Dans ce cinquième roman Mercy Mary Patty Lola Lafon revient sur l’affaire Patricia Hearst, fille d’un magnat de la presse américaine, enlevée à dix-neuf ans le 4 février 1974 par la SLA (Armée symbionaise de libération) afin de confronter le chemin de vie – à quarante ans de distance – de trois femmes de générations différentes.
Avec La petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon dressait un portrait tout en nuances de la célèbre gymnaste roumaine, Nadia Comaneci, une jeune fille complexe, à la fois volontaire et soumise, qui passa de la prison d’un pays communiste à celle du capitalisme. L’adolescence est une période complexe qui remet en question les acquis parentaux pour tenter de trouver sa liberté. Mercy Mary Patty sont, quant à elles, les symboles de l’Amérique.
Mais Gene Neveva, professeure américaine révolutionnaire en poste dans une école bordelaise, chargée par les avocats de la famille Hearst d’établir un dossier pour la défense de Patty, est sans aucun doute le personnage fort de ce roman. Gene a étudié au Smith College, université du Massachusetts réservée aux filles et fréquentée par Sylvia Plath. Révolutionnaire dans l’âme, elle a participé aux manifestations contre la guerre du Vietnam et elle dénonce régulièrement le côté sombre de l’Amérique. Elle embauche une jeune étudiante, Violette rebaptisée Violaine pour l’aider à dépouiller les articles de presse parus de février 1974 à octobre 1975 sur l’affaire Patricia Hearst.
Elles décortiquent les messages de Patricia, gosse de riche qui finalement s’engage, arme en bandoulière, pour la cause de ses ravisseurs. Lavage de cerveau ou vrai engagement ?
Si j’ai subi un lavage de cerveau, c’est celui qui nous condamne tous à prendre et garder notre place dans la société.
Ces quelques semaines de travail sont comme une joute entre les deux femmes. D’un côté, une étudiante anorexique vierge de toute compréhension du dossier et de la réalité de l’Amérique, une jeune fille qui rêve de liberté loin des conventions feutrées de sa famille, émerveillée par la personnalité de Gene, son aisance à « manier des mots immenses ». De l’autre, une femme d’âge mûr ayant pour seul compagnon un chien fidèle, riche de sa culture américaine, cinglante, révolutionnaire. Sa vision des États-Unis remet en cause ce que les parents de Violaine lui ont transmis, un souvenir de soldats libérateurs.
Gene Neveva va au rythme d’un monde, parfois il la transporte, à d’autres moments elle en est chavirée.
Qu’est-ce qui pousse ces jeunes filles d’un siècle à l’autre à tourner le dos à leur milieu familial pour suivre un nouveau mode de vie ? Avec Mercy Short, accusée de sorcellerie en 1690 ou Mary Jemison qui préféra vivre avec les Senecas qui l’avaient enlevée en 1753, l’auteur montre comment des jeunes filles s’éclipsent de leur famille, « se radicalisent », s’intègrent dans d’autres environnements découvrant une autre façon de vivre qui répond davantage à leur rêve de ne plus être prisonnière d’une société. Toutes ces filles, des Américaines installées avec les Amérindiens aux filles parties pour le djihad en passant par Patricia Hearst, rejettent une Amérique où la police déploie tant de force pour détruire les membres du SLA, où des nantis ignorent ceux qui meurent de faim.
Peut-on décréter que quelqu’un n’est pas libre simplement parce que ses choix nous sont étrangers ?
En s’appuyant sur des faits réels historiques et sans imposer aucune réponse, dans Mercy Mary Patty Lola Lafon ouvre une réflexion sur ces voix charismatiques qui attirent l’attention d’une jeunesse en proie aux doutes. Des voix qui apportent un autre regard, qui montrent le chemin d’une autre politique, qui dénoncent les dérives d’un pouvoir en place familial ou étatique et qui peuvent parfois conduire aux extrêmes de la radicalisation. Si les objectifs de SLA sont humanistes, la façon de vivre des Amérindiens pacifistes, il n’en est pas pareil de tous les groupes révolutionnaires ou terroristes.
En posant avec une arme, Patricia-Tania attrape la maladie qu’elle désire combattre, celle d’une société où la guerre est la réponse à tout.
Une fois acquise la complexité de la narration – en effet, la narratrice est une troisième femme qui rencontre Gene Neveva aux États-Unis en 2015 et revient sur le travail de la professeure et de sa stagiaire, – Mercy Mary Patty constitue une passionnante réflexion sur la confrontation des idéaux de jeunesse avec une société qui ne leur correspond plus. Mercy, Mary, Patty est l’un des grands romans de cette rentrée littéraire.
Mercy Mary Patty Lola Lafon, Actes sud, Parution le 16 août 2017, 240 pages, Prix 19,80 euros.
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Écrivaine et musicienne, issue d’une famille aux origines franco-russo-polonaises, élevée à Sofia, Bucarest et Paris, Lola Lafon est l’auteur de quatre romans : Une fièvre impossible à négocier (Babel n°1405), De ça je me console (Babel n°1481), Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce (Babel n°1248) et La petite communiste qui ne souriait jamais (Babel n°1319).
Dans le domaine musical, Lola Lafon compte deux albums à son actif : Grandir à l’envers de rien (Label Bleu / Harmonia Mundi, 2006) et Une vie de voleuse (Harmonia Mundi, 2011).
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