Sandra Nkaké se présente comme « être humain, artiste, curieuse, mère de famille, sœur, amoureuse, auteur, compositeur, vivante ». Cela en dit long sur l’univers céleste dans lequel nous embarque, depuis une dizaine d’années, la jazz et soul woman à la voix grave et délicate. Son dernier album Tangerine Moon Wishes sorti en septembre dernier est à découvrir en concert le 27 avril prochain à la salle de La Confluence à Betton (Ille-et-Vilaine).
Vous avez toujours été baignée dans la musique…
Sandra Nkaké : La musique est arrivée à moi de manière assez variée. J’ai été baignée dedans depuis mon enfance mais c’est vrai que je n’avais jamais imaginé que ça pourrait devenir mon métier. C’est le hasard de rencontres qui m’a fait fouler la scène pour la première fois, et à partir de là, je n’ai pas un seul instant douté sur ce que j’allais faire. Mes collaborations avec de nombreux artistes (China Moses, Tony Allen, Grand Corps Malade), ont confirmé mon envie de tracer ma route de troubadour parce que je sentais que c’était là qu’était ma place.
Chanteuse à l’univers soul et jazz, actrice aussi, quelles sont vos influences ?
Sandra Nkaké : Je pense que mes influences sont très larges, il y a évidemment de la musique, de la littérature, du cinéma, des associations. Ce qui infuse dans ma musique c’est une manière de voir la société et comment nous pouvons imaginer qu’en groupe nous enrichissons les singularités de tout un chacun. Ça va de la musique classique au jazz en passant par la chanson. J’aime beaucoup Raphaele Lannadere par exemple, mais bien évidemment la soul ou encore l’afrobeat. Je ne sais pas dans quelle mesure ce que j’écoute infuse dans ma musique, j’essaye de faire des choses que j’entends, surtout de raconter des histoires qui sont personnelles et qui me touchent.
https://www.youtube.com/watch?v=zwA9PRQgRww
Depuis 2008, vous avez sorti trois albums solo : Mansaadi (2008), Nothing For Granted (2012), Tangerine Moon Wishes (2017), peut-on dire que ce sont trois albums engagés ?
Sandra Nkaké : Je ne sais pas si c’est à moi de le dire. En tout cas, ils montrent un engagement dans une forme d’indépendance et de singularité. C’est vrai que j’ai à cœur d’imaginer une société dans laquelle nous laisserions plus de place aux personnes dissidentes et qui ne sont pas forcément dans la norme parce que nous sommes dans un monde qui subit une course à la consommation et à l’efficacité. Beaucoup de personnes sont laissées sur le côté et j’aimerais que nous rêvions ensemble d’une société où le droit d’être lent, bancal, fragile, pas efficace et pas rentable existe.
Votre dernier clip Femme Noire soulève un message poignant face aux violences faites aux femmes, vous pensez que la musique est le meilleur moyen pour faire passer un message, pour dénoncer aussi ?
Sandra Nkaké : C’est un des moyens mais pour que ce soit efficace il faut plusieurs moyens et surtout l’éducation. Je pense que ce n’est pas le meilleur moyen mais tout de même la culture permet d’être en contact direct, pas seulement qu’avec l’intellectuel, et parvient à faire en sorte que l’intellect et l’émotion se croisent car nous sommes quand même des animaux sensibles. Nous avons tous notre part à jouer et elle est importante.
Vous avez le sentiment d’avoir évoluée dans votre performance et dans votre style en dix ans, à travers ces trois albums ?
Sandra Nkaké : Oui, régulièrement je réécoute les albums précédents et parfois j’ai dû mal à me reconnaître, et en même temps, je reconnais la personne que j’étais au moment où je l’ai fait. Heureusement que nous évoluons, que nous grandissons et que nous apprenons. J’ai l’impression de continuer à apprendre, c’est assez merveilleux de pouvoir se renouveler et c’est possible au grès des rencontres et grâce au public aussi. Nous imaginons des chansons, un univers mais tant que nous ne sommes pas mis en relation avec des gens qui les perçoivent et qui vous renvoient quelque chose, ça reste virtuel. C’est vrai que j’évolue aussi avec le retour que me font les gens, qui ont cette générosité de nous écouter depuis une bonne dizaine d’années maintenant.
Tangerine Moon Wishes est votre troisième album, comment a-t-il été imaginé ?
Sandra Nkaké : J’avais envie d’être centrée, posée, que la voix soit en avant, pour pouvoir poser une part de fragilité et de sensibilité. Je l’ai imaginé comme un instant que nous partagerions à plusieurs en studio mais que ce soit un moment de live, c’est-à-dire qu’il n’y est pas d’édit et de prise autre que directe. Une manière d’être en fragilité et pas du tout dans une zone de confort. L’imaginer un minimum acoustique. Ça parle de la lune rousse, pas tellement comme l’astre, mais plutôt comme cette possibilité que nous avons à nous réinventer et à regarder notre parcours avec bienveillance. C’est une manière d’apprendre à s’accepter comme nous sommes, avec nos failles et notre fragilité. J’ai pris le temps nécessaire pour l’écriture des chansons avec Ji-Dru et imaginée une production et une réalisation qui irait dans le sens d’un voyage en soi et que nous pourrions partager ensuite.
L’album comprend neuf morceaux en anglais et cinq en français, il y a une raison particulière d’alterner entre des morceaux anglais et français ?
Sandra Nkaké : J’imagine qu’il y a une raison mais je ne la connais pas (rires). J’écris comme ça vient. Après c’est vrai qu’étant née d’une famille française au Cameroun, qui est un pays bilingue, la question ne s’est jamais posée, quelle langue il fallait choisir. En général, j’essaye de prendre ce qui vient mais comme la question m’est souvent posée, peut-être qu’il faudrait que je me la pose un de ces quatre (rires). Je n’ai pas la réponse, les deux langues sont magnifiques. J’ai eu la chance de faire des spectacles où je chantais en yiddish, en espagnol, en arménien. Je trouve que nous avons cette chance quand nous faisons de la musique, c’est de pouvoir explorer d’autres sonorités et que chaque langue résonne de manière différente donc c’est bien de pouvoir essayer des choses.
Il y a un secret pour avoir un timbre de voix à la fois grave et voluptueux, qui rappelle un peu celui de Lou Doillon ou encore de Mélissa Laveaux, vous en pensez quoi ?
Sandra Nkaké : Comme ce sont deux chanteuses que j’adore ça me fait plaisir. Je ne sais pas si il y a un secret, je pense que chaque voix a ses particularités. Pour ce qui est de Lou et de Mélissa, ce que je sens d’elles lorsque je les écoute, et quand je vais les voir en concert, c’est qu’elles sont vraies et entières. Et c’est aussi ce que j’essaye humblement d’être et de partager. Je ne sais pas si il y a un secret, si ce n’est se répéter comme un mantra tous les jours, qu’elle que soit qui nous sommes. En tant que chanteuse, nous n’avons pas besoin d’avoir quatre octaves pour être quelqu’un d’intéressante, nous sommes tous et toutes intéressants.
Une grande partie du début de vos morceaux accordent une importance à la musicalité et aux percussions. Vous avez le sentiment que ça peut être encore plus fort que le chant pour faire passer des émotions ?
Sandra Nkaké : Je pense que les émotions passent évidemment par le verbe, par la voix mais elles sont relayées par tous les instruments. Tout ce que je fais, même si ça fait longtemps, c’est de manière assez empirique. Je fais des choses comme je sens même si j’ai un certain savoir-faire, j’essaye de faire en sorte que les choses soient naturelles et pas trop intellectualisées. Forcément, pour moi, le rythme c’est la colonne vertébrale qui permet d’exprimer au mieux ce que nous avons à dire et le rythme n’est pas toujours carré et c’est tant mieux, il est parfois un peu sinueux, tout comme les tonalités des chansons. Nous essayons en écrivant que ça colle au mieux à l’histoire que nous avons envie de raconter. Souvent, le moteur de l’écriture de la chanson n’est pas une grille d’accord, ni d’audit, c’est souvent une histoire ou une émotion à raconter. Les mots qui viennent induisent une mélodie et un rythme avec lesquels nous décidons de construire.
Le flûtiste et compositeur Ji-Dru est votre complice depuis plusieurs années maintenant, comment l’avez-vous rencontré ? Et quel rôle joue-t-il dans votre démarche artistique ?
Sandra Nkaké : Nous nous sommes rencontrés il y a presque quinze ans maintenant. Nous accompagnions un groupe d’électro-jazz. La rencontre s’est faite de manière assez évidente, nous n’avons même pas eu besoin de parler pour se comprendre. Très rapidement, il est devenu mon compagnon d’échange, aussi bien sur de la littérature, des expositions, que des démarches alternatives de vie. C’est un producteur assez génial dans le sens où il sait accompagner les projets en les respectant et n’a pas peur d’oser des manières de faire et des textures différentes. Ça fait plus de dix ans que nous collaborons sur différents projets dont le mien. C’est une collaboration assez saine dans le sens où je pense qu’il est aussi têtu et opiniâtre que moi. Nous n’avons pas peur de revenir quinze fois sur l’ouvrage quitte à se dire finalement que ce n’était pas une bonne idée. Il est assez franc, direct et j’ai totalement confiance en lui.
Le 27 avril prochain, vous serez en concert à Betton à côté de Rennes, vous jouerez des morceaux seulement issus de votre dernier album ?
Sandra Nkaké : A priori ce ne sera que des morceaux du dernier album parce que c’est chouette de pouvoir permettre un voyage spécial, après nous ne sommes pas à l’abri de surprises. Comme ce sont des surprises, il faut qu’elles le restent (rires). Mais là je suis principalement en concert avec ce répertoire là qui raconte une histoire dont nous avons fait un spectacle avec une scénographie, c’est un vrai voyage qui j’espère vous plaira. Et je serais accompagnée de mes quatre musiciens : Jî Drû à la flûte, Tatiana Paris à la guitare, Kenny Ruby à la basse et Thibaut Brandalise à la batterie.
Vous avez aussi plusieurs dates dans des festivals, le Printemps de Bourges le 25 avril, Festival Cognac Blues Passions le 7 juillet ou encore le Festival Afropunk à la Villette le 14 juillet, vous avez un attachement particulier pour les festivals et ils vous le rendent bien…
Sandra Nkaké : Nous sommes contents de jouer là où les gens ont envie que nous venions. Pour moi, il n’y a pas de différence entre un théâtre, un centre culturel, une salle des fêtes, et un festival dans mon rapport au public. Après ça change en terme technique, de capacité d’accueil et de restituer un spectacle par rapport à la lumière et au son, mais mon rapport avec les gens ne change pas. Je trouve toujours ça assez merveilleux qu’il y ait des personnes curieuses pour venir vous écouter. Ce qui est aussi génial dans les festivals c’est qu’il y a plein de gens qui ne vous connaissent pas et vous découvrent. C’est par le biais de festivals que des gens m’ont découvert, sont venus me voir après, ont acheté des albums et me suivent depuis dix ans. Les festivals sont importants mais les petites salles aussi dont nous ne parlons pas forcément assez alors qu’elles font un vrai travail de relais et de soutien. Nous allons venir jouer chez vous, mais je sais que ça fait quelques années que nous venons en Bretagne et qu’elle nous soutient et ça fait plaisir car ça donne la niaque pour continuer (rires).
Que vous jouiez devant quelques personnes ou des milliers de personnes, vous transmettez toujours les mêmes émotions ?
Sandra Nkaké : Mes émotions évoluent en fonction de la journée, de la semaine, du mois mais mon envie de partager reste la même. Je ne vais pas être déçu s’il y a quinze personnes, ni être euphorique si il y a 150 personnes devant moi. Je suis heureuse de la même manière, je vis vraiment ça comme une relation de personne à personne ; même si quand nous jouons devant des milliers de personnes nous ne pouvons pas être en contact oculaire avec tout le monde. Mais j’essaye de visualiser cette masse comme étant une masse de plein d’individus et je me dis « waouh! il y a toutes ces personnes là qui sont en train de m’écouter », tout autant que dans une petite église où nous sommes allés jouer à Montonvillers en Picardie où il y avait 200 personnes. Je trouve ça merveilleux que dans un tout petit village où il y a peut-être six maisons, plein de gens soient venus de la campagne pour venir nous écouter.