Jusqu’au 21 février, le Musée des Beaux-Arts de Rennes consacre une exposition-dossier aux douze peintures portant le numéro d’inventaire MNR. M.N.R ? Il s’agit d’œuvres affectées « provisoirement » après la Seconde Guerre mondiale aux musées français dans l’attente de retrouver leurs légitimes propriétaires spoliés par les nazis. Le numéro d’inventaire MNR pour « Musées Nationaux Récupération ». Exposition sur une drôle de guerre…
En 1997, Laurent Salomé, à l’époque conservateur du Musée des Beaux-Arts de Rennes, découvre que quinze des œuvres de son musée étaient estampillées MNR.
Les œuvres classées MNR (c’est-à-dire « Musées nationaux-récupération »), on avait oublié ce que c’était, jusqu’au colloque international organisé en novembre 1996 par la direction des Musées de France. Il est vrai que le cachet MNR est au verso, et que souvent la fiche technique ne mentionne pas l’origine. Nous pensions donc n’avoir que cinq tableaux (dont un Picasso) confiés dans les années cinquante par la direction des Musées de France. En fait, nous en avions quinze !
Les pièces présentées vont du XIVe au XIXe siècle : on y trouve un tableau anonyme sur un thème souvent travaillé de la femme entre deux âges : le tableau s’intitule La Tentation ou La Femme entre la jeunesse et la vieillesse (MNR 22) et est daté du XVIe siècle. Le musée possède d’ailleurs dans ses collections un tableau d’un autre anonyme sur le même thème qui permet une heureuse comparaison. Il y a aussi deux petits formats religieux de Tiepolo (MNR 293 et 294), un Guardi (MNR 323) qui, pour une fois, n’est pas une veduta de Venise et traite des ruines antiques. On citera aussi une vue du port d’Anvers de Jongkind (MNR 499), daté de 1855 : sa lumière annonce l’impressionnisme que l’on retrouve dans la belle toile de Sisley « Vallée de la Seine » (1875). Parmi les MNR du Musée des Beaux Arts, un seul a retrouvé ses légitimes propriétaires, le tableau de Pablo Picasso.
Cela aurait pu donner un beau titre de film…
Rosenberg contre Rosenberg…
Mon premier était Paul Rosenberg (1881-1959), grand galeriste parisien découvreur et ami de Braque, Matisse, et surtout Picasso. Lors de la défaite de 40, il s’enfuira aux États-Unis avec sa famille : déchu de la nationalité française, car juif, il sera dépouillé d’une partie de ses collections par les différents services nazis et français chargés de spolier les juifs. Certaines de ces pièces sont encore recherchées …
Mon second était Alfred Rosenberg (1893-1946), allemand des pays baltes, il fréquente d’abord l’Ordre de Thulé puis adhère au NSDAP dès 1920, idéologue du parti et de l’aryanisation malgré son patronyme, il est régulièrement mis sur la touche par ses ennemis que sont Göring et Himmler. Il développera des recherches « historiques » farfelues destinées à justifier la suprématie des Germains. En 1940, écarté de ses ambitions politiques il est chargé de l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) institution dédiée au pillage des biens juifs et plus particulièrement des œuvres culturelles (livres, tableaux, bijoux, éléments liturgiques, immeubles). Toute peine méritant salaire, il finira au bout d’une corde à Nuremberg en 1946.
Le moins que l’on puisse dire est que les plus hauts dirigeants du Reich, à défaut de légitimité, ne manquaient pas d’ambition culturelle. Hitler le premier, ancien peintre raté, imagine, en plus de remodeler Berlin, de créer à Linz, en Autriche, la capitale culturelle de l’Europe aryenne, un immense musée pour accueillir les plus grandes œuvres dites de l’« art véritable », par opposition à l’« art dégénéré » de la modernité : le Führermuseum. Göring, son dauphin en 1940, mythomane achevé, se voit en grand seigneur de la Renaissance et constituera à Carinhall, son domaine privé, une énorme collection.
Deux caractéristiques du régime nazi sont la guerre et la solution finale d’une part, la spoliation à l’échelle d’un continent d’autre part. En janvier 1939, Adolf Hitler prépare activement la guerre or le président du directoire de la Reichsbank, Hjalmar Schacht, lui fait savoir que l’Allemagne est au bord de la banqueroute:
Il n’y a plus de réserves ni de devises à la Reichsbank. Les réserves constituées par l’annexion de l’Autriche et par l’appel aux valeurs étrangères et aux pièces d’or autochtones sont épuisées. Les finances de l’Etat sont au bord de l’effondrement.
Hitler ordonnera alors le pillage pur et simple de tous les pays sous occupation nazie : les Devisenschutzkommando (commandos de protection des devises) sont chargés de faire main basse sur tout ce qu’ils peuvent et leur pouvoir est illimité: ils vident les comptes bancaires, collectent l’or des bijoutiers, des joailliers, écument le marché noir, saisissent des biens privés et forcent les coffres de certains clients des banques. Les derniers trains d’or pris aux juifs passeront en Suisse au mois d’avril 1945. Tous les services de l’Etat participent au pillage : le haut appareil nazi est une fédération de barons qui n’hésitent pas à se marcher sur les pattes et ce, jusqu’à la fin : outre l’ERR de Rosenberg (voir plus haut), divers services diplomatiques ou militaires participeront à la curée, parfois en concurrence.
La France aura été un des pays les plus pillés de la Seconde Guerre mondiale, on estime à 100 000 œuvres l’étendue du pillage dont 60 000 seraient revenus. Ces œuvres incluaient des biens détenus par des juifs, des Francs-Maçons et autres opposants, parfois des possessions de musées français achetés en bonne et due forme, ou encore les fruits des conquêtes napoléoniennes. Tout ceci se déroulant bien sûr grâce des complicités françaises dans les milieux ad hoc (galeristes concurrents ,commissaires priseurs) et aux habituelles lâchetés intéressées. Beaucoup agirent pour aider à cacher ou retrouver ces biens. Rose Valland, attachée de conservation au Musée du Jeu de Paume, où les services de l’ERR stockaient les œuvres avant de les expédier en Allemagne, entreprit pendant toute la guerre de répertorier tout ce qui avait été dérobé et le lieu de leur destination. Début 1945, elle arriva en Allemagne avec le grade de capitaine de la première armée française, pour participer en collaboration avec les Monument Men américains au travail de récupération. Le film Le train avec Burt Lancaster (1964) illustre une partie de cette histoire, en 2014 sortira sur les écrans Monuments Men qui retrace la plus grande chasse au trésor du XXème siècle : retrouver les oeuvres d’art volées par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. La dernère édition du livre de Rose Valland Le front de l’Art date de 2014 et n’est plus disponible qu’en occasion.
Il faut surtout conseiller la lecture du livre d’Hector Feliciano « Le Musée disparu » qui est un excellent travail, fouillé, précis réalisé par un journaliste indépendant et qui dépeint très bien cette période avec un luxe de détail sur les œuvres, les relations interhumaines et la difficulté pour les ayants droit (lorsqu’ils existent) de récupérer leur héritage auprès des musées ou des collections qui les détiennent. Visiter cette exposition, ce n’est pas seulement voir des œuvres intéressantes mais également voir des éléments essentiels de l’Histoire. Leur présence sur ces cimaises sont autant de témoins de cet odieux passé et surtout de l’impossibilité de retrouver leurs légitimes propriétaires : derrière ces paisibles oeuvres se cachent autant de drames.
Parmi les quinze mille œuvres n’ayant pas retrouvé leur propriétaire ou leurs ayants droit, treize mille ont été vendues aux enchères, et deux milles — dont les quinze tableaux de Rennes — confiées aux Musées nationaux
Les tableaux de la guerre, MNR, exposition Musée des Beaux-Arts, Rennes, jusqu’au 21 février 2016
Sur le même thème retrouvez la chronique du film La femme au tableau
https://www.youtube.com/watch?v=hQv8cYm0kqw
Et si vous pensez que votre famille a elle aussi été spoliée pendant la guerre, que vous reconnaissez une oeuvre, vous pouvez présenter une requête sur un MNR :
Il faut envoyer sa demande à l’adresse suivante :
Direction générale des Patrimoines
Service des musées de France
6 rue des Pyramides
F – 75001 Paris
Cette demande doit comporter des documents de 2 ordres :
1°) d’une part ceux établissant la propriété sur une oeuvre ; ils peuvent être de nature très différente (inventaire, police d’assurance, photographie ancienne d’un intérieur, publication ancienne) ;
2°) d’autre part les documents établissant le lien généalogique entre le demandeur et la personne spoliée ou, d’une façon générale, tous documents établissant les droits du demandeur sur le patrimoine spolié revendiqué.
L’administration examinera le bien-fondé de la demande aussi rapidement que possible pour la suite à réserver à cette demande.
NB: Les requêtes concernant des biens spoliés qui ne sont pas des MNR (tous les types de biens mobiliers ou immobiliers susceptibles d’être possédés, y compris les oeuvres d’art distinctes des MNR) doivent être adressées à la Commission d’Indemnisation des Victimes de Spoliation (CIVS).