C’est un beau livre, grand format, cartonné, illustré, qui vient de sortir aux éditions Seghers. Un hommage à Thelonious Monk, ce pianiste de jazz américain qui continue, 40 ans après sa mort, de fasciner les amateurs. Sur près de 400 pages, on trouve environ 200 contributions, écrites, dessinées, photographiées, le tout sous l’attentive direction de Franck Médioni.
Monk, reconnaissable dès la première note, à nul autre pareil… Quel mystère, comme est joliment titré le livre. Né en 1917, il est le compositeur du célébrissime ‘Round Midnight et de tant d’autres titres devenus des standards.
C’est un bonheur de se perdre dans les pages, de lire les mots sensibles du regretté Christian Bobin, qui vient de disparaître : « J’aime tout de lui. Il joue du piano comme seuls savent en jouer les chats qui traversent un clavier à folle allure, comme un rideau de feu. […] Sa musique avance sur les chemins non pavés de mon cerveau, comme une roulotte aux roues de bois. »
Une joie de découvrir ce qu’en dit Pascal Dusapin, compositeur contemporain de musique « savante » : « Il plaque un accord ici, et puis immédiatement il y en a un autre tout en haut, ça fait glong gling et puis il disparaît […] il frappe l’accord paf, le cinquième doigt à plat, normalement ça ne devrait pas sonner comme ça, mais avec lui ça claque comme un fouet »…
On a envie de tout citer, Amy Winehouse qui écoutait les disques de son père et disait de ‘Round Midnight : « ça m’avait littéralement tuée, j’étais fascinée par ce morceau, j’avais inventé des paroles assez dingues, des mecs et des filles qui traînaient dans les rues et faisaient des trucs vraiment bizarres. »
Ou Jean Echenoz, qui, à 13 ans, achète avec son peu d’argent un 45-tours. « Je ne connaissais pratiquement rien à cette musique, mais je comprends aussitôt que j’ai découvert un trésor. Considérant qu’en matière de droit celui qui découvre un trésor s’appelle son « inventeur », j’ai plaisir à penser que je suis, juridiquement parlant, l’un des inventeurs du jazz moderne. »
Monk, ce type de presque deux mètres de haut, avec ses chapeaux et bonnets étranges, sa barbichette, est furieusement agréable à dessiner, à photographier. Les illustrations, style BD, croquis rapides, caricatures, apportent une vraie richesse émotive, sans parler des photos, au plus proche des sentiments.
Comment ne pas raconter cette anecdote, rapportée par Lucille Humair ? Dans les années 1970, Monk est engagé par les soupes Campbell pour enregistrer une musique destinée à une publicité pour un produit pour enfants. Il arrive, se met au piano : « En jouant, il jure : « Fuck ! Motherfucker ! » Dans la cabine du studio, ils lui disent : « Monsieur Monk, ne parlez pas, c’est un enregistrement pour les enfants. » Pendant deux heures, il n’a pas arrêté de jouer en jurant. Les bandes ont fini à la poubelle. »
Donnons-lui le dernier mot : « Le jazz, c’est la liberté, pensez-y ».