Le Mystère Jérôme Bosch enfin résolu ? Le documentaire franco-espagnol de José Luis Lopez-Linares convoque artistes, penseurs, scientifiques et spectateurs pour épuiser la richesse de ce peintre flamand né en 1450 et mort en 1516. Le Mystère Jérôme Bosch se focalise essentiellement sur l’une de ses peintures les plus célèbres, Le Jardin des Délices. Tableau d’une histoire, le documentaire est surtout l’histoire d’un tableau.
Un mystère, Jérôme Bosch ? Il est clair que le peintre néerlandais a laissé peu de traces biographiques. De même, son œuvre laisse toujours le spectateur étonné. En apparence, on peut se demander comment un homme du XVe siècle a pu peindre des toiles qui n’étonneraient personne dans une rétrospective du surréalisme. Le Jardin des Délices, triptyque exposé au musée du Prado, demeure sa pièce la plus célèbre et célébrée. Le documentaire de José Luis Lopez-Linares, en plus de formuler plusieurs hypothèses interprétatives, enrichit le spectateur par des anecdotes sur cette peinture. On apprend, notamment, qu’elle s’est appelée Les Fraises ou La Variété du Monde. Ou que dans le passé, un triptyque se montrait toujours fermé (et non ouvert, comme maintenant).
Historiens, historiens de l’art, neurologue, écrivains, philosophes, artistes, musiciens, conservateurs… Le Mystère Jérôme Bosch convoque de nombreux spécialistes pour avancer dans l’interprétation de l’œuvre. En prime, le spectateur trouvera quelques guests de la pensée contemporaine : les écrivains Cees Nooteboom, Orhan Pamuk et Salman Rushdie ou encore le philosophe Michel Onfray. Sous le regard de ces différentes personnalités, toute la richesse du Jardin des Délices se déploient : les instruments, seulement représentés, se font musique, les rondes danse, les images vision et concept. Certes, les outils modernes de restauration permettent de découvrir les couches inférieures de la peinture. Mais c’est encore les interprétations théologiques, philosophiques et artistiques qui déflorent le mieux le mystère.
Qui était Jérôme Bosch ? On sait que Hieronymus était membre de l’Illustre Confrérie Notre-Dame et qu’il travaillait essentiellement sur commande. Religieux, voire moraliste, Jérôme Bosch ? Sa vision de l’enfer ferait frémir jusqu’au plus convaincu des athées. Parmi les nombreuses interprétations de l’œuvre, on appréciera tout particulièrement celle du premier triptyque, celle du Paradis terrestre. Une interprétation voudrait que, selon un épisode des Écritures, la scène soit le rêve d’Adam lui-même. D’où son regard extatique lorsqu’il observe Dieu prenant la main d’Ève. Sa vision signifierait le mariage de Dieu avec l’Église. Le deuxième tableau, quant à lui, ne figurerait pas tant le purgatoire que l’homme laissé à l’état de nature, entre profit de la jouissance et menace de la chute.
Le documentaire explore aussi la postérité du Jardin des Délices. Le tableau fait immédiatement penser au surréalisme d’un Salvador Dalí. Plusieurs périodes sont abordées par le prisme de la toile : en premier lieu son contexte direct, la charnière entre le XVe et le XVIe. Jérôme Bosch, par sa fantaisie, par son génie visionnaire, son mélange métaphysique de profondeur baroque et de représentation prosaïque marque une rupture dans l’histoire de la peinture. Des agréables parallèles sont réalisées entre le panneau central et la période hippie dans l’idée d’un retour à l’état de nature.
Dans Le Mystère Jérôme Bosch, la caméra épouse le regard du spectateur. Les plans enregistrent le caractère narratif de la toile ou insistent sur les prodigieux détails du tableau. Grâce à ces outils numériques, le réalisateur met en valeur certains éléments, par exemple l’architecture, mi-organique, mi-futuriste. L’intérêt du documentaire repose principalement sur le caractère herméneutique du Jardin des Délices. Le tableau, en effet, a traversé et traverse encore les époques. Sa richesse semble inépuisable. Au monde, il trace une limite métaphysique, faite de surface et de profondeur, entre ciel et terre, humain et divin.
Le Mystère Jérome Bosch, un documentaire de José Luis Lopez-Linares, 1 h 30, sortie le 26 octobre 2016