La comédie follitique de Mérédith Le Dez

musique française meredith le dez

Musique française est le dernier roman de la Briochine Mérédith Le Dez, publié aux éditions La Part Commune. Un jeune Suédois mélomane devenu majordome par affinités électives et un Président de la République qui disparaît sont les chefs d’orchestre d’une histoire qui résonne avec les vicissitudes de la vie politique contemporaine.

La Briochine Mérédith Le Dez qui nous avait donné en 2018, Le Cœur mendiant (éditions La Part Commune), prix du roman de la Ville de Carhaix, par ailleurs poète et romancière accomplie — citons aussi son récit Polska (Folle Avoine, 2010) qui renvoie à la Pologne de son ascendance —, nous revient avec cette Musique française, qu’elle qualifie de « Fantaisie pour la pluie », et qui nous plonge, tout au long d’un récit où il ne cesse, en effet, de pleuvoir, dans les arcanes du pouvoir. Un thriller politique, certes, mais que l’on pourrait qualifier, à l’instar d’un Gide récusant l’appellation de roman pour ses Faux-monnayeurs, de sotie. Qu’est-ce qu’une sotie ? Naguère spectacle de fous et de sots — d’où son nom —, cette écriture était vouée à la satire de la société, dans une tonalité bouffonne et divertissante. Eh bien, c’est une bouffonnerie satirique que nous sert l’auteure entre deux tours d’une élection présidentielle.

Mérédith Le Dez
Mérédith Le Dez © Pascal-Glais

Le Président de la République française, après cinq ans de bons et loyaux services — termes convenus — affronte les urnes pour le second tour. Malgré une baisse notable de popularité, les sondages le donnent vainqueur, mais d’une très courte tête, disons 50,2 %. On ne dira pas son nom dans un récit où les acteurs avancent masqués. Lui, on l’appelle Monsieur Monsieur, son épouse est la Seconde, sa directrice de campagne est surnommée la Diva, il y a aussi un Lapin, surnom facile qui recouvre le patronyme de Lelièvre, et tous les autres ont si peu d’importance qu’ils gardent leur nom propre. Quand plus rien n’aura d’importance, aurait dit l’écrivain uruguayen Juan Carlos Onetti qui nous donna naguère la quintessence du discours vain dans Laissons parler le vent (1997). Mais Le Dez, ici, laisse plutôt parler la pluie. Proust, en exergue, nous en fait entendre la petite musique — « petit coup au carreau… ample chute légère comme de grains de sable—, et c’est justement de musique qu’il est question ici. Si l’on connaît la musique, certes, française, de Debussy à Ravel, du discours politique, on dira aussi qu’on connaît la chanson. Nous allons donc nous perdre, délicieusement, avec en bouche le plaisir rare de sourire, voire de rire aux éclats, en période électorale, dans les notes et croquenotes d’une étrange histoire dédiée, par l’auteure, à « quelques esprits fantasques et tant d’âmes musiciennes ».

Le livre s’ouvre sur la description aussi minutieuse que narquoise du Belvédère, cette « bicoque… bâtie à la mesure de son hôte dont la taille ne dépassait pas un mètre soixante et un ». C’est là, « sur son Erard demi-queue » que Ravel composa son fameux Boléro, « la musique la plus jouée dans le monde » et commande passée au musicien qui prétendit avoir écrit là un peu n’importe quoi, composant sur « une idée vraiment simplette que tout le monde pourrait siffloter à la sortie tellement elle serait ridiculement simple ». Et voilà ce jeune homme venu de Suède, subjugué par l’auteur de L’Enfant et les sortilèges, composé sur le même Erard, au point de devenir guide et de faire visiter le Royaume de « Ravel l’enchanteur ». Jusqu’à cette rencontre avec le couple présidentiel, touristes ébahis, qui va engager ce jeune homme pour le hisser à la fonction de « majordome » du Premier édile de France.

maurice de ravel
Maison musée Maurice de Ravel

Et donc, le Président doit, en début d’après-midi, quitter sa résidence secondaire pour rejoindre Paris et triompher, une fois de plus, pour un second mandat, le discours dans la poche et le moral dans les chaussettes. On apprendra, par la suite, que son meilleur ami et ami d’enfance lui aura remonté les bretelles sur sa vaine ambition et ses creuses promesses : le pouvoir est sa propriété, et chacun sait, depuis Proudhon, que la propriété c’est le vol. Le futur réélu en prend pour son grade.

C’est pourquoi, alors que son jeune protégé Gunnar, qu’on appelle aussi le Suédois ou le Gamin, a pris le volant, en l’absence du chauffeur officiel demeuré au QG parisien, pour le reconduire, voilà qu’il lui demande de s’arrêter. Il a besoin de reprendre souffle et, pour cela, de faire un petit tour dans le bois alentour. Soit. Mais le chauffeur qui s’est assoupi un certain temps ne le voit pas revenir. Monsieur a laissé dans la voiture sa veste et son téléphone présidentiel, et le Gamin, lui, sur son portable n’a pas de réseau. Comment avertir ? Le voilà donc sur la route à marcher longtemps jusqu’à ce que les fameuses barres de la connexion s’affichent sur l’écran du smartphone. L’alerte est donnée et le branle du combat est mis à bas. Police et chiens renifleurs sont sur le pied de guerre. Va-t-on nous rejouer The Trouble with Harry à la façon d’Hitchcock ? Et, certes, toutes les hypothèses sont sur la table : enlèvement, accident ou mort… on connaît la chanson !
Celui qui est bien embêté c’est Gunnar Gunnarsson, ce jeune Suédois, sosie du Tadzio de Mort à Venise, à un point tel qu’on se demande s’il n’est pas pour de bon, quelque clone de l’acteur Björn Andrésen qui avait séduit Luchino Visconti, et qui, ici, a ravi le Président qui l’héberge dans La Maison en bordure de la forêt de Rambouillet.

Pour laisser sa chance au lecteur, on ne dévoilera pas la fin. C’est ce que recommandait Hitchcock aux spectateurs de Vertigo ou Clouzot pour son film Les Diaboliques. Encore que le seul diable de ce récit soit dans sa boîte, en fait dans une cabane de fortune au fond des bois où il s’est abrité de la pluie qui tombe à verse, après la vilaine chute qui a salué son vagabondage imprudent et l’immobilise au milieu des tempêtes. Il s’est fabriqué une attelle avec deux bouts de bois liés avec sa cravate autour de sa jambe bancale, et il attend. Toute la France attend le verdict des urnes, et lui, misérable infirme, espère qu’on finira bien par le retrouver. Qui dit attente dit macération des pensées et des émotions. L’entourage du candidat réagit à sa manière, forcément mal — ou peut-être bien ? — : son épouse va le quitter, ses conseillers parient sur sa chute, les rancoeurs, partout, refont surface, les inimitiés, les jalousies, les haines, bref le bouillon de culture politique habituel.

Mais le plus percutant et le plus drôle est le discours que se débite le Président dans sa solitude douloureuse, en énumérant en quelque sorte ses attributs, vices et vertus, dans un monologue intérieur et un jaillissement qu’on ne peut qualifier que de joyciens (si l’on se rappelle Ulysse ou Finnegans Wake) : « … l’ardent, l’arrogant, l’impudent… l’imprudent, le fonceur, le velléitaire, le procrastinateur, l’arriviste, l’imbu… l’apparatchik de la phynance, l’écolo-bobo, le baba de l’Ena… Moi Président, le VR, Karcher Man, Attila, Napoléon, Je vous ai compris…le traître et le néant, le grand méchant mou, Leader maximot, la France pour la vie… le woke utile, Monsieur Propre, L’Ancien Monde et le nouvel immonde… ».

Mérédith Le Dez

Méredith Le Dez, avec une verve qui se déploie, en grand ludisme, sur plusieurs pages, nous fait rire en martelant des mots. Qui en dit long sur le programme et le bilan politique. Et ce martèlement renvoie aux notes répétées ad nauseam du fameux Boléro de Ravel qui tient lieu de musique de fond. Ce télescopage de termes, en une logorrhée vertigineuse, mêle époques et lieux où l’on pourra, si le coeur nous en dit, reconnaître tel président, épingler tel slogan, se rappeler tel cri de ralliement, sans qu’on puisse identifier une quelconque réelle personnalité. Exercice de haute voltige, assurément, tant les mots sont parlants, et nous chatouillent, mais n’est-ce pas le propre de la satire de faire rire de qui on voudra et de choisir la tête de Urc (soyons prudents avec les mots) qu’on clouera au pilori ? Le mot de la fin, sera tout naturellement : « Vive la République, vive la France. » En définitive, un vrai plaisir du texte, dans une écriture de grande élégance, et surtout, s’agissant de musique, un grand doigté. Le roman de Mérédith Le Dez inaugure la nouvelle collection « Un Monde à Parts » des éditions La Part Commune. Souhaitons-lui bon vent, ou plutôt bonne pluie d’éloges et de récompenses. Et s’il est vrai que Maurice Ravel composa au Belvédère son fameux Concerto pour la main gauche pour un pianiste manchot, Mérédith Le Dez a composé son roman d’une main adroite, à quoi nous applaudirons des deux mains.

Mérédith Le Dez, Musique française, éditions La Part Commune, 182 p., 17,90€. Parution : 2023

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Albert Bensoussan
Albert Bensoussan est écrivain, traducteur et docteur ès lettres. Il a réalisé sa carrière universitaire à Rennes 2.

1 COMMENTAIRE

  1. Quel brio! Quelle magnifique écriture qui caracole! Vive le style, la raison d’être même de la littérature! Il va sans dire, celui du compte-rendu est du même tonneau. On en redemande!

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