« Vous pensez que votre amour est mort ? Mais peut être attend-il d’être transformé en quelque chose de plus grand. »
Nous ne relancerons pas le vieux et stérile débat sur « l’appartenance » géographique du Mont Saint-Michel, le propos du nouveau long-métrage de Terence Malick n’est pas là. Où est-il demanderont et demandent déjà certains ? Quel est le terme ou l’achèvement des vies et des relations de ces personnages à peine esquissés et perdus dans une histoire un peu floue ? Neil (Ben Affleck) et Marina (Olga Kurylenko) s’aiment. Depuis quand ? On ne sait. En amoureux ils se baladent. À Paris, apparemment, la ville où habitent Olga et sa fille (bien que la mère soit vraisemblablement ukrainienne…) et à la Merveille, le mont Saint-Michel donc. Ils finissent par s’installer chez Neil aux États-Unis.
Ils s’aiment, puis l’amour s’étiole, ils se séparent sans trop savoir ce qui réellement dénoue les fils de leurs relations. Peut-être d’autres relations, peut être le mutisme, l’incompréhension. Que dit de ça le vaste monde, les rivières, l’océan, les herbes dans les champs ?…
Il y aura forcément tous ceux que le maniérisme de Malick agacera. Les longs longs plans sur la nature (dont on ne sait pas trop s’ils sont bêtement bucoliques, un brin panthéistes, ou intensément dramatiques dans la statique qu’ils opposent aux affolements humains), les voix off « intérieures », la pesanteur et la non-intensité du jeu d’acteur… Pour ceux-là, rien à faire. Durant la projection à laquelle nous avons assisté durant une après-midi pluvieuse, deux des quelque vingt spectateurs présents ont claqué la porte au nez de cette œuvre juger par eux sans doute amphigourique. À moins, pour la gent masculine, de se concentrer sur la grâce et l’ardente tendresse de la somptueuse Olga Kurylenko.
Pour la gent féminine par contre… Que dire ? Ben Affleck est-il totalement à côté de la plaque ou incarne-t-il trop bien son personnage de Neil, homme terne, muré dans une intériorité stérile ? Toutefois, à ces dames que laisserait insensibles le langage poétique de Malick, il y aura toujours la présence de Javier Bardem. Splendide. Il campe le père Quintana. Prêtre catholique d’une petite paroisse en proie aux tourments du doute. Une figure bernanosienne dont la sincérité mélancolique est poignante et, paradoxalement, illumine le propos du film.
Terence Malick filme à hauteur d’intériorité. Il effleure l’intensité poétique qui gît dans les profondeurs des émotions et des sensations. Les images de la nature grandiose, immense, de la majesté écrasante des chefs-d’œuvre ou de la beauté la plus infime et la plus infinie, sont là pour embrasser l’histoire, pour transcender le vide maussade qui avec le temps s’empare des existences et les abîme. Pour montrer quoi ?
Que les vies humaines peuvent être à la fois aussi vastes que les paysages les plus sauvages et aussi faibles qu’une goutte d’eau sur une branche ou que trois brins d’herbe dans une carrière polluée. La force dans la faiblesse. La mélancolie et le doute qui ronge sont dans le regard et dans le cœur. L’amour est une force dérisoire et éphémère qui porte dans son essence de se consumer elle-même. L’amour est une puissance présente dans son absence même et qui se renforce de ses manques. L’écriture, les images, la technique de Malick (en particulier, comme toujours, son utilisation singulière de la musique) nous plongent au cœur même de cette réalité si singulière, comme une prière vaste et dévastée.