La Sécession viennoise est un courant artistique qui émerge en Autriche, particulièrement à Vienne (d’où « viennoise »), à la fin du XIXe siècle. L’économiste français Pascal Morand voit dans ce vaste élan artistique la naissance du monde moderne. Dans Le Moment viennois, chroniques de la modernité à l’époque de la Sécession viennoise, il dresse le portrait de six figures majeures du mouvement afin de montrer en quoi leur œuvre respective a contribué à poser les fondations de la société contemporaine. Pointu et instructif.
Reconnue de par le monde comme ville culturelle majeure, Vienne, en Autriche, possède une histoire très riche dont l’apogée culturelle se situe au début du XXe siècle. Au tournant du nouveau siècle, certaines avancées primordiales, comme l’invention de la psychanalyse par Sigmund Freud, enflamment alors le domaine scientifique. La capitale autrichienne connaît de surcroît un renouveau capital dans le domaine des arts. Dans le prolongement des agitations artistiques germaniques, un groupe d’artistes, le peintre Gustav Klimt en figure de proue, se libère du conservatisme ambiant de l’époque. Ensemble, ils sculptent les prémices d’une culture viennoise aujourd’hui flamboyante.
Rattachée, a posteriori, à l’Art nouveau – comme le Jugenstil en Allemagne, la Sécession viennoise s’est épanouie entre 1897 et 1905. Opposant une nouvelle expression artistique à l’art défraîchi des salons officiels viennois, architectes et plasticiens de la Sécession sont les initiateurs d’un vaste élan de renouveau des formes artistiques qui touchera tout l’Occident à la fin du XIXe siècle. « Notre art n’est pas un combat des artistes modernes contre les anciens, mais la promotion des arts contre les colporteurs qui se font passer pour des artistes et qui ont un intérêt commercial à ne pas laisser l’art s’épanouir. Le commerce ou l’art, tel est l’enjeu de notre Sécession. Il ne s’agit pas d’un débat esthétique, mais d’une confrontation entre deux états d’esprit », a écrit le critique littéraire Hermann Bahr, à propos des objectifs de la Sécession, dans le premier numéro de la revue Ver sacrum, « organe officiel de ce groupe d’artistes autrichiens » lancé en janvier 1898.
Paru aux éditions Eyrolles, Le Moment viennois, chroniques de la modernité à l’époque de la Sécession viennoise parle de ce moment crucial. Cet instant où la ville, « bouillonnante de création artistique et scientifique », évolue jusqu’à se transformer en « phare de modernité ». Pascal Morand, économiste français, président exécutif de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode, professeur émérite à l’ESCP Europe et membre de l’Académie des technologies, transporte le lecteur dans la Vienne de 1900 et dans la richesse de la création artistique et culturelle. Il aborde dans ces pages la pratique artistique, l’esthétique et la création au travers de six figures historiques : le peintre Gustav Klimt (1862-1918), la créatrice de mode Emily Flöge (1874-1952), les architectes Otto Wagner (1865-1902), Josef Hoffmann (1870-1956), le compositeur et peintre Arnold Schönberg (1874-1951), et l’architecte et designer Adolf Loos (1870-1933).
« Tout ce qui se passe aujourd’hui, a été annoncé et anticipé à Vienne au début du siècle », Le Moment viennois, Pascal Morand.
Au-delà d’un rayonnement artistique qui fut international, Pascal Morand pousse la réflexion et s’intéresse aux liens entre histoire et histoire de l’art. Ses recherches l’ont également mené à faire le parallèle entre l’art et l’économie en analysant l’œuvre de chacun.e au vue des questionnements de l’époque. « Je fus […] amené à comprendre, en rédigeant ma thèse […], que c’est largement à Vienne que les concepts d’information, de connaissance et d’innovation, tels que nous les connaissons aujourd’hui, ont été forgés », argumente t-il d’ailleurs dans son introduction. L’économiste dépeint ainsi « la vie, les idées et la vocation prémonitoire » des architectes et plasticiens en prolongeant sa pensée dans les évolutions de l’art et de la société, de la fin de la Sécession viennoise jusqu’à nos jours. Sous sa plume, et de manière très documentée, leur vie respective montre dans quelle mesure ils et elle se sont inscrit.e.s dans l’histoire de Vienne, et plus large dans le monde.
Les six histoires se répondent et trouvent un écho entre elles afin de révéler « en quoi chacun a contribué à poser les jalons de notre société contemporaine dans les domaines du développement durable, de l’innovation, de la création, de la diversité, du féminisme… ». Elles laissent voir de quelle manière cette période eut un impact sur la société telle que nous la connaissons, à l’instar du travail de la féministe Emily Flöge, créatrice de mode.
En 1904, celle qui a inspiré le célèbre tableau Le Baiser de Gustav Klimt ouvre, avec ses sœurs Hélène et Pauline, la Maison Schwester Flöge dans le but de libérer l’habillement féminin. Devenue rapidement un haut lieu de la mode viennoise, la maison de couture étaient intégralement géré par des femmes, une controverse à l’époque qui n’empêcha pour autant pas la maison de prospérer. « La mode en tant que système repose sur quatre caractéristiques : une création à caractère esthétique, une incarnation par une marque et/ou un créateur ; des cycles courts, une aptitude à saisir l’air du temps et parfois à le devancer. » Emily Flöge avait saisi ces différentes composantes. À l’image des cinq autres artistes étudiés, Pascal Morand intègre la vie et le travail d’Emily Flöge à la question du féminisme en rendant compte de l’évolution du statut des femmes, et leur émancipation artistique, à laquelle a contribué la Sécession viennoise.