Le statut de la femme-écrivain, de l’auteure ou de l’écrivaine du XIXe siècle et du début du XXe siècle était bien différent de celui des femmes de lettres d’aujourd’hui. La femme qui entendait vivre uniquement de sa plume à cette époque était mal perçue par une société qui avait vu le statut de la femme patriarcalisée à la suite de la Révolution française. C’est pourquoi Aurore Dupin a l’idée de recourir à un un pseudonyme masculin ; elle devint la célèbre George Sand. D’autres femmes férues de littérature vont suivre son exemple pour s’adonner à leur passion et à l’écriture. Le département du Morbihan a aussi une auteure littéraire au XIXe siècle pas assez connue en la personne de Raoul de Navery, alias Eugénie Saffray.
De George Sand (1804-1876) des années 1830 à André Léo (1824-1900) de la Belle Époque, la position de la femme de lettres dans la société était radicalement différente de celle de son homologue du sexe opposé. Il était surtout impensable qu’une femme accède à la gloire littéraire. Face à la belle misogynie du XIXe siècle et à ses nombreux détracteurs en particulier dans le domaine des grands hommes de lettres, les femmes qui veulent écrire n’ont pas d’autres choix que de choisir un pseudo masculin, modèle copié sur George Sand née Aurore Dupin. L’écrivaine signe là son premier combat pour la reconnaissance des droits d’écrivains pour les femmes et tente d’organiser la profession mieux que ne l’avait fait jusque-là la Société des Gens de lettres. Elle contribue activement à la vie intellectuelle de son époque.
André Léo de son vrai nom Victoire Léodile Béra est journaliste et romancière, une des premières femmes à se battre pour l’égalité des sexes. Communarde passionnée, elle passera sa vie à faire avancer la cause féministe.
Même les maisons d’édition travaillaient au XIX e siècle exclusivement avec des hommes et faisaient tout pour que les femmes de lettres ne soient pas publiées. En France, en Angleterre, au Danemark, elles sont environ une dizaine à avoir choisi des noms d’emprunt masculins, encore dans la première moitié du XX e siècle. Elles ont beaucoup apporté au monde littéraire européen et donc méritent d’être connues sous leur vrai nom ; quelques exemples ci-dessous :
Jeanne Loiseau, son pseudonyme masculin était Daniel Lesueur (1860 -1920). Elle se fait connaître pour sa production littéraire des plus prolifiques, mais aussi pour sa carrière journalistique et de critique littéraire. Elle plaide pour la création d’une Académie littéraire de femmes. En 1900, elle postule au Comité de la Société des Gens de Lettres, mais échoue. Elle se représente en 1907 et elle est élue.
Violet Paget se faisait appeler Vernon Lee. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, l’auteure française devient l’une des écrivaines prolifiques les plus respectées de son époque. Ses œuvres s’inspirent de thématiques très diverses : les voyages, les critiques d’art, la musique, le surnaturel, le féminisme, la Première Guerre mondiale et le libéralisme. Ses romans sur les entités et les fantômes rencontrent le succès.
Elsa Triolet fait le choix de s’appeler Laurent Daniel (1896 -1970). Elle écrit des poèmes et les adapte en chansons. Elle est la première femme de lettres à obtenir le prix Goncourt en 1945 et fut la muse d’Aragon.
Mary Anne Evans a utilisé le pseudonyme George Eliot. Parce qu’elle change de nom, elle est prise au sérieux et cela lui évite les quelques désagréments de ses débuts. En 1874, elle publie Middlemarch, étude de la province, une des œuvres les plus célèbres de la littérature anglaise. Mary Anne Evans fait alors partie des écrivaines les plus importantes de l’époque victorienne.
Charlotte, Emily et Anne Brontë, les soeurs Brontë se font appelées réciproquement : Currer, Ellis et Acton Bell. Grâce à leurs pseudonymes, elles écrivent trois œuvres classiques du romantisme : Jane Eyre, Les Hauts de Hurlevent et Agnes Grey. Elles sont des pionnières auteures qui ouvrent la voie à d’autres femmes qui sont ensuite acceptées dans le monde de la littérature.
Elizabeth Mackintosh prend le pseudo de Gordon Daviot (1896 -1952). Elle est connue pour ses romans policiers et sa série de douze pièces de théâtre
La Danoise Karen Blixen prend deux pseudonymes masculins, tantôt celui de Isak Dinesen, tantôt celui de Pierre Andrezel. . Cela lui vaut de publier le recueil de contes courts intitulé Sept contes gothiques et de nombreux romans, dont la Ferme africaine.
La Morbihannaise Eugénie Caroline Saffray prend quant à elle le nom d’emprunt masculin de Raoul de Navery. C’est rue Beaumanoir à Ploërmel dans le Morbihan qu’est née la future femme de lettres, le 21 septembre 1829. Elle est la seconde fille de Pierre Saffray et de Marie-Jeanne Raoul Des Essarts et a une sœur, Marie-Adèle, son aînée de seize mois. Trois ans plus tard, elle aura un frère Charles, qui deviendra docteur en médecine. Son père est contrôleur-receveur à cheval des contributions indirectes.
Eugénie Saffray passe son enfance au centre de Ploërmel auprès d’une mère sévère, qui lui donne une éducation stricte. Elle fait ensuite ses études chez les Dames du Sacré-Cœur à Vannes. C’est à ce moment-là qu’elle commence à se passionner pour l’histoire et la littérature. Ses professeurs l’encouragent, car elle a un réel talent. Eugénie est calme et réservée, mais avec une personnalité volontaire. Elle apprécie les années au couvent où elle gagne de nombreux prix : des livres et des bibelots qu’elle conservera en reconnaissant plus tard. « Mes années au couvent de Vannes ont été certainement les meilleures de sa vie », dira-t-elle.
Son père reçoit une promotion aux Postes. Il devient receveur principal et il est muté dans l’Orne. Toute la famille le suit à Argentan (61). Le 23 novembre 1846, Eugénie Saffray a tout juste 17 ans quand elle consent à épouser Eugène Chervet, âgé de 31 ans et rédacteur à la préfecture de Rennes. Il meurt quatre ans plus tard alors que Eugénie Caroline n’a que 21 ans. Elle commence à écrire des poésies et des proses. Veuve Chervet, elle se fait appeler Marie David dans un premier temps, mais la poésie ne lui rapporte rien alors, en 1860, elle se tourne vers le genre des voyages historiques. À l’image de George Sand qui lance l’idée de choisir un pseudonyme masculin, Eugénie Saffray décide de prendre le nom de son grand-père maternel. Elle devient Raoul de Navery pour percer facilement dans le monde littéraire encore majoritairement masculin. Ses romans sont empreints des valeurs morales de la Bretagne et d’un catholicisme profond. Ils n’en restent pas moins romanesques et aventureux. Ses héros sont pauvres, souvent désespérés, les scènes sont dramatiques et déchirantes mais toujours morales et ses personnages ont parfois des pouvoirs surnaturels.
La romancière s’installe rue Concoret à Paris en 1864. Elle publie cette année là Les délicieuses mémoires d’une femme de chambre. Elle devient rapidement un personnage de la société parisienne et fréquente les banquets, les réceptions, les matinées littéraires, les concerts, les théâtres et les soirées musique. Raoul de Navery admire la romancière George Sand de 25 ans son aînée. Elles ont de nombreux amis en commun, membres de la Société des Gens de Lettres. Pendant une année, en 1856, elle se rend dans l’Est de la France à Metz et se réfugie au Sacré-Cœur. Elle publie Souvenirs du pensionnat, un recueil de pièces de théâtre. En 1861, elle vit quelque temps en Seine-et-Marne à Fontainebleau, au Prieuré de Basses-Loges, où elle compose Le chemin du paradis.
En 1877, toujours en Seine-et-Marne, Raoul de Navery achète, sur la commune de La Ferté-sous-Jouarre, les dépendances du château de Reuil-en-Brie qui appartenait au baron Louis de Flegny. Au début, cet endroit lui sert d’échappatoire pour les vacances et elle fait des allers-retours réguliers avant de s’y retirer définitivement. Elle décède au château le 17 mai 1885 à 56 ans. Devenue très populaire et respectée, sa mort est annoncée par de nombreux journaux français. Tous publient une longue notice nécrologique vantant ses qualités morales et artistiques. Les funérailles de Raoul de Navery, la Ploërmelaise Eugénie Caroline Saffray, se déroulent à Paris le 19 mai 1885, en l’église de Notre-Dame-de-Lorette, dans le 9e arrondissement. Elle repose au cimetière Montparnasse à Paris.
Raoul de Navery a publié au total plus de 100 romans en 25 ans, une production énorme dont nombreux sont ceux qui s’adresse à la jeunesse.
Quelques titres des œuvres de Raoul de Navery les plus connues :
Les Parias de Paris – Le marquis de Pontcallec – La trilogie Parita – Le trésor de l’abbaye – Jean Canada.