Marie-Laure Cloarec, femme clown, à vue de nez…

C’est en 2003 que Marie-Laure Cloarec lance la compagnie A Vue de Nez afin de faire vivre un personnage de clown de théâtre. Contrairement à la tradition, qui veut qu’un comédien crée son clown et s’y tienne tout au long de sa carrière, Marie-Laure Cloarec transite par différentes transformations. Lors de son tout premier spectacle, ses recherches débutent autour du bouffon pour, finalement, aboutir au clown féminin.

 

Si par le passé, des femmes ont exercé le métier de clown, elles incarnaient toujours un personnage masculin. Les nouveaux clowns  – ceux du théâtre – ont apporté la possibilité d’être clown et femme. Ces mutations ont conduit Marie-Laure Cloarec à changer d’êtres-clowns : Viedange dans Le voyage au bord du monde, puis Gaby, puis Saturne qui se transforme en Luna, laquelle se transforme en Philomina…

Marie-Laure Cloarec ne confine pas son public dans le brocard ou le dérisoire. Sa démarche est tout en ouverture, elle ne nous entraîne jamais dans l’entre-soi. Ses personnages sont tantôt maladroits, tantôt aériens ; tous ont en commun une humilité et une candeur qui les poussent à la curiosité, à garder l’esprit en éveil. Ainsi va ce voyage qu’est le dépassement de soi : dans un véritable éloge de la tendresse, de la subtilité et de la poésie.

Unidivers : Comment êtes-vous arrivée au personnage du clown ?

Mes mots sont dans l'oiseau photos de Thierry Lafontaine
Mes mots sont dans l’oiseau photo de Thierry Lafontaine

Marie-Laure Cloarec : Après des études sur les relations entre théâtre et éducation relatives à l’environnement, j’ai fait un travail de recherche sur le clown au féminin et la poésie à l’École Supérieure de Théâtre de l’Université du Québec à Montréal. C’est en France que j’ai lancé ma compagnie.

U : La poésie est très présente dans votre travail.

Marie-Laure Cloarec : C’était très important pour moi d’intégrer le texte au travail de clown et surtout des textes poétiques. La poésie est une forme à laquelle je suis sensible depuis l’adolescence. Dans mon premier solo pour la scène, j’ai intégré un texte notamment de Paul Éluard et un autre de Raymond Queneau à mon propre travail d’écriture, à l’époque narratif et dialogué. J’ai croisé cette composition d’écrits avec un jeu clownesque gestuel.

Et puis, il y avait un personnage de femme que je trimbalais depuis pas mal d’années. Les textes poétiques, avec ce jeu clownesque, ne collaient plus vraiment.  La présence forte du personnage, son contact très direct à l’autre, le public, ne permettait pas de mettre en valeur le texte. Mon mémoire de fin d’études a porté sur la question du clown, du féminin et de la poésie. L’aboutissement de cette recherche a été d’assumer pleinement une position d’auteur dans l’écriture textuelle des créations de la compagnie et de trouver une autre sensibilité de personnage, qui ne soit pas dans le schéma de la caricature du féminin.

: Vous avez traversé plusieurs étapes pour arriver au personnage de Philomina.

Marie-Laure Cloarec : Oui. Le voyage au bord du monde était mon premier solo pour la scène. Je suis partie du bouffon pour créer le personnage de ce spectacle et le bouffon, à l’inverse du clown, se moque d’être aimé. Le personnage que j’ai créé est replié sur lui-même, met de la distance entre lui et les autres, entre lui et le monde. Mais il a aussi le côté tellement perdu du clown qui le place hors des codes traditionnels du bouffon et le rapproche, par sa naïveté, du clown. Il s’est construit un espace privé qui a sans doute à voir avec ses difficultés à se connecter aux autres, à se frotter à l’humain et à la société. Rejeté, peut-être. Son bord du monde à lui est la pièce dans laquelle il vit enfermé, une pièce remplie de sacs de détritus, de diverses récoltes qu’il a pu faire dans la rue. Il s’est inventé un monde dans cette petite boite et il a créé une machine qui lui permet d’écouter tout ce qui se passe à l’extérieur et cela nourrit entièrement son quotidien. Il a construit un genre d’ordinateur bizarre avec un personnage féminin, Fiona, avec lequel il a l’impression d’avoir trouvé l’amour, de dialoguer. Ce sentiment d’être relié aux autres lui permet de tenir alors qu’il n’est en fait que connecté aux autres. Le déclic dans le spectacle se produit lorsqu’il découvre un globe dans un de ses sacs. Ce globe est source d’émerveillements et il le branche sur sa machine. Il est alors dans l’hyper connexion au monde entier et c’est effrayant, car c’est trop ; c’est l’explosion. La machine explose et le personnage se retrouve face au silence qui le renvoie à lui-même, ce à quoi il n’a pas été relié. Et, bien que ce soit effrayant, il ouvre une porte en lui, une porte d’enfance. Son double intérieur apparaît et lui fait accéder avec beaucoup de délicatesse à quelque chose d’universel, non pas connecté à, mais relié à. C’est un personnage qui s’agite beaucoup, mais il laisse néanmoins de l’espace pour les mots. L’espace laissé au rien est très important dans l’écriture.

Ensuite, mon premier personnage de femme a d’abord été créé dans le cadre du spectacle Tous les matins qui chantent. C’est un spectacle pour adultes, un solo poétique pour femme clowne qui correspond également à une mise à l’avant-plan du texte dans l’écriture de mes spectacles. Je travaillais alors avec la poétesse québécoise Hélène Monette qui laisse une place à un humour assez sarcastique dans son écriture ainsi qu’un engagement sur la question du féminin. Mais plus on avance dans le travail du personnage, plus, en réalité, on se rapproche de soi-même. Les textes de la poétesse qui avaient été mes guides pour trouver la forme de sensibilité du personnage étaient de moins en moins adéquats à celui-ci, à mesure qu’il émergeait. La sensibilité qui arrivait au jour ne pouvait pas aller dans le sarcasme, mais au contraire dans la douceur et l’introspection ; dans une réflexion plus empreinte de philosophie. Son regard sur le monde est délicat et sensible. Il n’est jamais dans le jugement de l’autre, mais dans l’interrogative.

Et puis, j’ai souhaité prolonger le voyage de ce personnage, mais à rebours, pour le jeune public, avec La nuit de l’escargot qui luit (2011) puis avec Mes mots sont dans l’oiseau (2014). La langue y est en interrogation, ce qui fonde ce qu’on est effectivement. Une identité est constituée de multiples couches qui se superposent. Dans le spectacle Mes mots sont dans l’oiseau, le personnage passe par des étapes : Saturne, le personnage qui tourne, est assez bonhomme, pataud avec une grosse voix que l’on peut peut-être associer à la forme masculine et puis il y a Luna, femme âgée, très aérienne avec sa grosse tête, et enfin Philomina, la clowne. L’interrogation porte sur l’identité, sa construction, sa déconstruction. Je voulais vraiment offrir aux enfants auxquels ces spectacles s’adressent un regard de liberté sur la question de l’être au monde. On est libre d’être soi, c’est-à-dire différent selon le moment, le contexte, selon où l’on souhaite agir, car pour pouvoir être agissant dans notre société il y a à jouer avec les codes. Pouvoir se travestir de ces codes-là permet de trouver un chemin de liberté. Ce jeu de multiplicité que je souhaite transmettre est pour moi symbole de liberté d’être, toujours dans le questionnement sur l’être.

U : Vous dites que ce personnage vous a guidé vers l’écriture. Qu’en est-il du jeu ?

Marie-Laure Cloarec : Oui, ce personnage parle de notre relation au monde. Mais ce que je voulais croiser de l’humour n’est pas forcément présent dans mon écriture. C’est le jeu qui va l’amener. L’écriture, elle, est plus à l’endroit d’une forme de réflexion sur l’être, la métaphysique, et peut-être une dimension philosophique autour du monde, son état et ce que nous y faisons. Plus en avant, une interrogation sur ce qui nous relie les uns aux autres, au vivant, sur la place de la nature.

:  Et la place du féminin ?

Mes mots sont dans l'oiseau photos de Thierry Lafontaine
Mes mots sont dans l’oiseau photo de Thierry Lafontaine

Marie-Laure Cloarec : Mon tout premier personnage de femme, Gaby, était une forme de caricature avec des attributs féminins dont je me moquais. Mais ce rapport-là d’humour a fini par me gêner, car la question du type d’humour que l’on porte, la question du rire est complexe. Ce personnage fragile qui essaie d’être tout à son aise dans son tailleur jaune un peu serré est pris au piège des carcans du féminin. Alors qu’elle est dans l’attention des choses, au monde, elle est aussi une femme perdue. Et dans le rire que provoquait ce personnage, j’entendais parfois des rires qui se moquaient de cette femme au premier degré. Ces rires passaient ainsi à côté de sa fragilité et de la mise en abîme de la position des femmes, de leur enfermement dans cette image à donner d’elles-mêmes au quotidien. Cela me rendait triste. Bien sûr, une partie du public voyait bien ce que j’amenais politiquement comme interrogation à travers cette forme, mais quelque chose d’autre poussait en moi et voulait s’exprimer d’une autre façon. Il m’a fallu désosser le personnage, le décomposer pour en recomposer un autre afin que cette autre parole arrive, cette autre parole qui ne pouvait laisser prise à ce type de regard sur lui. Il a fallu sortir de la caricature, amener ce personnage de Philomina entre le clown et le Pierrot ; un personnage féminin, mais sans gros trait du féminin, sans hypersexualisation. Au final, cela questionne les codes dans lesquels nous sommes. Où le féminin et le masculin se dissocient-ils ? Même si grâce à l’évolution des mœurs, on commence à se rendre compte que ces différences sont essentiellement culturelles, sociales et vont d’ailleurs bientôt devenir obsolètes. On dissocie par exemple une énergie de force comme étant masculine et une énergie de sensibilité comme étant féminine et c’est totalement faux. Mais il faut bien garder des éléments de cet ordre-là pour parler des changements en cours et des pièges dans lesquels nous sommes encore. 

J’écris pour que différentes lectures soient possibles. Par exemple dans Mes mots sont dans l’oiseau la coquille de l’œuf est un peu translucide, elle laisse passer la lumière. L’œuf, c’est le ventre, mais aussi la grotte, celle de Platon. Cet espace évoque le rapport à la connaissance qui demande à sortir, invite à tourner les yeux vers la lumière, à se lever, à regarder de l’autre côté pour accéder à la connaissance. Prendre ce risque-là. Sortir de son confort, de ses repères pour prendre à bras le corps ce risque.

U : Vous avez déjà une suite en cours de création ?

Marie-Laure Cloarec : Je réfléchis au prochain spectacle et les interrogations qui arrivent vont au-delà des questions autour de l’identité. Car si ces frontières de l’identité restent relativement indéfinissables, et si l’on creuse à rebours de tout cela, reste l’énergie qui s’exprime à travers l’humain. C’est elle qui nous fonde. C’est ce feu-là que je veux mettre en jeu. Ce sera un spectacle pour adultes avec une place importante laissée au récit, que j’ai intitulé L’insolide infertile. Il sera question d’une femme aux prises avec son animalité. Un autre pour enfant suivra très probablement.

+ d’infos : A Vue de Nez

[youtube http://www.youtube.com/watch?v=usBUxpMAgmg]

Article précédentRopoporose, Elephant Love ou l’album de la maturité juvénile
Article suivantLéa Rault Nothing but the Truth

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici