Le XVIIe siècle français fut une période trouble de censure et de liberté. La police des mœurs de l’époque et la doxa religieuse voulurent asseoir, au seuil de ce siècle, un ordre moral et spirituel rigoureux, voire rigoriste, et empêcher le développement de la liberté d’expression née de la Renaissance. C’est ce que nous montre Michel Jeanneret dans son ouvrage, qui éclaire, dans une longue préface très instructive et un choix de 175 poèmes, une face cachée de notre histoire littéraire.
Les poètes de la Renaissance avaient exploré le terrain de l’amour et du plaisir avec une grâce et un charme infinis, Ronsard étant peut-être le premier d’entre eux, qui confessait :
Vivre sans volupté c’est vivre sous la terre.
Notre ardent poète écrira même des vers singulièrement lestes, tels ceux de son recueil Folastries qui met en scène un berger, Jacquet, et une bergère, Robine, s’unissant charnellement en pleine nature : « Je te pri’, Jacquet, chouze moy /Et mets la quille que je voy/ Dedans le rond de ma fossette/ […] Ô amourettes doucelettes ! »
« L’incantation lyrique transforme l’événement trivial en bonheur poétique [pour parvenir] par l’enchantement de la langue à une grâce et une humanité sans pareilles » (Michel Jeanneret).
Mais la poésie érotique et hédoniste du XVIe allait bientôt faire place, des années 1600 à 1620, à un basculement et une expression de l’amour et du sexe bien plus drue et crue, loin de la tendresse et même de la gaillardise de la Renaissance. Face à un pouvoir royal et ecclésiastique de plus en plus autoritaire et censeur « s’oppose alors celui des mots, qui peuvent toujours rêver de s’ériger en contre-pouvoir » (M. J.).
La sensualité va verser dans un libertinage et une hardiesse sans précédent, voire une véritable pornographie, venant « des voix rebelles qui proclament les droits du corps et la force du désir » (M. J.). L’élan libertin, allant jusqu’à versifier sur la sodomie, l’onanisme et la bestialité, touchera vite au blasphème, dont ne se privera pas Claude de Chouvigny, l’un des plus impies d’entre tous selon Michel Jeanneret :
Il nous faut gagner Paradis/ Nous y foutrons chacun un ange/ Dont le cul sent la fleur d’orange.
Et ces mots-là ne sont pas même parmi les plus provocateurs de l’écrivain…
« La jouissance physique est d’autant plus grande qu’elle s’accompagne du plaisir de transgresser l’interdit majeur aux yeux des […] contemporains de la Contre-Réforme, s’en donnant à cœur joie pour avilir volontairement les valeurs religieuses » (Bruno Roche, Le rire des libertins dans la première moitié du XVIIè siècle, H. Champion, 2011).
Le succès et la diffusion de plus en plus large des livres libertins vont conduire la justice civile, et plus seulement l’Église, à intenter des procès. Le poète Théophile de Viau, en 1623, sera condamné à mort pour s’être commis dans l’ouvrage collectif Le Parnasse des poètes satyriques en 1622.
Viendra plus tard celui de Claude Le Petit, condamné pareillement (et brûlé sur le bûcher à 23 ans) pour avoir écrit « Le Bordel des muses ou les neuf pucelles putains ». Et au milieu du siècle, avant même l’avènement de Louis XIV, la censure finit par triompher, marquant le début d’une « ère de glaciation » (M.J.). Le plaisir de la chair est honni par le clergé qui enseigne l’horreur du sexe et du corps, les mœurs sont surveillées, y compris celles des couples légitimes. La sexualité, désormais, n’exposera plus seulement aux rigueurs de la Justice, mais aussi aux tourments… de la névrose !
La muse lascive : anthologie de la poésie érotique et pornographique française (1560-1660) par Michel Jeanneret, éditions Corti, 2007, 384 pages, ISBN 978-2-7143-0942-6, prix 22 euros.