MUR de Rennes. Le Cœur de Sane2 vibre pour le graffiti

Sane2 est le nouvel invité du MUR de Rennes. Dans cet écrin du street-art, son filtre d’amour graffé se propage dans la rue Vasselot. La création reflète un style que le graffeur et tatoueur développe depuis les trois dernières décennies, lorsqu’il rencontre la culture hip hop et le wildstyle… Une histoire du graffiti et l’histoire d’une passion.

De la rue Vasselot émane une ambiance de Saint-Valentin, une prouesse réalisée par le graffeur Sane2, le nouvel invité du MUR de Rennes. Il est difficile d’échapper à cette fiole en forme de cœur qui lévite au milieu d’un fond rouge vif. La mixture verte interroge, tout comme le ruban qui l’enveloppe et sur lequel est écrit le mot “Amour” en plusieurs langues… Il y a un peu plus de 30 ans, le Caennais s’est pris de passion pour le wildstyle, graffiti new-yorkais qu’il a ensuite prolongé au-delà des murs, dans le milieu du tatouage. Sur les murs ou sur la peau, ses créations empruntent autant au monde du graffiti qu’à celui du tatouage.

sane2 mur de rennes
© Sannetwo Calvanostra

Normand de naissance, Sane2 a été envoûté par le graffiti en 1992 grâce aux fanzines photocopiés en noir et blanc et ramenés au compte-gouttes de la capitale. Les photos des grosses lettres attirent l’attention du dessinateur qu’il était déjà à l’époque. « Je trouvais ça cool, les grosses lettres et que ce soit visible de loin », dit Sane2 en signe d’introduction. C’est aussi de cette manière qu’il trouve son blase, en référence à Sane, graffeur new-yorkais décédé en tombant d’un pont qu’il était en train de tagguer. « Il est mort de sa passion et à l’époque, ça m’avait choqué, c’était fou », se rappelle le graffeur. De là est né Sane2. « Généralement dans le graffiti, tu mets un 2 derrière ton blase quand tu es le numéro 2. Tu ne prends pas le même nom que la personne. »

Au début, Sane2 faisait essentiellement du tag, des signatures qu’il posait en vandale dans les rues de Caen. Mais son intérêt pour les grands formats l’a rapidement orienté dans une création plus imposante. « J’ai un livre qui m’est passé entre les mains, Spraycan Art, une référence du graffiti new-yorkais. Il m’a retourné le cerveau et j’ai voulu m’y mettre. » Les graffeurs des scènes parisienne et new-yorkaise qu’il découvre en feuilletant les pages de cette bible du graffiti l’inspirent. Parmi eux, les Américains Skeme et Seen, précurseur du graffiti new-yorkais qu’il a eu la chance de rencontrer quelques années plus tard à Paris. « Il faisait de gros blocks letters et de beaux wildstyle que je kiffais. »

Le style de Sane2 s’affirme quand il commence à peindre plus sérieusement à partir de 1997. La culture hip hop lui parle particulièrement et, nourri de ses mentors new-yorkais, il plonge la tête la première dans la complexité du wildstyle, la forme la plus aboutie et la plus difficile du lettrage. « Quand tu commences, tu pars d’un lettrage classique, puis tu passes au semi wildstyle, tu essaies de déstructurer tes lettres et de les reformer de manière stylisée en leur donnant du mouvement », nous apprend-t-il avant d’ajouter : « Le wildstyle, c’est quand ça part totalement en sucette. C’est complexifier les lettres au maximum au point qu’on ne puisse plus les lire. » Le lettrage devient alors indéchiffrable et demeure un mystère pour un œil non-aguerri, mais les artistes suivent généralement un schéma défini qui permet aux connaisseurs de décoder le blase, avec un peu de patience.  « Ce qui m’a intéressé dans le graffiti c’était la chorégraphie et la danse du corps. C’est le mouvement qui me plaît. » 

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  • association aero sane2
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Un autre chapitre s’écrit en novembre 2000, quand il monte avec deux amis l’association AERO. Cette dernière devient la structure graffiti de référence en France quand elle crée un site internet, la première base de données dédiée au mouvement. Pour la première fois, les artistes peuvent créer une page et montrer leur travail. Mais la vague de répression contre le graffiti lancée par Nicolas Sarkozy, arrivé au ministère de l’Intérieur, met à mal l’activité de l’association. « Ça commençait à prendre des proportions que l’État n’arrivait plus à contrôler, la SNCF pétait un câble. Il y a eu des perquisitions chez les vendeurs de bombes et le magazine Graffit’ en a aussi fait les frais. » AERO passe quant à elle en commission rogatoire du parquet de Versailles, subit une perquisition dans ses locaux et dans les serveurs à Roubaix. « Des flics sont venus de Paris et ont failli casser la porte de chez ma mère pour aller chercher des infos », se souvient-il. « Le contenu était journalistique, mais certains tagguaient des trains la nuit et mettaient les photos en ligne le lendemain. » La quantité de contenu aurait demandé une modération que les bénévoles de l’association ne pouvait malheureusement pas effectuer. Malgré le soutien de la Ligue des Droits de l’Homme, l’association préfère fermer le site en 2004 afin d’éviter de porter préjudice au mouvement et que la base ne devienne pas un annuaire dans lequel la police pioche à volonté. « Ils retrouvaient les adresses IP donc on devait régulièrement changer un numéro pour ne pas qu’ils aient les bonnes infos. Le site ne remplissait plus le but premier qui était de développer le mouvement. »

Mais cet épisode ne l’empêche pas de poursuivre sa passion qui est devenue naturellement son métier. « Je volais quelques bombes, mais l’objectif n’était pas de tomber dans le gangstérisme », s’amuse-t-il. « J’ai commencé à faire des décorations pour des particuliers, des collectivités et des entreprises, puis des ateliers avec les enfants. » Sane2 applique le dicton issu de la culture hip hop « Each one, teach one »  (« chacun enseigne à l’autre », littéralement) et transmet son savoir de graffeur en réalisant des ateliers d’initiation et d’apprentissage à la bombe aérosol : en maison d’arrêt, en maison de retraite ou en MJC, auprès des migrants, de personnes âgées ou de jeunes. « La bombe est un prétexte pour mixer les publics et les générations. C’est génial de faire se rencontrer les gens. » 

sane2 calvanostra
© Sanetwo Calvanostra

Sane2 rend visible le mouvement graffiti par le moyen de différents canaux. Le projet Mémoire Ouvrière s’inscrit dans cette dynamique. En 2011/2012, il contacte des amis graffeurs dans l’idée de repeindre le quartier ouvrier dans lequel il a grandi. La mairie, peu encline à les soutenir au début, change d’avis quand la démarche est soutenue par la population. Imprégnés de l’atmosphère du quartier, les graffeurs colorent les maisons prochainement détruites et créent un véritable musée à ciel ouvert. « C’était dans l’intérêt de la mairie de récupérer le projet, mais elle ne donnait aucun budget. C’était du matériel, du temps, de la logistique. » 

En 2010, son style de prédilection s’évade des murs et des façades pour s’imprimer sur la peau. Le graffeur devient aussi tatoueur. Il conserve l’essence urbaine de sa pratique artistique et l’accompagne des créatures imaginaires des dessins de sa jeunesse. « J’aime sortir de ma zone de confort donc j’essaie d’approcher un peu tous les styles : réalisme, néo trad., new school. », explique-t-il. « J’aime tester les différents supports et outils qu’on peut utiliser. L’objectif est toujours une réalisation artistique, mais tu peux passer par différents chemins pour y arriver. » 

Cette nouvelle activité artistique l’amène à ouvrir avec deux autres tatoueurs un shop de tatouage en 2016, Calvanostra. Ils sont aujourd’hui six tatoueurs résidents et des guests viennent compléter l’équipe, soit une vingtaine d’artistes qui créent une mixité d’univers. « On met un point d’honneur à ce que nos guests viennent régulièrement. » Le succès est tel qu’un deuxième lieu a été ouvert à Caen, un studio privé seulement sur rendez-vous alors que le premier possède un espace d’accueil pour le public. 

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Sa dernière création pour le MUR de Rennes est inspirée d’un tatouage qu’il a réalisé en octobre 2022. Sollicité l’année dernière à la même période pour le MUR de Lisieux, c’est naturellement que Sane2 a choisi de travailler la thématique de la Saint-Valentin. « J’avais fait une pie qui tenait un médaillon en forme de cœur avec une serrure et dans son nid, la clé. » Son blase en plein milieu rappelait ses origines, « ne jamais oublier le graffiti ». Après avoir revisité le projet de tatouage avec l’accord de sa cliente, Sane2 a de nouveau sublimé son dessin avec son style de prédilection. Ainsi, des lettres s’inscrivent discrètement au second plan et créent une chorégraphie figée dans son mouvement. 

Dans un style néo-trad, la fiole de Sane2, vibrante de couleurs, transmet un message d’amour universel à tous les passants et passantes, car « propager l’amour par tous les moyens est cruellement important ces derniers temps ». Merci Sane2 de le rappeler en graff, et Monique Sammut de l’immortaliser en photos.

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