Remarqué lors de l’édition d’avril 2018 de Le Monstre de Reservoir Danse à Rennes, Ohanami de Melvin Coppalle est une chorégraphique très inspirée de l’univers butō. Ohanami sera présenté le 11 décembre 2018 au Pont des Arts à l’Auditorium de Cesson Sévigné puis au Tambour à Rennes, le 24 janvier à 20h.
Formé au théâtre, aux arts martiaux et heureusement à la danse, avec un fort attrait pour la danse butō, Melvin Coppalle, jeune chorégraphe de 21ans, est au début d’une carrière prometteuse. Formé au théâtre, à la danse et aux arts martiaux avec un attrait marqué pour la danse butō, Melvin Coppalle est déjà un brillant pédagogue. Il compose des pièces chorégraphiques qui tendent des ponts entre les différents courants et croisent les disciplines. Sa dernière création, Ohanimi, est composée d’une succession de tableaux où l’on reconnaît les étapes d’une vie et où le style du jeune chorégraphe s’affirme, son écriture.
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Unidivers : Comment vous inscrivez-vous dans la danse et plus précisément dans la danse butō ?
Melvin Coppalle : Mon univers et la danse que je défends sont effectivement très inspirés de la dansebutō. Pour autant, mes influences sont très diverses car je n’aime pas être enfermé dans un style de danse qui risquerait de me limiter dans le dynamisme de création. Disons que le butō est ma danse fondatrice dans laquelle je creuse mon propre sillage en tant que danseur et chorégraphe. Au départ, j’ai surtout été formé aux arts martiaux pendant 10 ans…
J’ai fait mes premières expérimentations à l’université en tant qu’étudiant, c’était mes premiers balbutiements en terme de création, si je puis dire. Malgré un réel travail de recherche, ce serait beaucoup m’avancer que d’affirmer savoir ce qu’est le butō. En outre, le fondateur de cette danse, Tatsumi Hijikata, disait qu’il y a autant de style de butō que de danseur.
J’ai donné plusieurs ateliers auprès d’enfants, d‘étudiants à l’université et au TNB. À chaque fois, j’essaye de proposer différentes facettes du butō que je connais, différentes manières de s’exprimer… Il n’y a pas une recette universelle en terme d’expression corporelle, le butōn’est pas exempt de défaut. Cette danse elle-même possède plusieurs générations en terme de mouvement esthétique, que ça soit avec la compagnie du Sankaï Juku, dans une démarche très contemplative, très poétique, ou bien la compagnie Dairakudakan d’Akaji Maro, très burlesque avec des connotations sexuelles, et exploitant la notion de tabou.
De mon côté, je n’ai pas eu de « maître » en tant que tel, même si spirituellement, j’en ai quelques uns en tête par ce que j’ai lu ou vu d’eux. Cependant j’ai suivi plusieurs stages et workshops auprès de Yumi Fujitani, Mai Ishiwata, Ana Ventura, et même Akaji Maro lui-même ! Mais je ne pourrais pas dire que j’ai un maître précis ou que j’appartiens à un courant bien spécifique…
En ce qui concerne l’esthétique que je défends, ce qui me transporte, c’est la volonté de plonger le spectateur dans un univers qui le fait voyager, qui le déconnecte de son quotidien, qui le déplace ailleurs… Le butōen cela peut être fabuleux dans le sens où il met en avant une universalité (dans les expressions notamment) tout en la questionnant en permanence, en jouant avec.
Quelles sont les autres sources d’inspiration que le butō dans votre dernière création Ohanami ?
Melvin Coppalle : PourOhanami (ma dernière création, en cours de diffusion) je m’inspire aussi bien du popping, que du kathakali, danse-théâtre du Kerala en Inde. Ma volonté est de rapprocher les différentes cultures entre elles tout en assumant un corps occidental. Ça fait très utopiste, mais il faut le dire : le monde actuelle est absurde, il est parfois difficile à vivre… Ce qui nous reste c’est l’espoir et j’aime à penser que je pourrais, modestement, en distiller un peu ! Cette idée est une grosse source d’inspiration pour moi, de manière générale. Je pense aussi que j’ai du mal avec l’idée de tout intellectualiser, en particulier en art… J’aime tellement l’idée de contemplation. Une phrase de ma défunte grand-mère me suivra tous les jours de ma vie. Elle disait : « Ressens en permanence le bonheur d’appartenir à ce qui te dépasse ».
Le Japon est central dans votre travail et pourtant vous n’y êtes jamais allé. Comment faire du butō sans avoir séjourné dans le pays qui lui a donné naissance alors que la tradition à laquelle le butō s’oppose est une notion prédominante ?
Melvin Coppalle : Nous pensons communément que pour avoir la compréhension totale de l’univers du butō qui m’inspire tant, il faudrait avoir obligatoirement séjourné dans le pays qui en est le berceau. La question de la légitimité pour danser le butōs’est posée plus d’une fois, malgré que j’insiste sur le fait que je ne suis pas danseur butō ! Mais c’est amusant, pour certaines personnes, il semblerait qu’il faille forcément être japonais pour toucher au butōet le comprendre.
D’autant plus étonnant quand on sait que cette danse est aussi née d’un tropisme entre le Japon et l’Occident, entre la France et le Japon en particulier, par la littérature de Sade, d’Artaud ou de Bataille, notamment. Il est vrai, cependant, que certains événements vécus par les Japonais, et qui auraient impulsés la création du butō, sont parfois assez difficiles à comprendre pour nous. Je pense notamment aux évènements post Hiroshima et Nagasaki, l’occupation américaine ou la « déclaration d’humanisation » soudaine de l’empereur Hirohito. Ça n’évoque pas grand-chose pour nous, mais pour le peuple japonais de l’époque, l’humiliation, le sentiment d’avoir été dupés par le gouvernement, l’américanisation de la société, … Tout cela représente un terreau favorable aux émergences des mouvements d’avant-garde, comme le butō.
Mais cette danse est avant tout celle qui hurle la douleurs des oubliés de la société, qui nous parle du chaos sans pour autant être enfermée dans un pessimisme ; elle s’affranchit des codes et s’amuse des tabous. Pour en revenir à la question, je pense que ce que défend le butōne concerne pas uniquement le peuple japonais… Après tout, les sociétés occidentales ont aussi leur lots d’oubliés et de tabous…
La contemplation de la nature et le rapport au temps qu’elle induit est prégnante dans votre travail.
Melvin Coppalle : La culture japonaise est très intensément imprégnée d’un rapport à la nature extrêmement fort. Pour le titre de ma pièce Ohanami, jeme réfère au hanami. C’est le mot qu’utilisent les Japonais pour évoquer la contemplation des fleurs de cerisiers qui éclosent et le thème central de ma pièce est justement la notion d’éclosion, ou de métamorphose. C’est aussi une façon de parler des différentes étapes du vécu de chacun. Éclosion puis érosion, et vice-versa. La notion de vieillesse, le temps qui passe et qui marque le corps… je trouve intéressant de sublimer tout cela. Par exemple, personnellement je trouve magnifiques les roses séchées que l’on pend la tête en bas. Elles ont une seconde vie et le rapport au temps en est modifié.
Le public a tendance à penser que le butō est une danse très lente, mais ça n’est pas tout à fait vrai. Chaque danseur de butō imprime son style personnel et le rythme de danse n’est pas du tout une règle figée. Le mouvement butōpourrait, selon moi, se résumer à cette idée là : si je pointe du doigt une étoile et que je décale mon doigt pour montrer une autre étoile, j’aurais alors fait un tout petit geste mais d’un point de vu cosmologique j’ai représenté des années lumières en quelques secondes. Le ressenti et l’intériorité du danseur sont donc primordiaux. En ce qui me concerne, je peux très bien avoir une gestuelle lente que partir dans de grandes élancées soudaines. Comme je le disais, en terme d’expression corporelle, nul besoin de règles figées.
Vous avez expérimenté différents formats de spectacles, la rue, le concert et le plateau de théâtre. Comment articulez-vous le rapport entre le danseur et le public dans ces différentes propositions ?
Melvin Coppalle : Quand je fais une performance hors-salle, je suis dans une relation très directe avec le spectateur : je peux partir dans une autre direction à tout moment, aller dans le public, alors que ça n’était pas du tout prévu au départ, passer un moment à simplement échanger un regard. Ma toute première performance s’appelle Misogi, c’est un spectacle que je joue dans la rue. Le cœur de cette forme est l’interaction avec le public, je vais le voir, le toucher, le renifler, le regarder dans les yeux pendant peut-être 30 secondes de suspension, et là, le spectacle va être entre cette personne précise et moi. L’idée est d’instaurer un dialogue permanent entre le regardant et le regardé. En somme, le spectateur devient créateur tout autant que moi puisqu’il influe sur ce qui peut se passer.
L’année dernière, j’ai dansé au Jardin Moderne avec le groupe de métal Mantra, ce qui a permis de mêler nos différents univers. C’était une expérience fantastique puisque plus rien n’était cloisonné. Le public venait voir un concert de musique métal et a finalement assisté… à un spectacle. La conjugaison des différents modes d’expression dans l’art est ce qui m’intéresse le plus. Dans la performance que j’ai présenté au Garage pour l’édition 2018 du Monstre de Réservoir Danse, j’ai décidé de rajouter du chant. J’ai également été invité à danser lors de vernissages d’exposition, un rapport encore différent, très stimulant.
J’ai commencé à montrer mes premiers travaux en 2016 à Rennes, au Jardin Moderne puis la ville de Rouen m’a invité lors d’un festival et le Mac Orlan de Brest m’a également proposé de venir faire une performance en décembre 2017. De ces premières expériences et recherches est né le spectacle actuel : Ohanami. Il s’est créé pendant mes résidences au Garage à Rennes et au Pont des Arts à Cesson-Sévigné.
Dans Ohanami, chaque tableau met en jeu une ou plusieurs métamorphoses : l’on passe d’une jeune femme assurée qui fini par se vieillir pour donner une vielle dame tremblante, d’un guerrier qui joue des codes de la virilité qui termine à croupir sur le sol comme un chien battu, d’un enfant qui hésite puis s’élance sur le plateau, etc.
Bien qu’il est possible que tout dans l’art soit politique, je ne me considère pas militant à proprement parlé. Dans Ohanamiil y a des questionnements qui émergent, des notions qui sont interrogées comme le genre, le temps, l’agonie des gens qui souffrent en silence, la vieillesse, mais elles sont sous jacentes ou plutôt latentes. Ce qui est intéressant également, c’est de recueillir les retours des spectateurs. Il semble que chacun perçoivent des choses différentes et j’aime beaucoup l’idée de créer des espaces dans lequel chacun peu projeter sa propre intériorité.
Dates :
11 décembre, 20h30 – Auditorium du Pont des Arts, Cesson-Sévigné.
24 janvier, 20h, Tambour – Université Rennes 2, Rennes.