Rennes des écrivains #5, Milan Kundera en exil à Rennes

Les étudiants rennais des années 70 se souviendront d’un professeur de littérature générale et comparée peu commun. Milan Kundera arrive directement de Prague à Rennes en 1975, où il enseignera jusqu’en 1979. Depuis le dernier étage de la plus haute tour de Rennes, Les Horizons, l’écrivain donne de la ville un constat amer. Rennes, ou l’insoutenable morosité de l’air…

 

milan kundera rennes Rare sont ceux qui ont parlé de la littérature et des écrivains à Rennes aussi bien que Jacques Josse. Dans Terminus Rennes, sa déambulation dans la ville laisse entrevoir quelques fantômes littéraires. Kerouac toujours, l’édenté hédoniste Shane McGowan, chanteur des Pogues, Charles Pennequin, Pierre Bergounioux, « fumant un reste de cigarette, debout au milieu de l’avenue Janvier ». Il commence son texte, un brin grandiloquent, par cet extrait du Livre du rire et de l’oubli, de Milan Kundera :

Je suis monté dans une voiture et j’ai roulé le plus loin possible vers l’ouest jusqu’à la ville bretonne de Rennes où j’ai trouvé dès le premier jour un appartement à l’étage le plus élevé de la plus haute tour. Le lendemain matin, quand le soleil m’a réveillé, j’ai compris que ces grandes fenêtres donnaient à l’est du côté de Prague. Donc je les regarde à présent du haut de mon belvédère, mais c’est trop loin. Heureusement j’ai dans l’œil une larme qui semblable à la lentille d’un télescope, me rend plus proche leur visage.

Milan KunderaQuand il arrive à Rennes, Kundera n’est pas inconnu du monde des Lettres. En 1973, il a remporté pour La vie est ailleurs le prix Médicis Étranger. Albert Bensoussan, écrivain et enseignant à l’université Rennes 2, témoignera ainsi de son passage en Bretagne : « Il donna à ville encore terne des années 70 un lustre dont il n’était même pas conscient ». Kundera, il est vrai, revenait de loin. Après le Printemps de Prague et l’invasion soviétique, en 1968, il attendra quelques années pour s’exiler. Albert Bensoussan toujours, transcrit de manière romanesque son arrivée :

Joseph Ka [Kundera] était un heureux homme qui avait su relier d’une traite Brno et Rennes – les deux villes étant d’ailleurs jumelées – sans même arrêter sur le bas-côté sa Skoka immatriculée au pays du Malentendu.

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Quelque chose d’étrange transparaît dans les divers témoignages de l’épisode rennais de Milan Kundera. D’un côté, on retient essentiellement l’assertion de l’écrivain selon laquelle Rennes était « une ville vraiment moche ». De l’autre, on retrouve, chez Jacques Josse et surtout chez Bernard Hue une interprétation positive de ce transit. Dans un article paru au PUR, intitulé « De Bohême en Rennanie, l’aventure bretonne de Milan Kundera », ce dernier a demandé à l’auteur en question ce qu’il pensait de Rennes. Kundera y affirme que Rennes fut son « meilleur temps en France ». Et de rajouter :

Je constate souvent que la vraie nostalgie de ma vie, c’est beaucoup plus à Rennes que Prague. Et j’en suis moi-même étonné.

milan kundera rennesQue croire ? En 1979 Kundera quitte Rennes pour Paris et l’EHESS. En 1981 François Mitterrand lui octroie la nationalité française. L’auteur écrira du reste en français et traduira lui-même ses œuvres antérieures. De là à croire qu’il adorait Rennes, rien n’est moins certain. N’est-il pas un peu ridicule de chercher à s’approprier, par des publications universitaires ou locales, un écrivain qui n’a fait que transiter par la capitale bretonne ? N’est-ce pas encore l’aveu d’une certaine carence littéraire propre à cette ville ? Un article de Place Publique n’échappe pas à cette dramatisation. S’il est précisé qu’il « n’existe et n’existera aucun Rennes de Kundera », une sorte de métaphore fait des Horizons une tour d’ivoire, ou du moins un espace littéraire. « L’écrivain est toujours au dernier étage de la plus haute tour. C’est ainsi qu’il peut voir le monde. C’est ainsi qu’il peut le montrer », écrit le journaliste de Place Publique.

Il se pourrait, finalement, que Kundera ne nous apprenne sur Rennes rien de plus ni de moins que ce qu’il constatait ainsi dans de L’Insoutenable légèreté de l’être : « Avant d’être oubliés, nous serons changés en kitsch. Le kitsch, c’est la station de correspondance entre l’être et l’oubli ».

Terminus Rennes, Jacques Josse, Éditions Apogée, 2012, 59 pages, 9,50 euros.

Écrire la Bretagne : 1960-1995, Presses Universitaires de Rennes, « De Bohême en Rennanie. L’aventure bretonne de Milan Kundera », Bernard Hue et Marc Gontard (dir.), 1995, 237 pages.

Le Livre du rire et de l’oubli, Milan Kundera, Gallimard, 1979, 263 pages.

L’Insoutenable légèreté de l’être, Milan Kundera, Gallimard, 1984, 476 pages.

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