AUTOBIOGRAPHIE D’UNE BIOGRAPHE, MES VIES SECRÈTES DE DOMINIQUE BONA

« Je le sens bien, vous n’écrirez plus de romans… ». C’est François Nourissier qui dit ces mots à Dominique Bona, quand elle vient rendre visite au vieil écrivain, malade et isolé dans sa demeure parisienne. Cette phrase la touche au cœur, elle qui fut d’abord une romancière deux fois couronnée – Prix Interallié et prix Renaudot.

BONA VIES SECRETES

François Nourissier dit juste, confesse-t-elle, « le genre s’éloignait de moi et me menaçait d’un départ définitif ». Car Dominique Bona est devenue, au fil de son œuvre, d’abord une biographe elle aussi reconnue et distinguée comme la romancière – Goncourt de la biographie pour Berthe Morisot, le secret de la femme en noir en 2000, puis Prix Prince Pierre de Monaco pour Clara Malraux, Nous avons été deux en 2009 -. Elle s’en explique, d’une plume lumineuse portée par cette grâce et ce charme des mots dont elle est coutumière, dans son dernier livre Mes vies secrètes, paru en janvier 2019 chez Gallimard.

DOMINIQUE BONA

Cette académicienne, devenue Immortelle depuis 2013, élue au fauteuil de Voltaire – pas le moindre des devanciers ! – et succédant à son ami Michel Mohrt, dont elle fit l’éloge admiratif et affectueux dans son discours de réception sous la Coupole, est face à un dilemme et prise d’un questionnement dont elle a bien du mal à trouver la réponse dans un genre et un style qui peut balancer entre fiction et réalité, avoue-t-elle dans le dernier des 17 chapitres du livre.

Il y a souvent plus de rêve et d’imagination qu’on ne croit dans les vraies vies qu’on raconte. [Finalement], la biographie n’est-elle pas la forme la plus extrême du roman, l’alliage du rêve et de la vérité dans une union parfaite ?

Dominique Bona nous a raconté depuis 1987 d’authentiques et romanesques existences, treize à ce jour, qu’elle nous a fait réellement découvrir tant son attachement aux « héros et héroïnes » de son Panthéon personnel fut sensible et profond.

ROMAIN GARY

Le premier des personnages qui inaugure ces chapitres de la vie des autres est Roman Kacew, né dans le froid et les brumes de la lointaine Russie, arrivé avec sa mère dans la lumière et l’azur niçois à l’âge de treize ans. Ce Juif errant, devenu en littérature Romain Gary, baptisé « l’Enchanteur » par Dominique Bona, entrera dans la guerre dès 1939 qui l’entraînera de l’Afrique du Nord vers l’Angleterre puis la France aux côtés de De Gaulle, pour finir, à la paix retrouvée, dans un poste de consul en Californie où il rencontrera celle qui allait devenir sa femme, Jean Seberg. Tous deux s’aimèrent follement mais finirent par se suicider, à un an d’écart. La vie de Gary offrait aux biographes la matière d’un parcours d’aventures et de combats digne d’un roman, vécu par un écrivain à l’identité multiple. C’est en 1971 que Dominique Bona découvrira la littérature de Gary au cours de l’été de ses dix-huit ans, dans la chaleur d’une fête familiale au bord de la Méditerranée. On glissa alors dans la poche de Dominique un modeste cadeau d’anniversaire qui s’avérera essentiel, Les Racines du ciel, le plus beau des titres de roman, dit-elle.

C’est dans ses pages brûlantes au goût de sel que j’ai connu Gary. Un écrivain qui a changé ma vie.

Un écrivain d’abord méprisé par l’intelligentsia germanopratine – « Gary,…un romancier populaire ! » – puis encensé quelques années plus tard par ceux-là mêmes qui le rejetaient. Dominique Bona ne cite personne mais ils sont connus, issus de la maison Gallimard elle-même, s’amuse-t-elle à rappeler. Le choix courageux d’une biographie de Gary, appuyé par Simone Gallimard, femme de caractère admirée de Dominique et soutien de tous les instants de nombre de ses jeunes auteurs du Mercure de France, fut critiqué sur le plateau même d’Apostrophes quand Bernard Pivot lui servit les mots d’une lettre pleine de fureur de Diego Gary, le fils, très hostile au livre de Dominique Bona.

La rencontre avec Jean-Marie Rouart, pour les besoins d’une émission de France Culture, allait donner une impulsion décisive à ses envies et son parcours de biographe. Jean-Marie, à l’époque modeste journaliste au Figaro – et futur académicien aux côtés de Dominique, comme le monde est petit…-, issu d’une famille d’artistes-peintres, vivait dans son appartement au milieu des toiles collectionnées par ses aïeux, eux-mêmes peintres, comme son arrière-grand-père, Henri Rouart, élève de Corot, ami de Degas, Renoir, Monet. Jean-Marie s’est alors mis à raconter à Dominique les péripéties aussi riches qu’étourdissantes, aussi multiples que dramatiques, d’une « famille, condensé inouï de l’histoire de l’art » et de la création du XXe siècle, une famille qui n’avait cessé de côtoyer aussi bien peintres que romanciers, Manet que Gide ! Augustin, père de Jean-Marie, était peintre lui aussi. Il était fils de Louis, personnage jouisseur et truculent, amateur de femmes et de vins fins. L’opposé parfait du fils. La visite à Jean-Marie Rouart s’avéra ainsi décisive pour la biographe et offrit, avoue-t-elle, « tout ce qui serait la matière et la trame de mes futurs livres : les joies et les affres de la création artistique, les tragédies familiales, les désordres amoureux, le sort incroyablement romanesque des œuvres quand elles quittent l’atelier et l’illustration de cette vérité que j’étais alors très loin de comprendre n’ayant côtoyé les artistes que dans les musées hors de tout contexte humain : l’art est en deuil du bonheur. Tout ce qui me passionnerait par la suite, le pourquoi, le comment de mes livres, était en place ici et je n’en savais rien ».

dominique bona

 

Après cette belle rencontre, Dominique abordera aux rives des « Vies extraordinaires des sœurs Heredia », dont l’une, Marie, jeune femme aux yeux noirs, fille du poète José Maria de Heredia, fascinait le regard et aimantait l’objectif photographique de l’érotomane Pierre Louÿs. Comme elle attirait et attisait dans des jeux étranges tout un cénacle d’écrivains où se mêlaient Gide, Valéry ou Proust. Pierre Louÿs eut de Marie trois filles, aux yeux noirs, comme leur mère. La phtisie qui rongea l’une d’elles, Louise, emmena la malheureuse en cure à Arcachon, station balnéaire « avec des villas tristes, des jardins pleins d’ombre, de vieux kiosques à musique et d’inavouables secrets […] dans ce Sud océanique et balsamique, si semblable à leur rêve d’une île bienheureuse », un lieu mélancolique que l’on retrouvera dans le roman de Dominique Bona, La Ville d’hiver. Par un jeu de miroir, la biographie de l’une inspirera la fiction de l’autre.

PAUL VALERY
Dans un enchaînement inattendu, la vie de Pierre Louÿs amena Dominique sur les pas de Paul Valéry. L’auteur de la Jeune Parque, poète et essayiste rigoureux et austère, tomba amoureux fou, « ce péché capital aux yeux de M. Teste », durant les sept dernières années de sa vie, de Jeanne Voilier, une femme à la beauté sculpturale, arriviste, conquérante et mangeuse d’hommes, écrivains célèbres de préférence. « Le poète obscur et difficile, amant ivre du parfum capiteux de sa belle muse » lui dédia un recueil d’amour fou, Corona et Coronilla. Ses derniers mots, testamentaires, ce fut elle qui les lui inspira : « Le Cœur triomphe. Plus fort que tout, que l’esprit, que l’organisme. Voilà les faits. Le plus obscur des faits ». La majuscule du Cœur est de Valéry.

Berthe Morisot fut couchée aussi sur la palette biographique de Dominique Bona. Elle a séduit beaucoup sa biographe : « En art comme dans la vie, elle ne souhaitait qu’une seule chose et l’a elle-même écrit : être soi, rien que soi, en toute sincérité. […] J’y trouvai l’écho d’un désir tout aussi vif et tout aussi intime, éprouvé depuis l’enfance : suivre une voie personnelle, de préférence artistique. Dès lors ma biographie de Berthe Morisot allait jouer secrètement pour moi non seulement comme un miroir, où essayer de me comprendre égoïstement moi-même mais comme une source de courage et de volonté, où puiser devant tous les coups du sort ». Berthe Morisot, admirable exemple de ténacité, de force et de courage, réussit à conjuguer son statut d’épouse et de mère, adoratrice de sa fille Julie, de peintre, enfin, respecté par ses pairs, Cézanne et Renoir en tête, lui-même nommé tuteur de Julie à la mort de Berthe.

Suivent, sous la plume de Dominique Bona, nombre d’autres écrivains et artistes. Stefan Zweig, Autrichien de Salzbourg, Juif errant lui aussi, écrivain secret qui « évite de parler de soi et ne donne rien à voir à sa vie privée », homme de paix et apôtre de l’entente fraternelle des peuples, vécut tragiquement la montée du nazisme dans son propre pays. La nationalité autrichienne lui fut retirée. « Pire encore, il se découvrait en exil dans sa propre langue, qu’Hitler et l’ennemi nazi s’étaient appropriée ». Dominique Bona attache une vertu particulière aux textes de Zweig : « Tout ce que ce grand neurasthénique écrit a une puissante force de consolation. On se sent immédiatement compris, aimé, absous, grâce à lui. [ Dans le monde de Zweig] la tendresse circule à flots ».

Clara Malraux, première épouse du grand écrivain, fascina aussi Dominique Bona. Juive née de parents allemands naturalisés Français en 1905, elle grandit dans une famille disséminée des deux côtés du Rhin, déchirée par la Grande Guerre. Le second conflit mondial ne l’épargna pas non plus. Elle refusa de porter l’étoile jaune et s’engagea dans l’armée des ombres. « Modèle d’énergie, de résistance et de combativité » pour Dominique, Clara sera toute sa vie une rebelle, restée attachée malgré tout à Malraux qui la quitta, l’infidèle, pour Josette Clotis. « Nous avons été deux » persistera-t-elle dire à Dominique Bona, avec toute la difficulté d’exister aux côtés d’un tel homme, grand amour de sa vie, et de pouvoir « être une femme et conquérir sa propre lumière ».

C’est ce que n’a pas réussi à faire Camille Claudel, prisonnière des barreaux familiaux autant que de la geôle sanitaire de l’hôpital de Montdevergues, disciple talentueuse et maîtresse malheureuse dans l’ombre du géant Rodin.

Rien de commun avec l’explosive et libre Gala, compagne de Dali qui en était fou. « La biographie que j’écrivais valait une cure intense de vitamines tant cette femme injectait l’optimisme et le tonus à hautes doses ».

COLETTE
Dernière en date de ses admirations féminines, Colette, femme libre, ô combien ! Elle fut « une femme de l’aube, heureuse de voir naître le jour », que l’appétit de vie et de sensualité ne quitta jamais, même dans ses dernières années, arthritique et cloîtrée dans son appartement dominant les jardins du Palais-Royal.

Au final, le livre de Dominique Bona, parcours d’une écriture de biographe qui embrasse le XXe siècle en autant de jalons et figures littéraires ou artistiques aussi passionnées que bouleversantes, est à sa manière l’autobiographie d’une biographe. En ouvrant, autant que faire se peut, un mince et délicat rideau sur la vie des autres, Dominique Bona dévoile, à sa manière, sa propre vie, ses propres élans et sa vision du bonheur. François Nourissier qui a bien saisi la nature de cette aventure de plume finira par lui dire, comme une confidence :

Dominique, la biographie…, c’est par là que vous livrez les secrets de votre cœur.

DOMINIQUE BONA, Mes vies secrètes, Collection Blanche, Gallimard. Parution : 03-01-2019. 20,00 €

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