Les étudiants rennais des années 70 se souviendront d’un professeur de littérature générale et comparée peu commun. Milan Kundera arrive directement de Prague à Rennes en 1975, où il enseignera jusqu’en 1979. Depuis le dernier étage de la plus haute tour de Rennes, Les Horizons, l’écrivain donne de la ville un constat amer. Rennes, ou l’insoutenable morosité de l’air…

Je suis monté dans une voiture et j’ai roulé le plus loin possible vers l’ouest jusqu’à la ville bretonne de Rennes où j’ai trouvé dès le premier jour un appartement à l’étage le plus élevé de la plus haute tour. Le lendemain matin, quand le soleil m’a réveillé, j’ai compris que ces grandes fenêtres donnaient à l’est du côté de Prague. Donc je les regarde à présent du haut de mon belvédère, mais c’est trop loin. Heureusement j’ai dans l’œil une larme qui semblable à la lentille d’un télescope, me rend plus proche leur visage.

Joseph Ka [Kundera] était un heureux homme qui avait su relier d’une traite Brno et Rennes – les deux villes étant d’ailleurs jumelées – sans même arrêter sur le bas-côté sa Skoka immatriculée au pays du Malentendu.

Quelque chose d’étrange transparaît dans les divers témoignages de l’épisode rennais de Milan Kundera. D’un côté, on retient essentiellement l’assertion de l’écrivain selon laquelle Rennes était « une ville vraiment moche ». De l’autre, on retrouve, chez Jacques Josse et surtout chez Bernard Hue une interprétation positive de ce transit. Dans un article paru au PUR, intitulé « De Bohême en Rennanie, l’aventure bretonne de Milan Kundera », ce dernier a demandé à l’auteur en question ce qu’il pensait de Rennes. Kundera y affirme que Rennes fut son « meilleur temps en France ». Et de rajouter :
Je constate souvent que la vraie nostalgie de ma vie, c’est beaucoup plus à Rennes que Prague. Et j’en suis moi-même étonné.

Il se pourrait, finalement, que Kundera ne nous apprenne sur Rennes rien de plus ni de moins que ce qu’il constatait ainsi dans de L’Insoutenable légèreté de l’être : « Avant d’être oubliés, nous serons changés en kitsch. Le kitsch, c’est la station de correspondance entre l’être et l’oubli ».
Terminus Rennes, Jacques Josse, Éditions Apogée, 2012, 59 pages, 9,50 euros.
Écrire la Bretagne : 1960-1995, Presses Universitaires de Rennes, « De Bohême en Rennanie. L’aventure bretonne de Milan Kundera », Bernard Hue et Marc Gontard (dir.), 1995, 237 pages.
Le Livre du rire et de l’oubli, Milan Kundera, Gallimard, 1979, 263 pages.
L’Insoutenable légèreté de l’être, Milan Kundera, Gallimard, 1984, 476 pages.
