Mario Vargas Llosa : l’écrivain total s’est éteint à Lima

Mario Vargas Llosa

Le monde des lettres est en deuil. Le prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa, figure centrale du « boom » latino-américain, s’est éteint à l’âge de 89 ans dans sa ville natale de Lima. L’écrivain péruvien laisse derrière lui une œuvre monumentale, traduite dans le monde entier, habitée par la passion politique, les vertiges de l’histoire, et la puissance romanesque des vies en lutte.

Avec la mort de Mario Vargas Llosa, c’est une certaine idée du roman comme champ de bataille idéologique, miroir lucide des sociétés, mais aussi territoire d’aventure et d’imagination, qui s’éloigne. Héritier de Balzac, de Flaubert, de Faulkner et de Borges, Vargas Llosa a construit, livre après livre, une œuvre protéiforme, mêlant chronique politique (Conversation à La CatedralLa guerre de la fin du monde), satire du pouvoir (Pantaleón et les visiteusesLe rêve du Celte), ou plongée dans les dérives intimes et sexuelles de l’individu (La tante Julia et le scribouillardL’homme qui parle). Son écriture, précise et ample, toujours tendue entre rigueur structurelle et fièvre narrative, l’a imposé comme l’un des plus grands écrivains de la modernité hispanophone.

Mario Vargas Llosa
Mario Vargas Llosa

Né en 1936 à Arequipa, élevé entre la Bolivie et le Pérou, formé en Europe, Vargas Llosa a été profondément marqué par les tensions du continent sud-américain, les utopies trahies, les dictatures militaires, les désillusions révolutionnaires. Loin de céder à la facilité manichéenne, il n’a cessé de questionner les idéologies, y compris celles qu’il avait lui-même embrassées, évoluant au fil du temps d’un socialisme romantique vers un libéralisme démocratique assumé — sans jamais trahir sa rigueur intellectuelle. Ce sens du doute et du débat s’est aussi exprimé dans ses essais, ses chroniques, et jusque dans son engagement politique, lorsqu’il se présenta à l’élection présidentielle péruvienne en 1990.

Si son œuvre a touché des lecteurs aux quatre coins du globe, c’est aussi grâce au travail subtil de traduction de son ami et interprète fidèle, Albert Bensoussan. Ce dernier, grand passeur des littératures hispano-américaines en France, fut l’un des artisans du rayonnement francophone de Vargas Llosa. À travers lui, le souffle des Andes, les tourments de Lima, les paradoxes de la modernité latino-américaine sont devenus familiers au lecteur français. C’est avec son beau style qu’il enrichit régulièrement notre magazine Unidivers.fr.

Mario Vargas Llosa

Le lien entre l’écrivain et son traducteur fut d’une rare complicité : « Albert ne traduit pas, il recrée », disait Vargas Llosa, conscient de la délicatesse d’un tel compagnonnage. Leur collaboration, de La ville et les chiens à Le héros discret, fut une œuvre à quatre mains où le français, loin d’être simple relais, devenait seconde naissance du texte.

L’admiration que suscitait Mario Vargas Llosa ne connut pas de frontières. En 2010, le prix Nobel de littérature vint couronner l’ensemble de sa carrière, saluant un écrivain « cartographe des structures du pouvoir et des résistances de l’individu ». Plus étonnante encore fut son entrée, en 2022, de son vivant, dans la prestigieuse collection de la Pléiade. Il fut le premier auteur non francophone ainsi honoré de son vivant, signe éclatant d’une reconnaissance littéraire qui transcende les langues, les continents, et les modes.

Mario Vargas Llosa
Mario Vargas Llosa

Cette intégration au panthéon des lettres scellait ce que beaucoup savaient déjà : Mario Vargas Llosa n’était pas seulement un grand écrivain péruvien ou latino-américain, il était un écrivain universel. De Paris à Madrid, de Mexico à Stockholm, il incarnait cette foi inébranlable dans le roman comme outil de connaissance, de résistance et de liberté.

« Écrire, c’est protester contre la réalité », écrivait-il. En ce sens, Mario Vargas Llosa aura protesté toute sa vie. Sa mort n’éteint pas sa voix. Elle nous confie le devoir de continuer à lire, à penser, à questionner.