Depuis le début du mois de mars, le M.U.R. de Rennes accueille la création du graffeur rennais Moore, précurseur du street-art à Rennes. En l’espace de quelques jours, la performance rue Vasselot a révélé le talent graphique de l’artiste. Unidivers l’a rencontré pour l’occasion. De son premier graff dans un entrepôt désaffecté au M.U.R. de Rennes, comment Mourad est-il devenu le graffeur Moore ? Plongée artistique et urbaine de la fin des années 80 à aujourd’hui.
Au fil des mois, de multiples artistes d’horizons différents – internationaux, nationaux et locaux – ont habillé le M.U.R de Rennes depuis sa création. Après le travail tout en collages de 13bis, le graffeur rennais Moore propose une création pétillante de couleurs et d’une once d’espoir pour le milieu culturel. Vous le connaissez certainement, son blase se dissémine dans toute la ville depuis des années.
Le tag, « la base du graff »
L’art urbain, ou street-art, commence réellement à s’épanouir en France à partir de Mai 68. « Déjà en 1992, j’avais réalisé un lettrage avec l’inscription ” street-art ” pour m’amuser. On en trouve aussi dans les bouquins connus de tous les graffeurs Subway Art de Martha Cooper et Spray Can Art de James Prigoff et Henry Chalfant. »
Échanger avec Moore, Mourad de son vrai (pré)nom, sur son histoire replonge dans Rennes du début des années 90 et l’évolution du street-art. Natif de Dinan, mais ayant grandi à Rennes, ses années au lycée, option arts-plastiques, l’initie à l’histoire de l’art, mais aucune technique n’est réellement dispensée. « Je regrette un peu que l’on soit jetés à l’eau sans vraiment apprendre quelque chose au niveau graphique », commence-t-il. Il est entré dans l’univers du graff par la porte du tag, « les lettres sont la base ». « Un pote avait des cousins parisiens chez qui il passait les vacances. Un jour, il nous a demandés si nous savions ce qu’était un tag. » Une question qui semble peut-être dérisoire aujourd’hui avec l’institutionnalisation de street-art au début du XXe siècle, mais nous sommes en 1989.
Moore trouve dans le graphisme des lettres et la calligraphie du tag un intérêt particulier. « Quand j’ai commencé, le but était de trouver son nom et de l’écrire partout de façon originale et esthétique. La tendance était de développer son style et de se démarquer des autres » Mourad devient alors Moore : « Je m’appelle Mourad donc Moore, ce n’est pas très original », s’amuse-t-il à dire.
En l’écoutant parler, on comprend rapidement que cette histoire s’écrit en relation étroite avec sa passion pour le dessin. Ce mot reviendra inlassablement dans la discussion, et avec enthousiasme. C’est important pour lui et ce qui le motive. « J’ai toujours dessiné même si, au début, il n’y avait pas un rapport direct avec le graff ».
Après avoir marqué « les tables, les murs et les couloirs de l’école », Moore s’attaque aux murs de la ville. Certains sont en mission toute la journée, un marqueur ou des bombes à portée de main, prêts à dégainer, « il fallait en mettre un peu partout », mais ce n’est pas ce qui intéresse réellement le futur graffeur. Il suit le mouvement et « pose » un ou deux tags selon les endroits. « Trouver mon style était vraiment ce qui me bottait, m’éclater à faire des lettres qui me plaisaient et sortaient de l’ordinaire. » Il se rappelle vaguement de son premier graff marquant, dans un ancien entrepôt Ouest-France désaffecté. « À l’époque, on n’était pas très sûrs de nous. J’avais tracé les lettres et on avait rempli avec un copain… J’avais dû faire les contours, mais je ne me souviens plus trop. »
« Certains disaient que le graff rassemblait aussi bien la créa de nuit, en vandale, que celle en terrain, c’est-à-dire peindre dans des espaces, des terrains vagues, plus ou moins tolérés. D’autres revendiquaient au contraire ce côté vandale et considéraient que sans ça, tu n’étais pas un graffeur. »
L’art de Moore commence à une période où l’illégalité de la pratique n’est pas mise en avant. Cette caractéristique arrive plus tard, « quand il y a eu la mode où tout le monde devait être méchant. Il fallait revendiquer le fait qu’il ne fallait pas rigoler avec nous », souligne-t-il avec humour. Mais l’artiste rennais se sent plus proche de la mouvance du début du hip hop, arrivé en France au début des années 80, et du slogan Hip Hop Peace : « Love Unity & havin’ fun ».
Il avoue également s’être senti rapidement frustré, « je ne me trouvais pas assez bon par rapport à mes potes ». En recherche constante d’un style propre, il découvre des fresques géantes aux personnages, aux décors et aux lettrages travaillés dans les magazines qu’il lit, ce qui lui ouvre la voie vers son propre style.
« La bombe est l’âme du graff »
Sa pratique évolue en même temps que le matériel de graff, pas aussi sophistiqué, « on prenait ce que l’on trouvait comme bombes », principalement des bombes de peinture pour voitures. « Le diffuseur ne retenait rien et les traits étaient énormes », se remémore-t-il. « La peinture était très liquide donc elle coulait beaucoup et ne recouvrait pas autant que les marques de peintures utilisées aujourd’hui. C’était sale. » Mais c’était suffisant pour leur plaire. Puis à cette période, « il fallait peindre à la bombe sinon tu n’étais pas un graffeur. Après, on a commencé à utiliser des rouleaux et des gros pots de peinture pour écrire en plus grand et plus rapidement. Il nous arrivait aussi de remplir l’intérieur des lettres au rouleau, mais cela m’amuse moins. »
À partir des années 2000, la scène s’élargit et différentes techniques apparaissent comme le collage, « certaines à la limite de la sculpture également, comme Space Invaders, un artiste reproduit les aliens du jeu en mosaïque et les colle un peu partout en France, voire dans le monde. C’est à cette période que le street-art est arrivé et a pris le monopole », la limite devient alors encore plus floue. Encore aujourd’hui, Moore ne se considère pas comme un graffeur, plus comme un peintre aérosol. « Le graffeur est quelqu’un d’activiste, qui sort et va peindre la nuit. »
Le graff de Moore : « Du lettrage et du dessin. »
« Au début on s’inspire, voire on copie carrément les autres. On trouve ses marques au fur et à mesure, ne serait-ce qu’avec l’outil, très important selon moi dans la découverte de son style. » Dès ses débuts, Moore cherche des lettres originales afin de sortir du lot, « pour ne pas réaliser une typographie que l’on retrouvait sur les autres murs ou chez les autres graffeurs. »
S’il devait définir son style aujourd’hui, Moore parlerait d’équilibre entre le compliqué et le simple, et de couleurs pétantes qu’il aimerait parfois nuancer afin de se rapprocher de l’illustration. Mais la création artistique est une question de périodes, d’envies et de moments. Quoiqu’il arrive, l’artiste s’attache à mélanger le lettrage et le dessin. « J’aimais bien m’avancer sans avoir de préférences pour l’un ou pour l’autre. » Il représente pour cette raison au minimum un personnage, un animal ou une voiture. Son blase comportant deux “O”, il peut par exemple facilement matérialiser une tête sur l’un deux sans que cela ne gêne la lecture. Cette pointe d’humour « parle plus aux passants qui ne sont pas familiers du graff » et peut changer la façon de regarder.
Mais ses inspirations sont multiples. Ses créations robotiques émergent par exemple du monde de la science-fiction et ce n’est pas un hasard. Ses premières lectures ne sont autres que Metal Hurlant et les bandes dessinées de Moebius. Il ne se spécialise pour autant pas dans cette thématique. « J’ai des idées de lettrages dans la tête depuis des années, mais je ne les ai pas encore réalisés, car je n’ai pas pris le temps ou pas trouvé la surface qui convenait », à l’instar de son travail sur le M.U.R. de Rennes, « sorti du tréfonds de mes méninges ».
Le graffiti, une « arme de création massive »
Sur cette grande surface, en plein centre, Moore a voulu donner le meilleur de lui-même et s’exprimer sur un sujet qu’il avait envie de traiter depuis longtemps. Sa dernière création résonne avec ce qui se passe actuellement, une idée qu’il avait en tête bien avant le confinement et qui se concrétise sur le M.U.R. de Rennes.
Les bombes de peinture comme munitions apportent un côté humoristique, bande dessinée que Moore affectionne particulièrement. Une machine de guerre, mais créative, afin de mettre en avant le graff, car c’est ce qui l’anime et le passionne. Le street-art est actuellement une des seules pratiques artistiques à ne pas être brimée par la situation actuelle. Après tout, comment empêcher les graffeurs de s’exprimer dans l’espace public ?
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