Mélanie Perrier Nos charmes n’auront pas suffi

Nos charmes n’auront pas suffi (1ère étape de travail)
Ouverture de résidence de Mélanie Perrier
suivie d’une discussion avec Gilles Amalvi
26 février 2014 – Musée de la danse / Le Garage

 Partir de la vitalité de ce qui é-meut, de cette permanence du mouvement, afin de s’approcher de l’état Amoureux tout en le délestant de son poids dramaturgique. Sentir les résonances d’une rencontre venir s’incruster jusque dans la peau et atteindre les profondeurs du corps.
Dès lors l’état amoureux serait-il un état hallucinatoire qui nous invite à décrocher temporairement de la pesanteur du réel ?

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Œil caméra et corps écran

Mystérieux spectacle, ou plutôt fragment extrait d’une œuvre en devenir, offert dans le silence et l’obscurité ! Un dos féminin agité de mouvements fins, ondulations, tremblements, gonflements, et contractions, sublimé par un éclairage savant, qui se joue des repères perceptifs, des pleins et des vides, à la façon d’un spectacle de magie illusionniste, voilà ce qui a été exposé aux spectateurs médusés.

S’agissait-il d’un solo ? Pas vraiment. Car la chorégraphe qui « aime regarder », au premier rang, au centre, face à son œuvre, filmait la représentation. Ainsi, un dos, c’est-à-dire un corps aveugle, un corps écran[1] était admiré par un œil-caméra. Quel lien puissant et secret a su lier ces deux êtres complémentaires, d’un côté et de l’autre de la scène ?…

Cette expérience, rare, a assurément séduit les spectateurs et éveillé leur curiosité, car à l’issue de cette présentation très nombreuses furent les questions – où les suggestions : sur le titre ; sur la temporalité du spectacle ; sur le rôle que peut jouer la musique, etc. Parler d’une pièce en cours de création, devant la chorégraphe, n’est-ce pas déjà une tentative d’influence, serait-elle subliminale ?

 « Pour une danse qui ne transporte pas une histoire mais une géographie. »

Dans le texte de présentation de la pièce comme dans ses propos lors de la discussion avec Gilles Amalvi, la chorégraphe Mélanie Perrier utilise souvent des formules négatives pour définir son projet : « ce qui arrive au corps quand il n’est pas en mouvement » ; « pas de codes classiques de la représentation » ; « la danseuse n’a pas de retour de la forme plastique » ; « on ne travaille pas à produire des images » ; etc.  Il ne faudrait pas croire que cette façon de non-définir  son projet soit  l’expression d’une faiblesse conceptuelle ou d’un manque d’introspection ! La chorégraphe ne souhaite pas orienter la perception du spectateur, préfère « se délester de l’exigence de la lisibilité » et le laisser s’égarer. Peut-être aussi que le travail de Mélanie Perrier, relève de l’innommable, de l’indicible. Et de penser à Georges Bataille qui lors d’un de ses derniers entretiens[2] concluait qu’en écrivant sur tout ce que dieu n’était pas, il avait finit par en modeler le moule.

 On n’échappe pas aux images !

Mélanie Perrier se méfie des images, ne souhaite en formuler aucune. Et pourtant voici quelques-unes des images que le chroniqueur a reçues – mais qu’il ne veut aucunement imposer au lecteur ! – : une méduse ; une cellule en voie de division ; une poitrine de femme qui prend d’amples respirations ; la combustion d’une fleur ; un visage sans yeux, sans nez, ni bouche ; un corps mu par un autre corps parasite ; un moulage de plâtre frais, encore meuble et prêt à se déformer ; une image trouble dont on ne parvient pas à dessiner les contours, à la limite de l’informe, si familière mais pourtant insaisissable.

Certaines images apparues faisaient aussi explicitement référence à d’autres. Et de re-voir quelques photographies : une danse des voiles de Loïe Fuller ; le violon d’Ingres de Man Ray ; un crâne de Dali constitué de femmes nues ; un nu anamorphosé d’André Kertez ; le dos d’Astrid de jeanloup Sieff ; un ange avec les ailes émondées de Joel-Peter Witkin ; mais aussi : une venus préhistorique (dépourvue de bras et de tête) ; un moulage anatomique en cire de la renaissance ; une gravure en couleurs figurant l’écorché d’un dos féminin[3] ; un dessin d’Hans Bellmer (parmi les moins figuratifs); une poupée en latex translucide du film de Clouzot La prisonnière, une sculpture biomécanique de H. R. Giger, etc., etc[4]. Sans oublier une image littéraire ! Et surgit de nulle-part un extrait d’une phrase du roman initiatique Le Golem (corps-signe !) de Gustav Meyrink qui dit : « la femme d’airain à la pulsation puissante comme un séisme »[5].

Ces images de natures variées formaient un tout à l’étrange cohérence, à la fois attirant et oppressant, mais aucune ne s’est figée, n’a dominé plus qu’une autre. C’est heureux, car la chorégraphe ne voudrait « surtout pas ! » qu’une image ne vienne se fixer et finisse par déterminer un sens univoque.

Si un certain nombre de spectateurs ont reçu nombre d’images, c’est aussi parce qu’assister une représentation, de danse en l’occurrence, est une activité de groupe, qui met en relation les individus, et ce d’autant plus quand on sait qu’elle sera suivie d’une discussion. Plus ou moins consciemment, chaque spectateur est susceptible de se demander si son voisin ou sa voisine sur le banc partage une expérience proche de la sienne où s’il reste tout à fait isolé dans sa contemplation. L’irruption d’images, d’images que l’on parvient ensuite à décrire plus ou moins avec des mots, serait alors ainsi un moyen de transformer une expérience solitaire en expérience sociale.

Au-delà du phénomène optique

D’autres spectateurs – à commencer par Gilles Amalvi qui animait la discussion – n’ont pas été submergés d’images. Pour autant, ces spectateurs ont pu être véritablement séduits ou émus par la représentation. Car il ne faudrait pas réduire l’activité spectatorielle d’une pièce dansée à un phénomène de nature optique ou visuelle – pour inclure toutes les images mentales y compris les symboles. En effet, c’est une expérience beaucoup plus riche, qui active des mécanismes variés : sensoriels ; mais aussi nerveux et musculaires ; psychiques, réflexifs ou empathiques, d’une infinie complexité. Et le spectateur peut recevoir d’étonnantes sensations de chaleur, de curieux frissons, d’agréables ou d’insidieux vertiges, le tout concourant à une sorte d’ivresse qu’il aura bien du mal à qualifier mais qui constituera parfois l’essence même de son expérience. Et Mélanie Perrier d’inventer des outils originaux, mettant le corps en relation avec la lumière et bientôt avec la musique – musique en cours de création, qui promet d’être « granuleuse » et dont la spatialisation fera l’objet de savants réglages – destinés à faire résonner des choses ténues qui sont de l’ordre de « l’infra-visible » et de « infra-sens ».

Création en mai 2014 aux Rencontres Chorégraphiques de Seine-Saint-Denis

chorégraphie et conception : Mélanie Perrier – interprétation : Julie Guibert – Création lumières : Erik Houllier – création costume : Alexandra Bertaut – création musicale : Silvia Borzelli – assistante chorégraphique, choréologue Benesh : Cécile Médour

+ d’infos :

http://www.cie2minimum.com/

http://www.museedeladanse.org/events/ouverture-de-residence-2

http://www.scoop.it/t/musee-de-la-danse-press

[1] Précisons que la danseuse, Julie Guibert, ne s’est pas présentée pour recevoir les applaudissements qu’elle méritait et qu’elle n’a pas fait non plus d’apparition lors de la discussion qui a suivie la représentation. Certains spectateurs ont même lancé l’hypothèse que nous avions eu affaire à une projection holographique ! Néanmoins, ceux d’entre nous qui se sont attardés suffisamment longtemps au Garage ont eu le privilège de découvrir son visage ! Nous n’en dirons rien…

[2] On l’entend à la fin du documentaire de André S. Labarthe, Georges Bataille à perte de vue (1997).

[3] Il s’agit d’une illustration, souvent reproduite, notamment en couverture de livres, provenant de Myologie complète en couleur et grandeur naturelle. Paris : Jacques Fabien Gautier d’Agoty, 1746. Voir:

http://classes.bnf.fr/livre/grand/375.htm

[4] Le chroniqueur a constitué de mémoire cette liste le vendredi 28 au matin, à peine deux jours après la représentation, au moment où il a entamé son compte rendu. Nul doute que d’autres images référentielles vont apparaître dans les jours qui suivent mais peut-être témoigneront-elles moins objectivement de son expérience de spectateur.

[5] Der Golem (1915). Texte en traduction française à consulter sur:

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Rotomago
ROTOMAGO [matthieu mevel] est fascinateur, animateur de rhombus comme de psychoscopes et moniteur de réalité plurielle. rotomago [@] unidivers .fr

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