Jean-Louis Murat, Alexandre Varlet, Bertrand Belin… Trois albums publiés en 2013. Trois albums de chanteurs inspirés qui pourraient bien prouver que notre chère langue peut encore beaucoup en terme d’une modernité musicale non exilée de ses racines poétiques.
Il n’aura pas perdu de temps Murat. Il nous en faut un peu à nous, comme souvent, pour apprivoiser et apprécier pleinement les chansons à la tendre rigueur mélancolique de cet album aux couleurs hivernales.
Il devait le faire dans un grand studio cet album et puis, finalement, ce fut à la maison. Ce fut presque seul. Retour à l’humus vaporeux, à la tourbe noire sous les rayons froids d’un soleil blanc. Retour donc. Mais comme une roue fait retour sur elle-même pour avancer. On retrouvera, si on les cherche, des relents de Lilith (Agnus Dei Babe), de Tristan voire de Mustango. Oui, c’est du Murat. Oui, mais quel cru. Âpre mais délicatement chaleureux, un brin corsé, méticuleusement brut comme pour masquer la tiède nostalgie, la saveur douce-amère de ce qui, bien que toujours là, semble s’évanouir sans recours…
À la patience éternelle me voilà l’homme poubelle,
La douleur qui m’ensorcelle n’a pas plus rien de dieu. (Over and over)
Le chat noir, qui est une « adorable » comptine pour adulte désabusé aux regards d’enfant souriant tristement, fait un superbe contraste à Voodoo simple : cinglante et foutraque adresse folk ironique ou au rock acoustique de chambre J’ai tué parce que je m’ennuyais (très raskolnikovien…)
Mélodiste subtil, comme un serpent qui s’étirerait avec la souple démarche chaloupée d’un chat, Murat est décidément un arrangeur qui ne l’est pas moins. Dans Belle, comment diable réussit-il à utiliser des percussions médiévales et une cornemuse sans sonner vieille France rance ni même folk baba ? Tout ça tient dans sa voix et dans son verbe qui reflètent sa personne, rigoureusement sensuel, ardemment sensible, tendrement inflexible… Impitoyablement moderne, comme Rimbaud le voulait. Précisément parce qu’il avance sans rien dénigrer, sans s’excuser d’un passé enraciné allié à une poésie personnifiée qu’il ne cesse de faire voyager dans l’espace-temps… (Robinson, sublime et décalée est une vraie leçon à cet égard).
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Les leçons de Murat, Alexandre Varlet les a bien intégrées. Il paraît que faute avouée est à moitié pardonnée. Alors, avouons-le, avant la lecture d’un court entrefilet consacré à ce (déjà) cinquième album de Varlet (nous disons Varlet comme on dit Murat, simplement…) nous n’en connaissions rien de ce mâle chantre qui pourtant écume la « scène française » depuis 1998. Peut-être est-ce aussi bien ainsi… Disons que c’est comme une pure découverte, un premier album pour nous et un essai fort réussi.
Le ton général est vénéneusement acoustique, les arrangements minimaux sont tout en subtilité. Ils creusent l’espace harmonique. La guitare est tout en vibration à la fois métallique et sensuelle (parfois, on se prend à penser à Bon Iver ou encore Six Organs of Admittance), le piano ensuite, sur le dernier titre Faut-il ? pour clore en touches brutes et rondes, dont les résonances se dissipent dans la brume de l’espace qu’ouvre la voix grave et agréablement nasillarde… avant de se transmuer en nappes synthétiques quasi minérales.
Tout l’album (éponyme) se bâtit autour de cette voix granuleuse et sincère, profonde, sans gouaille et sans forfanterie. Une voix qui croit et qui croît en les textes qu’elle porte. L’ensemble est d’une chatoyante noirceur ironique, la simplicité des compositions est rehaussée par une alchimie imperceptible. Un feu noir crépite sous l’apparence d’un charmant dandysme nonchalant et désabusé. Seule entorse aux textes français et à la ligne générale épurée : Umovedown, au beau milieu des 10 titres. Étrange centre électro-sombre répétitif il fait un excellent axe de rotation ajoutant à la singularité personnelle de l’album. Et puis, Millevache, autre rupture, instrumental bruitiste-naturaliste qui fait mouche !
Un album intimiste fort réussi, si bien qu’on aurait presque envie de n’en pas parler, de garder pour soi ces quelques minutes de suave gravité, de fausses candeurs gracieusement neurasthéniques, cet album aux ombres sonores mordorées…
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On veut le garder pour soi le Varlet, oui… Peut-être parce qu’on ne voudrait pas qu’il soit trop étalé, trop éclaboussé de « promotion » comme l’est actuellement Bertrand Belin avec son nouvel album Parcs.
On avait bien tenté de garder au secret le précédent parce que l’originalité du jeu de guitare qui commandait à toutes les compositions, aux chants déhanchés, gravement posés qui investissaient des textes à la poésie précise et tranchante (Belin est un grand amateur, entre autres, de l’admirable poète au verbe sensuel autant que minéral : Roberto Juarroz). Là, malheureusement ce sont les mêmes recettes qui sont reprises mais englobées (engluées ?) dans une production « à l’anglaise ». Et le son sec, immédiat, qui servait si bien le style singulier, anguleux, de Belin est perdu. La production et les arrangements ne font que souligner le manque cruel de renouvellement mélodique et la moindre inspiration des textes… Disons que c’est un essai manqué et n’accablons pas le chanteur qui a déjà l’immense mérite de se démarquer avec justesse et sans morgue d’une scène française mimétique. Scène dont le bouillonnement tant vanté actuellement n’est pas si exigeant qu’on veut bien nous le faire croire…
Jean-Louis Murat, Toboggan, PIAS Le Label, 2013
Alexandre Varlet, Alexandre Varlet, Les disques du 7e ciel, 2013
Bertrand Belin, Parcs, Wagram Music / Cinq 7, 2013