En hommage à sa Mémé Philippe Torreton narre un passé aimé

C’est un succès littéraire inattendu qui s’est fait beaucoup par le bouche-à-oreille. Quand un acteur prend la plume, cela donne parfois d’étonnantes réussites. En rendant hommage à sa Mémé, Philippe Torreton, a réveillé les souvenirs. Et suscité des larmes.

« Mémé », tout est dans le titre du livre. Ce n’est pas « bonne-maman », « grand-mère » ou « mamie », non c’est « Mémé ». Mémé c’est le passé, la tendresse, la douceur, les cheveux blancs et les bras qui vous étouffent d’amour.

mémé, philippe torreton

Et la Mémé de Philippe Torreton, Denise Porte née à Triqueville dans l’Eure et décédée en 2005, c’est tout cela et bien plus encore. On connait Philippe Torreton par ses rôles au théâtre comme au cinéma, mais aussi par ses prises de position publiques, politiques et sociales, sa sensibilité de gauche.

« Sa » Mémé est bien conforme à cette image de l’acteur. Car ce livre est d’abord un portrait d’un être aimé, comme il en existe tant dans la littérature, mais un portrait qui renvoie à des valeurs sociales chères au comédien. Cette grand-mère porte en elle en effet une image de la vie et une conception de l’Homme qu’a adopté Torreton. Le consumérisme à tout crin est décrié à travers un mode de vie tourné vers l’essentiel : « jeune on t’a donné le nécessaire, adulte tu n’avais que l’utile et à la fin de ta vie il ne restait que l’indispensable ». La vie de Mémé c’est celle des petites choses, du « foutoir » qu’est une ferme, des embouteillages familiaux le dimanche devant la maison de Mémé,  de son enterrement avec « une foule de retours sur prêt d’amour », de l’odeur d’un cellier ou du passage des Noëls de terre battue à celui des parquets cirés. La vie de Mémé c’est celle de « on va pas gâcher ça » !

Tout cela peut donner l’image du « déjà vu, déjà lu », mais tout tient par la magie des mots, des images, par la magie tout simplement de la littérature. Et là Torreton excelle pour vanter les mérites de la pluie (là il n’a guère de mérite Torreton, natif de Rouen est normand bon teint), pour décliner à sa façon tendre, mais jamais larmoyante le mot « amour », pour écrire de manière majestueuse et exceptionnelle la mort dans des dernières pages pudiques et bouleversantes. Le talent d’écriture transforme ce qui aurait pu être un texte régionaliste passéiste, comme il en existe tant, en véritable morceau littéraire.

En refermant le livre, on a le sentiment d’être associé à ces souvenirs, les blouses de paysanne, le buffet qui grince, les cabanes, les bagarres à coups de branches de noisetier. Chacun se retrouve dans une anecdote, un moment de bonheur. Chacun s’approprie une partie du texte et les séances de dédicace comme celle de la librairie l’Armitière à Rouen, où Torreton était venu en voisin, sont celles des souvenirs, parfois accompagnées de larmes. « Moi aussi j’ai connu cela, l’odeur du cellier et puis la soupe faite de restes, et puis… ». Pour les autres, les plus jeunes sans doute, ce monde ressemble à ces photos trouvées dans une boîte à chaussures. Et la nostalgie qui va avec.

Souvenirs rendus précieux, associés à l’enfance, à l’adolescence, au temps qui passe, mais « était-ce vraiment le bon vieux temps » ? Ce mode de vie que la couleur sépia rend aujourd’hui nostalgique et merveilleux était-il si exceptionnel ? La vie de cette Mémé était elle vraiment plus belle et plus riche que celle d’une Mémé d’aujourd’hui ? Une vie paralysée l’hiver par le froid, limitée à des gestes quotidiens mille fois répétés, entre un jardin d’autosubsistance, et une gazinière à bois polyvalente. Une vie de solitude « qui l’attendait comme un banc vide »

À chacun sa réponse. Et puis la nature humaine est ainsi faite que le passé, enjolivé par la mémoire sélective, est toujours mieux que le présent. Alors peu importe si cette évocation pleine de nostalgie est magnifiée.

Mais par contre, et là c’est une certitude, chacun aimerait écrire un tel texte à sa « Mémé », à son « Pépé », ou à une personne chère à son cœur. C’est tellement mieux qu’une inscription sur une pierre tombale. Même en pur marbre noir. Comme la sienne. Celle de « Mémé ».

 

Mémé Philippe Torreton. Éditions l’Iconoclaste, janvier 2014, 144 pages. 15 euros.

 

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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