Maxim Biller, Une requête de Bruno Schulz, le recto-verso de l’histoire…

Les éditions Solin/Actes Sud publient ce printemps un OLNI, entendez : un objet littéraire non identifié. Court, dense comme peut l’être un diamant, Une requête de Bruno Schulz, de Maxim Biller, réécrit la lettre perdue de l’écrivain juif polonais au géant de la littérature allemande Thomas Mann. Cent pages qui emportent avec elles la petite et la grande Histoire…

Maxim Biller SchulzLes éditions Solin, intégrées à Actes Sud et dirigées par Michel Parfenov (directeur de la collection Lettres russes d’Actes Sud depuis le rachat des éditions Solin par cette dernière), cultivent une dimension militante, voire polémique. Comme l’explique la traductrice Marielle Silhouette dans la préface du texte :

Il y a de la part de Biller une remise en question radicale d’une croyance persistante en la symbiose judéo-allemande, pourtant à jamais disparue selon lui à Birkenau et à Auschwitz

Ce livre, c’est la rencontre fictive entre trois écrivains, Thomas Mann, Bruno Schulz et entre les lignes, Maxim Biller. Derrière la fascination éprouvée pour le deuxième, on entrevoit une condamnation en demi-teinte du premier.

L’auteur est parti d’un fait : Bruno Schulz aurait envoyé une lettre à Thomas Mann en 1938, un an avant la guerre. Celui-ci lui aurait d’ailleurs répondu. Mais la correspondance a disparu. La forme du texte épouse donc son intention première : celle d’une sorte de supplique épistolaire a priori véridique, mais que seule la littérature, par le jeu de la fiction, peut rétablir et donner au monde. Car l’écrit de Biller tient avant tout de la littérature du don.

Maxim Biller SchulzBruno Schulz, né en 1892, est un écrivain et dessinateur polonais, connu également pour son implication dans le milieu littéraire et artistique de son temps. Quelques-uns de ces dessins en cliché-verre sont d’ailleurs reproduits dans la présente édition. Son œuvre littéraire, qui compte peu de publications, a marqué son époque et la postérité. On lui doit notamment Les Boutiques de cannelle et Le Sanatorium au croque-mort. Maxim Biller situe son récit en 1938, à l’époque où Schulz enseigne le dessin à Drohobycz, « ville de l’ancienne Galicie autrefois rattachée à l’Empire austro-hongrois et située en 1918 dans la voïvodie polonaise de Lwow ». Le Reich national-socialiste y étend son emprise, les pogroms s’y multiplient. Un officier de la Gestapo, Félix Landau, prend Schulz sous sa protection. Mais le 19 novembre 1942, Schulz est « abattu en pleine rue de deux balles dans le dos tirées par le SS Günther ».

Maxim Biller SchulzDe cette biographie en quelques lignes, de ce peu de textes conservés, difficile de soustraire ce que fut l’existence de Bruno Schulz durant ces années. En évitant l’écueil de la mythographie, Biller réécrit la lettre perdue de Schulz à Mann. Le prétexte ? Quelqu’un à Drohobycz se prendrait pour l’écrivain allemand. Le lieu commun littéraire du doppelgänger, du double cher à l’ami de Schulz, l’écrivain Gombrowicz, trouve dans ces pages une expression métaphorique et effrayante. Derrière la tension polémique que sous-tend le texte de Biller, par-delà sa fascination pour l’écrivain juif, semblable à celle d’un Robert Walser sur la littérature du XXe, c’est surtout la reconstitution de ce monde perdu et en déréliction qui anime les quelques pages de ce livre. La rédaction de la lettre fuit dans les marges d’un portrait de Schulz au quotidien. Il y a la littérature, certes, il y a aussi la marche d’une Histoire qui gronde. Mais il y a surtout la vie conjuguée au présent, les difficultés professionnelles et financières de Schulz, les ambitions artistiques qu’il tente de réaliser à côté du chaos, des problèmes mentaux de sa sœur Hania, de la peur qui le suit partout. Maxim Biller livre un bel exercice d’exhumation littéraire, la preuve que le passé recèle des histoires vraies qui attendent simplement d’être des histoires. Prises par la tangente, l’écriture de l’histoire, peut-on penser à la lecture de ce texte, c’est d’abord l’écriture de son verso.

« N’est-il pas terrifiant, pour vous comme pour moi, que les nazis abusent ainsi de votre nom, docteur Mann ? Vous vous étonnez peut-être que je vous écrive en allemand – sachez que je peux le parler aussi quoique avec un fort accent de Polodie qui, hélas, trahit rapidement mes origines —, mais mon amour de la langue allemande est naturellement lié à vous comme aux poèmes et aux livres de Rilke, de Joseph Roth et de Franz Kafka dont j’ai traduit en polonais, avec mon ancienne fiancée depuis longtemps oubliée, le beau et énigmatique roman Le Procès ». (p. 82).

Une requête de Bruno Schulz, Maxim Biller, éditions Solin/Actes Sud, traduction Marielle Silhouette, avril 2016, 96 pages, 10 €, e-book : 7,49 €

**************************************

Maxim BillerMaxim Biller est né en 1960 à Prague, vit en Allemagne depuis 1970 et réside aujourd’hui à Berlin. Il est chroniqueur pour le Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung et die Zeit. Il a écrit de nombreux romans et des livres pour enfants. Plusieurs de ses ouvrages ont été traduits en français : Ah ! Si j’étais riche et mort (traduit par Nicole Stephan-Gabinel), Éditions Flammarion, 1992;  Au pays des pères et des traîtres (traduit par Martin Ziegler) Éditions Flammarion, 1998; 24 heures dans la vie de Mordechaï Wind (traduit par Philippe Giraudon) Éditions Denoël, coll. « Denoël & d’ailleurs », 2001; L’Amour aujourd’hui  et Le Juif de service, en 2011 (Traduits de l’allemand par Olivier Mannoni) éditions de l’Olivier.

1994 Tukan-Preis de la ville de Munich
1996 Preis des Europäischen Feuilletons
1996 Otto-Stoessl-Preis
1997 Else Lasker-Schüler-Preis
1999 Prix Theodor Wolff
2008 Brüder-Grimm-Professur (professeur invité) de Université de Cassel
2012 Würth-Literaturpreis

 

Article précédentYoutubeurs, un phénomène en plein boom !
Article suivantOpéra de Rennes, Catherine Hunold est de retour !

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici