Et vous, qu’avez-vous fait pour le réveillon de la Saint-Sylvestre ? Nous, nous étions en Argentine ! Car Maria de Buenos Aires d’Astor Piazzolla était l’invitée de l’opéra de Rennes.
C’est à l’opéra de Rennes que nous avons vécu les dernières heures de 2019. Nous avons répondu à l’invitation de Mathieu Rietzler, maître des lieux, qui nous conviait à un voyage au pays de la poésie et du Tango.
Le lien entre Astor Piazolla, maître unanimement reconnu du Tango, et le mot opéra, n’apparaissait pas comme une évidence, le musicien qualifiait lui-même cette unique incursion dans l’univers du lyrique de «operita», diminutif pas forcément synonyme de beaucoup d’estime. Pourtant le livret très abouti du poète et journaliste Horacio Ferrer va offrir à cette œuvre une véritable charpente et permettre de bâtir autour une musique puissamment évocatrice. En plus de la musique, «Maria de Buenos Aires» fut l’occasion pour le ballet de l’opéra national du Rhin, de faire une démonstration tout à fait remarquable de son savoir-faire et de son talent. Si vous ajoutez à cela un orchestre symphonique de Bretagne, en effectif réduit, mais plein d’allant, vous comprendrez que nous avons passé une nuit de la Saint-Sylvestre plus que réjouissante.
Dès le début de la représentation, Mathias Tripodi, le chorégraphe, monte sur scène de façon judicieuse pour nous remettre quelques clés de lecture de l’œuvre, elles s’avéreront particulièrement utiles. Premier élément, Piazzolla ne tombe pas dans les archétypes du tango, s’il est présent, il est surtout évoqué, il est une toile de fond. On comprend bien vite d’ailleurs que Maria n’est pas vraiment un être de chair, mais une sorte de synthèse entre la ville de Buenos Aires, le tango lui-même et tout un ensemble de femmes réelles et symboliques à la fois.
Dans Maria, il y a la prostituée des bas quartiers et ses souffrances, il y a la mère de famille, la danseuse lascive des Milongas, tout un ensemble d’incarnations, au sens plein du terme, dont la palette s’étend du putride à l’idéal. Les danseurs traduisent parfaitement ce ressenti, et le couple de tango n’apparaît que très brièvement et pour quelques pas à peine esquissés. On est très loin des outrances de certains concours de danse de salon où le tango pastiché à l’extrême ne retrouve pas ses racines populaires et se transforme en caricature. Seconde mise en garde, Mathias Tripodi nous invite à ne pas trop nous focaliser sur les textes traduits qui sont diffusés sur de nombreux écrans partout dans l’opéra. C’est un sage conseil.
Ces textes dits avec conviction par Alejandro Guyot dans le rôle de «el duende», ce qui peut se traduire par , le sort, le destin, sont durs à restituer en Français et il est clair que seuls des hispanisants chevronnés peuvent pénétrer les arcanes d’une poésie hispano-américaine un brin ésotérique. Fort de cet utile conseil en ne nous consacrant qu’à la musique et à la danse. Le personnage de Maria, dans sa version incarnée, est interprété par une Ana-Karina Rossi à la voix remarquablement adéquate pour ce rôle, c’est exactement ce que cela doit être. Stéfan Sbonnik, le ténor se livre à une excellente prestation également. Peut-être un peu statique sur scène, il offre de son rôle une interprétation habitée et pleine de profondeur. Le corps de ballet de l’opéra du Rhin est également digne de tous les éloges. Danseuses et danseurs, après seulement six semaines de préparation sur scène, évoluent avec légèreté, élégance, à tel point que cela semblerait presque facile. Il n’en est rien, et à d’autres moments ils font subir à leurs corps d’incroyables contorsions lançant à l’équilibre toutes sortes de défis spectaculaires. Bruno Bouché, leur directeur artistique, a du légitimement ressentir quelque fierté. Notre petit coup de cœur ira vers Marin Delavaud, dansant l’esprit d’El Duende avec une émouvante implication et un réel talent. Du côté musical, l’OSB, placé sous la baguette de l’excellent chef Franco-Argentin Nicolas Agullo, semble avoir saisi en profondeur la complexité de cette musique et de ses déroutants changements de rythme. La couleur argentine est apportée au bandonéon par Carmela Delgado et à la guitare, électrique et électro-acoustique par Alejandro Schwarz, c’est au piano qu’Ivoo de Greef termine, en géant débonnaire, le trio d’instrumentistes invités.
Le succès fut tel que les musiciens ont pour une fois quitté l’anonymat de leur fosse pour venir avec l’ensemble de la troupe recevoir des lauriers bien mérités. Au milieu de tous les visages épanouis, on ne pouvait s’empêcher de remarquer celui de l’altiste Emmanuel Foucher tout aussi heureux de ce beau succès que de la perspective d’un délicieux risotto aux saints Jacques. Ah gourmandise quand tu nous tiens !
Crédits : Les danseurs du Ballet de l’opéra national du Rhin
Maria de Buenos Aires
Astor Piazzolla / Horacio Ferrer
création 2019 pour le Ballet de l’Opéra national du Rhin
Chorégraphie, décors Matias Tripodi
Direction musicale Nicolas Agullo
Assistante à la chorégraphie Xinqi Huang
Costumes Xavier Ronze
Lumières Romain de Lagarde
Projections scéniques (photographies) Claudio Larrea