Auteur de récits et de romans publiés au Seuil, chez Michalon et à La Martinière, Abdelkader Djemaï tient avec Moktar et le figuier, édité par Le Pommier, la promesse faite à sa mère d’écrire, pour les siens et tous ceux qui n’ont pas la parole, le grand livre de la vie.
De pleines pages de publicité dans les journaux et les hebdomadaires, des heures de commentaires sur les radios et les chaînes de télévision, sur les blogs et les réseaux sociaux. Sérieusement, si vous n’avez pas compris qu’il faut acheter le nouveau Despentes et le dernier Amélie Nothomb, l’heure est grave. Mais si pour être heureux vous souhaitez échapper à ce flux de déjà-vu et entendu, si vous avez envie de sortir de la fabrique des livres et des critiques, alors choisissez les chemins de traverse. Aucune malice ici dans cette référence à la maison homonyme de livres numériques ayant fait l’objet d’un entretien récent. Allez voir donc du côté des éditions du Sous-sol, du Quidam, de l’Observatoire, La Contre allée, La Baconnière, Riveneuve et tant d’autres.
Je me garderai d’oublier celles de Bretagne dans ce paysage, mais impossible de les citer toutes (vous pourrez les trouver, certes un peu dans le désordre sur le site de Livre et lecture en Bretagne). Ces maisons prennent chaque année des risques, elles n’ont pas de budget promotionnel et seule la presse locale et régionale, les radios libres, le bouche-à-oreille, les salons du livre font écho à leurs livres. D’heureuses surprises nous attendent parfois.
Le choix d’aujourd’hui est celui d’une petite maison, Le Pommier. Créée par Michel Serres et Sophie Bancquart en 1999, en se revendiquant d’un contrat « où notre rapport aux choses laisserait maîtrise et possession pour l’écoute admirative, la réciprocité, la contemplation et le respect ». Au sein depuis 2017 d’Humensis, elle publie essais, livres jeunesse, beaucoup de sciences et un peu de littérature. C’est le cas ici avec ce court récit, hors collection, d’Abdelkader Djemaï.
Il nous emmène dans son pays, l’Algérie, et nous le découvrons par les yeux émerveillés et curieux d’un très jeune enfant, Moktar. Il habite dans la maison en torchis des grands-parents, au douar des Ouled Ahmed en pleine campagne. C’est de là, face à ce figuier géant pour lui qui promet deux récoltes par an, qu’il va découvrir le monde. Le monde des fourmis, des abeilles et des oiseaux, le peuple des mares. Puis le temps des saisons et celui des adultes. Il ne comprend pas tout bien entendu. Mais il voit la grande propriété aux terres fertiles à côté de son hameau et les bras des siens loués pour les récoltes. Il entend au loin des coups de fusil. Il grandit, un autre monde encore l’attend, celui de la ville. Et l’école. Le geste silencieux de sa mère un matin nous dit beaucoup de ce récit. Elle écrit son nom en lettres bleues dans sa paume, une façon de lui dire sa fierté de le voir apprendre, de lui demander aussi d’ajouter des phrases au grand livre de l’humanité pour toutes celles et tous ceux qui ne savent pas écrire.
Ce petit livre est une bouffée d’air pur dans un monde qui ne respire plus. Nous sommes certes loin des piges pour les Goncourt, les Femina ou tout autre Médicis. Si histoire il y a, c’est celle que nous voyons par les yeux de ce petit garçon, les paysages et les couleurs, celle que nous entendons par les voix qui l’entourent, et en même temps, par petites touches, les lois qui entretiennent les hommes et les femmes pour le meilleur et pour le pire. Il verra ainsi les barbelés entre les quartiers, la peur dans les rues, les rumeurs sur le maquis et puis la guerre, là, tout près. Plus tard, longtemps après, il retrouvera le figuier et le goût de ses fruits mûrs. Il savait depuis tout petit que le monde commençait ici.
Abdelkader Djemaï, Mokhtar et le figuier, éditions Le Pommier, août 2022, 128 pages, 12 €.