Du 2 au 11 octobre 2020, un mur du Couvent des Jacobins sera peuplé des chimères étranges, mais familières, de l’artiste-graveur Fred Penelle et du vidéaste Yannick Jacquet. Le projet Mécaniques Discursives est une pause artistique dans la course du temps. La présentation de cette œuvre est dédiée à Fred Penelle, disparu au printemps dernier.
Mécaniques Discursives. Derrière ce titre se cache la rencontre de deux techniques de prime abord opposées et une expérience autant visuelle que poétique.
Depuis 10 ans, l’artiste-graveur Fred Penelle, disparu en mars 2020, et le vidéaste Yannick Jacquet font appel à l’imagination de chacun. Le premier amenait la gravure hors des sentiers classiques, loin de la simple planche de bois coutumière du Moyen-Âge ; le second s’approprie les codes du graphisme contemporain et du data design, et les détourne de leur utilisation première en modifiant leur sens. « J’ai découvert le travail de Fred dans plusieurs expositions, notamment à Bruxelles. J’aimais sa manière de travailler. Je l’avais moi-même expérimenté numériquement. Fred utilisait des éléments récurrents issus d’une banque d’images, les exploitait et modifiait leur usage à chaque présentation. J’avais compris son cheminement artistique sans l’avoir rencontré et travailler ensemble me semblait intéressant. »
De cette rencontre naît ce que l’on peut définir comme un véritable laboratoire d’expériences visuelles. La technique analogique de la gravure sur bois côtoie la création numérique en une fresque vivante et évolutive. Dans une alchimie humaine et artistique, le projet Mécaniques Discursives évolue jusqu’à devenir l’installation que l’on connaît aujourd’hui, prochainement présentée à Rennes dans le cadre du festival Maintenant et de Dimanche à Rennes. Entretien avec Yannick Jacquet.
« 80 expositions du projet ont été réalisées depuis sa création en 2011. »
Unidivers – Mécaniques Discursives est l’association du plus ancien procédé de diffusion d’images et des technologies les plus contemporaines. De quelle manière avez-vous pensé l’alliance de deux techniques que tout semble opposer ?
Yannick Jacquet – Le but initial était de confronter nos deux techniques, la gravure sur bois et la création numérique. Le travail de Fred étant déjà bien affirmé, j’ai d’abord tenté de me fondre dans son univers en projetant des gravures scannées par exemple. Après tout, je m’invitais dans son travail. Mais nous nous sommes rapidement rendus compte que cette approche ne fonctionnait pas…
Au contraire, plus nos deux techniques étaient éloignées l’une de l’autre, plus elles se répondaient. Après plusieurs tests, j’ai fini par utiliser ce que me permettait réellement le medium numérique : des formes froides, épurées, vectorielles et très minimalistes. S’immerger dans nos pratiques respectives a finalement créé une symbiose.
Unidivers – L’installation Mécaniques Discursives donne l’impression d’une fresque vivante qui évolue au fil de ses propositions. Est-ce le cas ?
Yannick Jacquet – À l’origine, le projet est réalisé in situ et en grande partie improvisé. Chaque proposition s’adapte à l’espace de projection. Avec la disparition de Fred, une part du projet n’existe plus… Au-delà de la perte et du deuil d’un ami, je me suis demandé ce qui allait advenir du projet. Je ne me vois pas continuer de nouveaux projets sans lui. Comme la plupart des installations n’ont été montrées qu’une fois, j’ai décidé de réadapter plusieurs œuvres existantes afin de répondre aux demandes auxquelles nous avions déjà répondu. La proposition de Rennes sera l’adaptation d’une version réalisée en 2018 à Bruxelles.
L’ensemble de ce travail a pour but une rétrospective en septembre prochain. Elle permettra de revenir sur les dix années de Mécaniques Discursives.
Unidivers – Réhabilité puis rouvert en 2018, le Couvent des Jacobins – Centre des Congrès associe patrimoine et contemporain comme un écho à votre installation. Était-ce une volonté dans la sélection des lieux d’exposition ?
Yannick Jacquet – Oui et non. Les lieux sont parfois le fruit du hasard, mais travailler dans des endroits au cachet historique est toujours intéressant. Le contraste avec le médium numérique n’en est que plus étonnant. L’architecture du Couvent des Jacobins répondait à la proposition. Elle rassemble quasi les mêmes caractéristiques que la façade, plus récente, où était projetée l’œuvre à Bruxelles : une façade aveugle et un toit pointu. Les dimensions et les proportions du toit sont légèrement différentes, mais cette différence créera des surprises et de nouvelles propositions visuelles intéressantes.
Unidivers – Mécaniques Discursives ressemble à un tableau vivant, mais ne raconte pas qu’une histoire. Les images, parfois issues de la Culture Pop (Dark Vador, Cendrillon, Playmobil, etc.), font appel à l’imaginaire de chaque spectateur et à des milliers de scénarios possibles.
Yannick Jacquet – Mécaniques Discursives raconte des micro histoires. Nous nous sommes parfois posés la question d’un fil conducteur. Orienter le projet sur une histoire en particulier aurait limité l’interprétation du spectateur. Autant ouvrir les portes au maximum et créer plusieurs niveaux de lecture.
Les gravures de Fred, majoritairement figuratives, permettent de se raccrocher à une imagerie familière. Le public a l’impression de connaître ces images. Notre démarche s’apparente un peu à celle des surréalistes : l’association de deux éléments figuratifs créent un troisième sens indépendant des deux éléments séparés. En associant des visuels de manière abstraite – sombres ou clairs, figuratifs ou abstraits, vides ou pleins, la proposition globale accroche l’imagination du public. La capacité des personnes à partir très loin est parfois impressionnante. Ils vont au-delà de ce que l’on pouvait imaginer (rires).
Unidivers – Avez-vous eu justement des retours sur les histoires que peuvent se raconter le public ?
Yannick Jacquet – Écouter les personnes raconter ce qu’elles voient peut s’apparenter à une sorte de thérapie (rires), mais j’ai une anecdote assez marrante. Des éléments représentent deux hommes avec des masques de cochon et ces images ont été présentées dans plusieurs pays du monde. De manière systématique, les spectateurs étaient étrangement persuadés que l’image représentait la caricature d’un homme politique local alors que l’on ne connaissait absolument pas la personne en question. C’est drôle de voir les connexions se faire de manière totalement imprévisible.
Unidivers – De la gravure sur bois à l’image numérique, notre rapport à l’image a énormément évolué. Aujourd’hui, nous sommes littéralement assaillis d’images à longueur de journée et votre projet semble justement questionner cette nouvelle perception et réception.
Yannick Jacquet – Le rapport à l’image est actuellement très boulimique. Mécaniques Discursives est tout simplement l’idée de pouvoir mettre sur pause ce déferlement incessant d’images, prendre du recul et d’obtenir ainsi des regards plus contemplatifs que ceux qui existent sur les réseaux sociaux. Quand l’installation est exposée, c’est agréable de s’apercevoir que des personnes sont capables de rester parfois jusqu’à 45 minutes…
Unidivers – La rédaction vous remercie.
« Mécaniques Discursives c’est prendre le temps de s’arrêter afin de contempler une œuvre »
Petit à petit, silhouettes et symboles prennent place sur le mur en pierre du Couvent des Jacobins. Ils sont encore immobiles, comme endormis, mais bientôt la mécanique se mettra en route. Indépendantes les unes des autres, les images s’animeront, prendront vie, tel les rouages de notre cerveau. Et notre esprit fera le reste. Il cheminera à travers les visuels et les projections à la recherche de liens.
L’évolution de notre rapport à l’image semble se dresser à la vue de tous et projeter, en quelque sorte, son arbre généalogique… Peut-être, mais n’est-ce pas une interprétation parmi tant d’autres au final ? Du 2 au 11 octobre 2020, les chimères vous attendent.
MÉCANIQUE DISCURSIVES, YANNICK JACQUET ET FRED PENELLE
Gratuit
Installation du 2 au 11 octobre 2020, Festival Maintenant – Association Electroni-K
Dimanche à Rennes – les Tombées de la Nuit :
Dimanche 04 Octobre 2020 19:00 > 23:00 Place Sainte-Anne, Mur du Couvent des Jacobins (Rennes)
Dimanche 11 Octobre 2020 19:00 > 23:00 Place Sainte-Anne, Mur du Couvent des Jacobins (Rennes)