Le musée du livre et des lettres d’Henri Pollès à la bibliothèque des Champs Libres

Le musée du livre et des lettres de l’écrivain bibliophile Henri Pollès (1909-1994) est à découvrir au sixième étage de la bibliothèque des Champs libres. À la fin de sa vie, le Breton a fait don de sa collection de 30 000 ouvrages à la ville de Rennes contre la promesse de faire un musée qui présente ses collections. L’exposition permanente est la reconstitution, la plus fidèle possible, de la mise en scène créée par cet incorrigible collectionneur dans sa maison de Brunoy (Essonne).

Le silence règne en maître dans la bibliothèque des Champs Libres où étudiants, chercheurs et amoureux du livre cherchent leur bonheur dans les rayons, bouquinent ou travaillent studieusement. Mais une autre raison nous amène dans ce lieu baigné d’une lumière naturelle. Quand les portes de l’ascenseur s’ouvrent au sixième et dernier étage, au pôle « Patrimoine », il suffit de suivre les indications et, rapidement, vous découvrirez un univers livresque débordant d’excentricité et de créativité. Observer la bibliothèque d’un particulier, c’est un peu comme découvrir la façon de penser de son propriétaire. Toute bibliothèque est une façon de percevoir la littérature, le reflet de valeurs et de centres d’intérêt. Entrer dans celle d’Henri Pollès, par l’intermédiaire de la reconstitution de sa maison-musée, c’est pénétrer au cœur d’une passion jamais essoufflée. En témoignent le mur d’ouvrages reliés du XVIIIe au XXe siècle qui fait face au public dès l’entrée, et les livres qui remplissent, du sol au plafond, chaque pièce reconstituée.

henri pollès rennes
Henri Pollès

Celui qui se définissait comme un « raté », le prix Goncourt lui ayant filé entre les doigts à plusieurs reprises – Toute guerre se fait la nuit (1945), Amour, ma douce mort (1962) et Le Fils de l’auteur (1963) – était un homme de lettres à plus d’un titre : romancier, essayiste, écrivain. Mais si l’on devait définir Henri Pollès, hormis le fait qu’il ait été un des auteurs les plus méconnus de son temps, il était surtout un « fou de la littérature ».

Passionné par l’exercice de l’écriture, fasciné par l’objet livre, Henri Pollès, né à Tréguier en 1909, a commencé à écrire des poèmes dès l’âge de 10 ans. Ce fils de capitaine a passé son enfance à Tréguier avant de suivre sa famille à Nantes. Il s’installe à Paris après une licence de philosophie. La mise en scène de sa ville natale dans son premier roman, Sophie de Tréguier : mœurs de village, lui vaut en 1933 le prix Populiste (aujourd’hui le prix Eugène-Dabit du roman populiste). Ce dernier récompense une œuvre romanesque « qui préfère les gens du peuple comme personnages et les milieux populaires comme décors à condition qu’il s’en dégage une authentique humanité ». Il rédigera au total une quinzaine d’ouvrages, au succès inégal. Après une traversée du désert, où aucune de ses créations littéraires ne trouve une maison d’édition, il reviendra avec Sur le fleuve de sang vient parfois un beau navire, publié en 1982 chez Julliard – L’Âge d’homme. Le livre, chronique de Tréguier pendant la guerre 14-18, sera récompensé du prix Paul Morand de l’Académie française et du Grand prix des écrivains de l’Ouest.

henri pollès rennes
Le bureau romantique © Gwendal Le Flem

La profession d’écrivain ou de « professeur des perceptions enchantées » ne lui permet cependant pas de vivre. Il relate d’ailleurs sa dure expérience d’homme de lettres dans les années 1930 dans Les Gueux de l’élite, qui brosse un tableau de la crise économique et des chômeurs intellectuels. Quand il fuit Paris en 1940 pour Bordeaux, puis Nice, le négoce devient son deuxième métier. De retour à la capitale, il se lance dans le courtage de livres et fournit libraires et quelques clients, comme Jean Giono, qu’il a rencontré en Provence, et Max Jacob. Le courtier en livres, alors âgé de 35 ans, commence alors à réunir des livres pour lui-même… « J’adorais toucher, palper, caresser les livres, toujours de nouveaux livres. », disait-il. Les ouvrages décorent par centaines, puis milliers, la maison qu’il loue à partir de 1942 à Brunoy, banlieue parisienne de l’Essonne. C’est dans cette maison qu’il concrétisera son rêve de musée vivant des Lettres. Les livres habillent chaque pièce dans l’idée de réaliser un « musée du Livre et des Lettres ».

Collectionneur depuis son enfance – timbres, cartes postales, programmes et même billets de tramways – , Henri Pollès recherche des reliures originales, et celles typiques de leur époque. « Que j’aime, que j’aurai aimé les reliures ! Puisqu’elles recouvrent […] cette chose sacrée, le livre. Quel plaisir d’admirer une belle reliure : d’abord on la caresse des yeux et puis on ne résiste pas à caresser des doigts la peau et les os. » Le bibliophile ne se contente pas d’acheter des livres, il fait également réaliser un grand nombre de reliures et de chemises-étuis pour y ranger ses manuscrits, ses éditions originales et ses gravures.

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La reconstitution présentée aux Champs libres révèle cette passion insatiable. Des milliers de livres s’entassent dans les étagères, des piles s’élèvent du sol, des ouvrages élisent domicile sur la moindre surface. Chaque pièce est à elle seule une bibliothèque. Henri Pollès pensait les pièces par époque, genre ou catégorie : la salle à manger est renommée « salle de gastronomie » ; « la chambre 1900 » rend hommage à la Belle Époque, une des périodes privilégiées par Henri Pollès ; « le bureau romantique » est consacré à cette époque que l’écrivain affectionnait particulièrement. La salle de bain, où trône une baignoire d’époque, est consacrée aux années folles et l’escalier quasi impraticable donne à lire la littérature étrangère.

Un bric-à-brac de poupées, de vaisselles, de peintures, de photographies accompagne les 30 000 ouvrages qui composent cette maison-bibliothèque. La quantité était telle que l’écrivain ne pouvait plus vivre à Brunoy. Pour cette raison, il chercha des années à léguer sa fabuleuse bibliothèque. Le 14 décembre 1963, le ministre de la Culture André Malraux écrivait d’ailleurs : « Cher Henri Pollès, votre musée vivant des lettres qui coûtera cher ne pourra être financé que par le Ve plan. Donc proposé à la commission du plan par Gaëtan Picon qui va prendre contact avec vous « pour déblayer » ». Nous apprenons cependant dans un article Ouest-France datant de 1982 qu’aucune personne, 20 ans après, n’était passé…

henri pollès rennes
© Gwendal Le Flem

Plus loin dans la lecture, Henri Pollès suggérait dans ledit article : « Pourquoi pas Rennes ? », un choix loin d’être hasardeux puisque dans les années 1980 et 1990, la bibliothèque de Rennes présenta, avec son aide, plusieurs expositions sur la reliure ou la femme de 1900. Son vœu s’est finalement réalisé, car, à la fin de sa vie, l’homme fait don de son trésor à la ville de Rennes, contre la promesse de créer un musée présentant ses collections. Il meurt tragiquement dans l’incendie de sa maison en 1994. La collection du bibliophile est aujourd’hui conservée aux Champs libres. La reconstitution n’est qu’un décor, les originaux étant soigneusement conservés, mais elle permet néanmoins d’imaginer les lieux tels qu’ils étaient. Les pièces reconstituées fascinent le public autant que le visiteur l’était en traversant la maison-musée du vivant d’Henri Pollès.

La Bibliothèque des Champs libres

10 Cours des alliés, 35 000 Rennes

Mardi au vendredi :
Période scolaire : 12h – 19h
Vacances scolaires : 10h – 19h
Vacances d’été : 13h – 19h

Samedi et dimanche :
14h – 19h

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