C’est sur le thème sur le thème « Musique et minorités » que, du 4 au 8 juillet 2016, une cinquantaine de chercheurs se sont donné rendez-vous à Rennes pour un symposium international. Originaires du Japon, de Norvège, de Russie, de la Corée, en tout 16 nationalités représentées et plus de 70 langues dans les bagages de ce collectif qui échange ici en anglais. En France, beaucoup de colloques se déroulent en français, ce qui est un facteur limitant pour attirer les chercheurs.
Avec l’accueil de ce groupe de travail de l’ICTM (International Council for Traditional Music) dans le cadre d’un symposium intitulé Music and Minorities (musique et minorités), l’Université de Haute-Bretagne contribue à faire rayonner l’héritage breton. Information intéressante pour mieux comprendre les enjeux de cette accessibilité au savoir, ce n’est qu’en 2012 qu’est réactivé le plus vieux diplôme de cette université : le diplôme d’études celtiques crée en 1911 par Joseph Loth.
Sélectionnées par un comité scientifique, les interventions ont pour fil conducteur le sort des langues minoritaires, entre oubli, sauvegarde et transmission. Unidivers a rencontré Yves Defrance, ethno-musicologue enseignant à l’Université de Haute Bretagne, membre de ce réseau international et de l’équipe de recherche Ermine, déjà à l’initiative en 2014 d’un colloque Minorités et mondialisation, dont Bretagne Culture Diversité vient de publier les actes.
Alan Stivell a saisi l’occasion pour venir rencontrer ces chercheurs et leur montrer que la Bretagne cultive ses racines, mais s’ouvre aussi à toutes les voix du monde. Musiciens et acteurs des musiques d’aujourd’hui restent aux aguets des dernières recherches musicologiques sur toutes les cultures, notamment régionales. Scientifiques et artistes sont en phase dans la préservation des langues minoritaires, la réflexion et la création artistique, du moins pour cette partie du globe.
À l’échelle mondiale, on ne compte qu’un millier d’ethno-musicologues, c’est dire si la tâche est grande pour tirer parfois des constats bien alarmants. Le travail de ces chercheurs offre cependant de connaître des initiatives exemplaires qui permettent de ne pas cloisonner, hiérarchiser, minimiser certains enjeux au prétexte que des sociétés en crise ont mieux à faire que se soucier du sort des musiques traditionnelles. Quand des populations confrontées à leur propre survie n’ont d’autre choix que l’exil, c’est souvent le seul bagage que ces hommes, ces femmes et leurs enfants peuvent amener partout.
Il faudra attendre l’année prochaine pour accéder au contenu de ces recherches qui ont une vraie résonance avec l’actualité culturelle bretonne, explique le spécialiste du sujet qui rajoute qu’en Bretagne, tous ces chercheurs peuvent se sentir « à la maison ». C’est ainsi qu’Yves Defrance introduit notre échange avant de nous éclairer sur ce qui l’a amené à s’intéresser à la musique, à promouvoir la diversité des langues et des langages instrumentaux qui font, par leur vitalité ou leur abandon, qu’une identité vit, s’enrichit, ou au contraire dépérit.
En Bretagne, ce sont les hommes et les femmes qui vont vivre les musiques et les danses traditionnelles, comme les langues régionales, pas les institutions. C’est fort de cette culture vivante, rayonnante et attractive, que les Bretons s’expriment dans le concert des voix du monde. C’est important pour la richesse de nos territoires, le lien social, la transmission du patrimoine, mais les acteurs économiques ont eux aussi tout intérêt à défendre et promouvoir cette spécificité. Combien de festivals français ont l’opportunité comme les Vieilles Charrues d’organiser un concert spécial anniversaire à Central Park ?
Les musiciens sont à l’écoute du monde, de langages dont ils peuvent s’inspirer pour nourrir leur imaginaire. Ils développent leur capacité de création contemporaine en se référant à des modèles anciens qui ont fait leur preuve. Les musiques celtiques ont fortement influencé la pop anglo-saxonne. Qui dit tradition ne dit pas enfermé dans le passé. (Yves Defrance)
C’est en prenant racine dans chaque manifestation locale, tout en étant appréciée bien au-delà des frontières de l’hexagone, que la musique bretonne a su se faire une place, que le Fest noz est aujourd’hui reconnu par l’UNESCO comme un patrimoine à sauvegarder. C’est d’ailleurs à l’étranger bien plus qu’à l’intérieur de nos frontières où la question des minorités reste un sujet sensible, voire épineux, que l’identité bretonne a le plus de facilité à imprimer sa marque singulière.
Auteur de nombreux ouvrages, Yves Defrance est un précurseur qui s’intéresse à l’expertise dont les praticiens des musiques traditionnelles sont porteurs, en Bretagne et ailleurs.
J’ai passé mon temps à déconstruire des idées reçues sur la musique bretonne, ça n’a pas été facile, mais les musiciens ont accepté de sortir de certains dogmes ancrés dans les esprits pour préférer à l’opposition d’idées toutes faites la dynamique du débat
Ponctué par des ateliers de pratique, le programme du symposium a permis aux chercheurs de vivre de belles rencontres à l’université, mais aussi sur le terrain, notamment à Douarnenez et à Peillac.
Jean-Michel Le Boulanger, vice-président chargé de la culture et de la communication pour la région Bretagne, était également au rendez-vous. Il a accueilli le groupe à Douarnenez avec un éloquent discours qui a rappelé les enjeux de la diversité culturelle et ce qu’elle représente pour l’humanité, bien au-delà de notre réalité régionale et nationale, dans un contexte où l’expression des minorités, des différences, est ordinairement menacée.
Associée à cette rencontre internationale, une jeune association bretonne Kendeskiñ (apprendre ensemble) se félicite de l’initiative et de son succès. Une réussite que peuvent aussi s’attribuer les étudiants volontaires, pas nécessairement inscrits en musicologie d’ailleurs, par leur concours au bon déroulement des conférences et du programme d’animation.
L’association Kendeskiñ est née de la volonté d’acteurs de la société civile ayant suivi le cursus diplômant d’études celtiques de continuer à œuvrer avec l’appui du groupe de recherche Ermine pour une meilleure mobilité du savoir, notamment en anglais. C’est pour répondre à ce besoin qu’avec l’Agence Bretagne Presse, l’association a planché sur la création d’un nouveau portail web d’information : Brittany News, dont le lancement officiel se fera pendant le Festival Interceltique de Lorient.
La Bretagne est une terre qui fascine nos amis chercheurs pour plusieurs raisons. Pour un Japonais par exemple, l’Armorique est une sorte de bout du monde. Nous bénéficions aussi de l’attrait qu’ont en général les étrangers pour la France avec ce plus qui fait que nous sommes peu nombreux sur le continent européen à avoir une langue celte comme marqueur d’identité. (Yves Defrance)
Les travaux précurseurs d’Yves Defrance, son regard d’ethnologue, son expertise de l’évolution des pratiques instrumentales sont devenus avec le temps des outils utiles et pertinents pour comprendre les changements sociaux qui s’opèrent à grande vitesse sur d’autres continents, mais aussi en Europe. Nous sommes face au risque éminent de voir disparaître, plus vite que ce que nous pouvions l’imaginer, tout un univers composé d’une multitude d’expressions musicales, linguistiques, héritées de traditions orales et de mécanisme de transmission aujourd’hui en danger.
La musique est une arme nécessaire et pacifique pour rapprocher les peuples. Nous, on chante en tamasheq, mais dans toutes les langues possibles du monde, la musique est en soi un langage. Avec la musique, tu acceptes l’autre par sa performance. Par la diversité, par l’état d’âme, par le physique, par tout, parce que nous sommes des êtres humains tout court et la musique nous a réunis. (Afel Bocoum, musicien malien à l’initiative de la création d’un centre pour la transmission des musiques traditionnelles à Bamako)
Musiques et minorités dans le monde, langues minoritaires et musiques traditionnelles, juillet 2016, Université Rennes 2
Rencontre avec les acteurs de la musique bretonne : luthiers d’instruments traditionnels bretons, médiathèque des chansons et musiques traditionnelles de Bretagne Dastum, Conservatoire de musique de Rennes, musées ethnographiques (Musée de Bretagne, Manoir de Kernault), écomusée de La Bintinais ; chanteurs et sonneurs traditionnels, fest-noz, etc. Pour la première fois, des étudiants et auditeurs non académiques auront pu assister aux communications, travaux et débats.
https://www.youtube.com/watch?v=_5vM0GWbes0