mutuelle étudiante, elle propose à ses adhérentes le remboursement de leurs protections hygiéniques à hauteur de 20 à 25 € par an. 25€ par an : un cautère sur une jambe de bois. Après le green washing, le blood washing…
Au Parlement, Marlène Schiappa et la sénatrice Patricia Schillinger ont à coeur de traiter cette problématique. Dans le cadre du projet de loi de finances 2019, cette dernière a déposé un amendement pour la distribution gratuite de protections hygiéniques aux femmes en situation précaire en milieu scolaire, dans les hôpitaux et les prisons. Depuis, Patricia Schillinger (LREM) étudie “les objectifs et modalités” de la mise en place de ce dispositif, mais aucune mesure concrète n’a vu le jour pour le moment. A nouveau, on peut franchement le regretter…
Au demeurant, on espère une généralisation de ces distributeurs pour que chaque femme ait accès à ces produits indispensables : pour ne pas être prises au dépourvu, pour ne pas à avoir à choisir entre nourriture et hygiène, pour gagner en autonomie pour les plus jeunes. Changeons les règles !
Adresse : 4 rue Joliot-Curie
29740 Plobannalec-Lesconil
Si vous souhaitez installer un distributeur dans votre entreprise, dans votre école ou votre association, rendez-vous ici.