Habitué des scènes rennaises, l’Italien Massimo Dean met en scène la mort, la folie, la violence. Avec un objectif assumé de subversion. Même si, parfois, la claque est trop violente pour le public…
« Shakespeare était un génie, il avait tout compris », s’enthousiasme Massimo Dean. Assis à la table d’un bar, un verre de coca devant lui, le metteur en scène rennais d’adoption explique : « ses pièces sont comme la vie, quand les personnages s’ennuient, ils parlent de météo, de bouffe ». Lui justement revenait de Corse, il expliquait qu’il avait eu du beau temps, quand il pleuvait sur Rennes. Mais il continue : « pour mettre de la vie dans tout ça, il faut un fouteur de merde ».
Pour Shakespeare, ce fouteur de merde, c’était Richard III. Massimo Dean avait d’ailleurs mis en scène la pièce du dramaturge britannique. Mais le metteur en scène a surtout adopté ce même principe : créer de l’agitation pour créer de la vie, sur scène ou en dehors. Peu importe où il se trouve.
« J’ai fait des études assez classiques », reconnait-il. Jusqu’à 23 ans, il suit des cours dans une école de théâtre, à Venise. On lui enseigne la commedia dell’arte, mais lui s’en détourne rapidement. Il suit un ami et rejoint Berlin, pour faire des spectacles de rue. « À l’époque, ça bougeait dans tous les sens », se souvient-il. Il découvre de nouvelles formes de théâtres, plus « trash » explique-t-il, qui intègrent les nouvelles technologies. « Ils avaient besoin de cracher ce qu’ils avaient. » De retour en Italie, il joue dans des pièces classiques, avant de retrouver à son tour cette folie.
« On a rencontré un jeune maître russe, on lui a dit : nous, on a envie de découvrir autre chose », raconte-t-il. Alors ils décident de mettre en scène dans une église le livre de Job, extrait de la Bible. Neuf mois de répétitions, pour un spectacle de cinq heures et demie. « On nous a pris pour des fous, il faut le dire », s’amuse Massimo Dean. Mais le producteur de la Biennale de Venise les repère alors qu’ils répètent dans la cathédrale de Bologne, et les produit. Alors ils continuent, en montant cette fois Le Joueur de Gogol.
UN THÉÂTRE INTERNATIONAL CONTRE L’EXTRÊME-DROITE
En parallèle, il crée en 2000 un festival de théâtre Binari Binari, dans la petite ville de San Vito al Tagliamento, au nord-est de l’Italie. « Sept compagnies travaillaient sur leur projet, décrit-il : l’après-midi, le public pouvait voir les comédiens qui travaillaient, et chaque soir, ils pouvaient voir une nouvelle étape de ce travail. » Il tisse, à cette occasion, des premiers liens avec la Bretagne, en invitant des jeunes de la seconde promotion de la toute jeune école du Théâtre National de Bretagne. La seconde année, Silvio Berlusconi arrive au pouvoir en Italie. Dans la région du Frioul, c’est la Ligue du Nord, parti d’extrême-droite, qui arrive au pouvoir. « Ils avaient obligé les organisateurs à ne parler qu’en Italien ou en dialecte », explique Massimo Dean. En réponse, ceux-ci organisent une édition exclusivement en langues étrangères.
Invité en France en 2002, il garde ce goût de la folie et de la provocation. A Rennes, il met en scène sa première pièce, Oh les beaux jours de Beckett, puis reprend sa première création, Pierre Rivière, premier fait-divers historique dans lequel est questionnée la démence. « C’était très minimaliste, très radical… peut-être trop », analyse-t-il, avec du recul.
À chaque fois, il espère saper les certitudes, les règles bien établies. « L’art ce n’est pas seulement ce qu’on raconte, défend-il, mais c’est aussi comment on peut questionner le public, pour remettre en question ses normes. » Lorsqu’il reprend Pinocchio, les acteurs sont dans une autre salle : le public ne voit que le vieux film de 1972 projeté sur un écran géant. Lorsqu’il a présenté les comédiens à la salle, « certains ont eu des réactions assez vives, ils se sont sentis trompés », se souvient-il. Il cite en exemple le poète et réalisateur italien Pier Paolo Pasolini, critique un art devenu trop frileux. Massimo Dean revendique une volonté d’expérimenter, d’essayer, de sortir des chemins battus, au risque de rater, de ne pas être compris. « Avec mes pièces, je te mettais un coup de poing, explique-t-il en prenant un peu de distance : il y a douze personnes qui adoraient ça, le reste était trop sonné pour comprendre. » En expérimentant, il reconnaît qu’il fait des erreurs : « je me prends des claques, et ça fait du bien à la tête ; sinon, on devient comme des producteurs de Peugeot. »
TRAVAILLER AVEC DES AMATEURS
Plutôt que de suivre le parcours habituel de la création comme beaucoup d’articles, il rompt avec les codes pour travailler en partie avec des amateurs, notamment des jeunes issus des quartiers populaires de Rennes, du Blosne, de Bréquigny, de Maurepas. « Les collégiens de Sainte Thérèse chantent probablement mieux qu’eux, parce qu’ils chantent dans des chorales, font des stages à la Paillette, commence-t-il. Mais je pense que la vie est là, dans les endroits dans lesquels il y a des tensions. » Le positionnement est politique pour lui, il veut donner la parole aux « derniers », comme il les appelle. Avec lui, les collégiennes de la Binquenais expriment ce qu’elles ressentent par exemple.
Il ne veut pas faire du travail social, ne veut pas les laisser dans le rôle d’amateurs. « L’objectif ce n’était pas « on va faire parler les jeunes » de banlieue, je veux le top », assume-t-il. Pour Massimo Dean, cette démarche s’ancre dans la démarche artistique. Alors, que ce soit avec ces filles du Blosne ou avec les lycéens de Bréquigny, il passe beaucoup plus de temps avec eux. « Dans la temporalité d’un spectacle, tu révises deux semaines : là je passe deux ans. » Et lorsqu’il travaille avec des institutions publiques comme avec la ville de Rennes, il ne veut pas moins de moyens sous prétexte que son travail artistique se fait avec des amateurs.
L’âge de ces acteurs lui permet de questionner les freins de son public. Le metteur en scène se souvient ainsi qu’on lui a demandé si une jeune de 17 ans pouvait jouer une prostituée. Lui assume de déranger. Lorsque dans une pièce un Rom vole un bracelet, c’est l’occasion pour lui de montrer la part sombre qui sommeille chez les plus tolérants. « C’est encore plus impressionnant, parce que ce sont des jeunes qui parlent, jusqu’à demander : c’est quoi la solution pour les exterminer », continue-t-il.
LA POÉTIQUE AVANT LA POLITIQUE
Derrière ces mises en scène, il donne un sens clairement politique. « La violence est si forte, j’essaie de la pousser pour qu’elle devienne grotesque, pour qu’on se dise : mais qu’est-ce qu’on est en train de faire ? » Cet engagement rejoint son propre parcours : il n’est pas né dans le VIe arrondissement de Paris, ironise-t-il, et il garde toujours cette douleur d’être étranger. « Je ne suis pas affilié à un parti, mais j’ai déjà vécu cela en Italie avec Berlusconi, témoigne-t-il, on montait les gens les uns contre les autres, et ils se battaient pour 50 € d’écart de salaires. » Il a fait le choix de travailler avec les institutions, mais pour rester subversif en interne.
Pas question de victimiser les jeunes, les immigrés, les prostituées, tous ces derniers qu’il met en scène : il veut faire entendre pleinement leur parole, sans qu’elle ne se noie dans un discours politique. « La politique est trop pédagogique », critique-t-il. Lui préfère la poésie, lui préfère interroger, sans juger. « Je pense que si les jeunes vivent cette expérience-là, continue le metteur en scène, quand ils auront trente ans, ils ne seront pas des moutons. » Il a beau se dire en résistance contre l’air du temps, critiquer tous ceux qui n’osent rien faire face aux bouleversements environnementaux : il reste un incorrigible optimiste. Il croit en l’humain.